« Les impos­teurs du bio », quand le bio raconte des salades

Trente ans que Christophe Brusset bosse dans l’agroalimentaire. Cinq ans qu’il en pro­fite pour enquê­ter sur les magouilles des indus­triels. Dans Les Imposteurs du bio1, qui sort ce 7 octobre aux Éditions Flammarion, il révèle les des­sous des pro­duits cen­sés être verts. Mais bien sou­vent, de réelles tar­tu­fe­ries environnementales.

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Causette : Comment vous
êtes-​vous ren­du compte des super­che­ries du bio ? 

Christophe Brusset : Je tra­vaille dans l’industrie agroa­li­men­taire depuis presque trente ans. J’ai été ingé­nieur, ache­teur, direc­teur achat… avant de trou­ver une boîte plus mili­tante, où je m’occupe aujourd’hui de l’alimentation des ani­maux. J’en ai pro­fi­té pour uti­li­ser mes contacts, faire sem­blant de négo­cier des contrats de pro­duits bio ou pré­ten­dus bio – je suis allé jusqu’en Chine –, et écrire ce livre. Ces expé­riences m’ont convain­cu de l’inadéquation entre ce que l’on dit aux consom­ma­teurs et la réa­li­té du terrain.

Quelles sont les pires arnaques ?
C. B. : Sûrement les logos. En paral­lèle des cer­ti­fi­ca­tions « bio » offi­cielles, les indus­triels créent leurs propres labels. Des pic­to­grammes, verts bien sou­vent, qui donnent l’impression qu’un contrôle objec­tif a été appli­qué alors qu’il s’agit de cri­tères pri­vés, moins sérieux. Cela entre­tient un flou. D’ailleurs, aucun de ces labels n’aide à savoir si les pro­duits sont éthiques du côté de la pro­duc­tion. L’anneau vert du recy­clage, les « pro­duits élus » ou l’« ori­gine France » ne disent rien de l’engagement social d’une entre­prise. Lorsque je tra­vaillais dans la vente de salades, on s’était dit « neutres en car­bone » alors que c’était abso­lu­ment faux. On payait des socié­tés liées à l’éolien ou au pho­to­vol­taïque pour « com­pen­ser » nos émis­sions, qui, elles, pou­vaient conti­nuer d’augmenter. En fait, c’est du droit à pol­luer ! Ce qui m’a frap­pé, plus glo­ba­le­ment, c’est que tout le monde parle du bio, mais per­sonne n’en a la même défi­ni­tion. Ma plus grosse décou­verte, assez sidé­rante, c’est que toute cette confu­sion est volon­tai­re­ment entre­te­nue. Ce qui per­met aux indus­triels de faire du green­wa­shing.

Qu’est-ce qu’un pro­duit bio, en fait ? 
C. B. : Si vous regar­dez la défi­ni­tion euro­péenne, un pro­duit bio est un pro­duit « qui suit les recom­man­da­tions de la pré­sente norme ». Or, le conte­nu du règle­ment auquel se réfère la norme ren­voie au « natu­rel », mais sans défi­nir ce qu’est le natu­rel ! C’est comme bâtir un édi­fice sur du sable. Si l’on y réflé­chit, même un virus est natu­rel… On se dit sou­vent que le bio est un pro­duit sans pes­ti­cides. Le bio a en fait été créé en réac­tion aux engrais de syn­thèse. Or, aujourd’hui, il n’y a pas vrai­ment de méthode pour le détec­ter. On ne cer­ti­fie donc pas le pro­duit. On cer­ti­fie la façon de faire. Les orga­nismes cer­ti­fi­ca­teurs viennent voir les pro­duc­teurs une fois par an, en moyenne, et ne regardent que les méthodes, la recette, sans for­cé­ment vali­der le pro­duit lui-​même. Ça laisse aux opé­ra­teurs 364 jours de liber­té par an. Après, je cri­tique beau­coup la façon de faire, mais il faut dire que c’est déjà ça. Les pro­duits conven­tion­nels, eux, apportent bien moins de garanties. 

Comment les indus­triels arrivent-​ils à embo­bi­ner tout le monde
sans réac­tion dans leurs rangs ? 

C. B. : L’arnaque passe par toute une « nov­langue » et une stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion. Car le but est de vendre et le bio fait vendre. Alors on va dire que l’on « répond aux demandes des clients », on va par­ler d’additifs « contro­ver­sés » plu­tôt que « dan­ge­reux ». On va jus­ti­fier les choix anti­éco­lo­giques par des études. Les gens du mar­ke­ting passent leur temps à faire des études ou à en ache­ter pour savoir quel embal­lage brillant uti­li­ser, com­ment le rendre agréable au tou­cher… Lorsque je tra­vaillais dans la vente de salades, on avait lan­cé une gamme bio. Pour la dif­fé­ren­cier, il fal­lait que l’emballage « fasse » bio. Mais le sachet devait obli­ga­toi­re­ment être en plas­tique pour être sou­dé. Alors, on a col­lé une feuille de papier kraft mar­ron par-​dessus pour « faire » bio, que l’on a ensuite dû enduire d’un film plas­tique trans­pa­rent pour résis­ter à l’humidité… Le résul­tat est tota­le­ment non recy­clable alors que le sachet nor­mal se recycle bien 2

À quels saints se vouer, du coup ?
C. B. : Les Amap et les enseignes Biocoop font géné­ra­le­ment du local, de sai­son et de bonne qua­li­té, des pro­duits meilleurs que le bio de grande sur­face. Le label Eurofeuille et son pen­dant fran­çais, AB, sont les cer­ti­fi­ca­tions offi­cielles les mieux enca­drées pour les pro­duits ali­men­taires. Il y a aus­si Nature et Progrès, Demeter, ou Bioland, des labels mili­tants encore plus res­tric­tifs. D’autres comme Max Havelaar cer­ti­fient l’éthique de l’entreprise, les condi­tions de tra­vail. Prêter atten­tion à tout ça demande une démarche volon­taire, mais ça vaut le coup.

A‑t-​on rai­son d’utiliser des applis comme Yuka, qui notent les pro­duits en fonc­tion de leur com­po­si­tion ? 
C. B. : Au début, j’étais scep­tique, mais j’ai ren­con­tré leur équipe ain­si que celle d’Open Food Facts [autre appli et base de don­nées de pro­duits ali­men­taires, ndlr] et j’ai consta­té que leur éva­lua­tion inté­grait l’écologie. 10 % de la note est liée au fait que le pro­duit est bio ou pas. C’est un outil effec­ti­ve­ment très utile. J’aime bien la clas­si­fi­ca­tion Nova aus­si, qui informe sur le niveau de trans­for­ma­tion du produit.

Au fond, l’une des solu­tions serait de dire « mort au mar­ke­ting » ?
C. B. : Oui, je le pense.

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