Trois essais marquent cette rentrée. Camille Froidevaux- Metterie repense la grossesse, Cynthia Fleury se penche sur la question de la dignité quand Yves Pagès nous livre une réflexion sur le tapis roulant façon Roland Barthes.
Comment devenir mère tout en restant une femme libre ? Camille Froidevaux-Metterie, figure centrale de la philosophie féministe avec plusieurs essais importants, parmi lesquels Un corps à soi (2021), revient ici à la racine – c’est- à‑dire la « déflagration » personnelle – qui l’a amenée à « entrer en féminisme » dans les années 2000 : l’expérience de la maternité. Dans Un si gros ventre. Expériences vécues du corps enceint, elle passe trois mois en immersion à l’hôpital pour interroger les « pseudo-évidences » associées à la grossesse. Si, pour les militantes des années 1970, devenir mère apparaît comme « l’aliénation des aliénations », la maternité est actuellement au cœur d’une « relégitimation féministe » dans toutes ses dimensions : le désir ou le non-désir d’enfant, la contraception, le suivi de grossesse, l’accouchement ou encore le post-partum. Avec son style brillant, limpide et fédérateur, la philosophe met en résonance les paroles d’Aline, de Luna, de Charlotte… toutes singulières, pour envisager une perspective nouvelle : faire de la grossesse le moment même d’une « ressaisie de soi en tant que sujet ». À lire, à relire et à offrir autant que possible.
Une autre philosophe à l’écoute des êtres, Cynthia Fleury, donne sens et écho à la notion de dignité, qui traverse les revendications sociales actuelles. Dans La Clinique de la dignité, la philosophe et psychanalyste se met à l’écoute de personnes jugées « indignes » par une société qui se révèle, elle-même, une véritable fabrique de l’indignité. Elle s’appuie d’abord sur des descriptions directes et sensibles d’« indignités subies » – invisibilisations, dénis de présence, délégitimations –, notamment en exhumant de précieux textes de James Baldwin, Margaret Mead ou encore Frantz Fanon. Elle décrit ensuite les pathologies que l’exclusion de la « norme » provoque chez les individus, et s’interroge sur les façons de les guérir grâce à des « politiques de la dignité » fondées sur l’éducation, la santé et la culture, à travers des notions comme l’« éthique du care » ou les « communs ». Un livre court, d’une ampleur rare, qui accorde enfin aux abîmé·es de la société l’attention qu’ils et elles méritent.
L’écrivain Yves Pagès complète cette constellation de réflexions par un véritable ovni sociologique et littéraire. Auteur de fictions et d’essais inclassables et coutumier de sujets marginaux et inattendus, il publie Les Chaînes sans fin. Histoire illustrée du tapis roulant. Au fil d’une enquête enrichie d’une centaine de documents, photographies et dessins techniques, il décortique les occurrences, à travers l’Histoire et le monde, de cet objet qui charrie discrètement d’immenses enjeux philosophiques, politiques et socio-économiques. De la chaîne de production industrielle à la machine de fitness, en passant par la caisse de supermarché, Yves Pagès retrace une mythologie du tapis roulant, devenu symbole de l’absurdité des idéologies productivistes. Entre rêvasserie et cauchemar, son écriture entraînante et dramatiquement drôle nous ouvre un horizon insoupçonné sur le monde dans lequel nous vivons.
Un si gros ventre. Expériences vécues du corps enceint, de Camille Froidevaux-Metterie. Philosophie Magazine Éditeur/Stock Essais/Coll. Immersions, 240 pages, 19,90 euros. Sortie le 6 septembre.
La Clinique de la dignité, de Cynthia Fleury. Coll. Le Compte à rebours/Seuil, 224 pages, 19,90 euros.
Les Chaînes sans fin. Histoire illustrée du tapis roulant, d’Yves Pagès. Zones/La Découverte, 240 pages, 20 euros.
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