Trente ans que Christophe Brusset bosse dans l’agroalimentaire. Cinq ans qu’il en profite pour enquêter sur les magouilles des industriels. Dans Les Imposteurs du bio1, qui sort ce 7 octobre aux Éditions Flammarion, il révèle les dessous des produits censés être verts. Mais bien souvent, de réelles tartuferies environnementales.
![« Les imposteurs du bio », quand le bio raconte des salades 1 dsy 5669 3 a](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/10/dsy_5669_3-a-1024x819.jpg)
Causette : Comment vous
êtes-vous rendu compte des supercheries du bio ?
Christophe Brusset : Je travaille dans l’industrie agroalimentaire depuis presque trente ans. J’ai été ingénieur, acheteur, directeur achat… avant de trouver une boîte plus militante, où je m’occupe aujourd’hui de l’alimentation des animaux. J’en ai profité pour utiliser mes contacts, faire semblant de négocier des contrats de produits bio ou prétendus bio – je suis allé jusqu’en Chine –, et écrire ce livre. Ces expériences m’ont convaincu de l’inadéquation entre ce que l’on dit aux consommateurs et la réalité du terrain.
Quelles sont les pires arnaques ?
C. B. : Sûrement les logos. En parallèle des certifications « bio » officielles, les industriels créent leurs propres labels. Des pictogrammes, verts bien souvent, qui donnent l’impression qu’un contrôle objectif a été appliqué alors qu’il s’agit de critères privés, moins sérieux. Cela entretient un flou. D’ailleurs, aucun de ces labels n’aide à savoir si les produits sont éthiques du côté de la production. L’anneau vert du recyclage, les « produits élus » ou l’« origine France » ne disent rien de l’engagement social d’une entreprise. Lorsque je travaillais dans la vente de salades, on s’était dit « neutres en carbone » alors que c’était absolument faux. On payait des sociétés liées à l’éolien ou au photovoltaïque pour « compenser » nos émissions, qui, elles, pouvaient continuer d’augmenter. En fait, c’est du droit à polluer ! Ce qui m’a frappé, plus globalement, c’est que tout le monde parle du bio, mais personne n’en a la même définition. Ma plus grosse découverte, assez sidérante, c’est que toute cette confusion est volontairement entretenue. Ce qui permet aux industriels de faire du greenwashing.
Qu’est-ce qu’un produit bio, en fait ?
C. B. : Si vous regardez la définition européenne, un produit bio est un produit « qui suit les recommandations de la présente norme ». Or, le contenu du règlement auquel se réfère la norme renvoie au « naturel », mais sans définir ce qu’est le naturel ! C’est comme bâtir un édifice sur du sable. Si l’on y réfléchit, même un virus est naturel… On se dit souvent que le bio est un produit sans pesticides. Le bio a en fait été créé en réaction aux engrais de synthèse. Or, aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de méthode pour le détecter. On ne certifie donc pas le produit. On certifie la façon de faire. Les organismes certificateurs viennent voir les producteurs une fois par an, en moyenne, et ne regardent que les méthodes, la recette, sans forcément valider le produit lui-même. Ça laisse aux opérateurs 364 jours de liberté par an. Après, je critique beaucoup la façon de faire, mais il faut dire que c’est déjà ça. Les produits conventionnels, eux, apportent bien moins de garanties.
Comment les industriels arrivent-ils à embobiner tout le monde
sans réaction dans leurs rangs ?
C. B. : L’arnaque passe par toute une « novlangue » et une stratégie de communication. Car le but est de vendre et le bio fait vendre. Alors on va dire que l’on « répond aux demandes des clients », on va parler d’additifs « controversés » plutôt que « dangereux ». On va justifier les choix antiécologiques par des études. Les gens du marketing passent leur temps à faire des études ou à en acheter pour savoir quel emballage brillant utiliser, comment le rendre agréable au toucher… Lorsque je travaillais dans la vente de salades, on avait lancé une gamme bio. Pour la différencier, il fallait que l’emballage « fasse » bio. Mais le sachet devait obligatoirement être en plastique pour être soudé. Alors, on a collé une feuille de papier kraft marron par-dessus pour « faire » bio, que l’on a ensuite dû enduire d’un film plastique transparent pour résister à l’humidité… Le résultat est totalement non recyclable alors que le sachet normal se recycle bien 2.
À quels saints se vouer, du coup ?
C. B. : Les Amap et les enseignes Biocoop font généralement du local, de saison et de bonne qualité, des produits meilleurs que le bio de grande surface. Le label Eurofeuille et son pendant français, AB, sont les certifications officielles les mieux encadrées pour les produits alimentaires. Il y a aussi Nature et Progrès, Demeter, ou Bioland, des labels militants encore plus restrictifs. D’autres comme Max Havelaar certifient l’éthique de l’entreprise, les conditions de travail. Prêter attention à tout ça demande une démarche volontaire, mais ça vaut le coup.
A‑t-on raison d’utiliser des applis comme Yuka, qui notent les produits en fonction de leur composition ?
C. B. : Au début, j’étais sceptique, mais j’ai rencontré leur équipe ainsi que celle d’Open Food Facts [autre appli et base de données de produits alimentaires, ndlr] et j’ai constaté que leur évaluation intégrait l’écologie. 10 % de la note est liée au fait que le produit est bio ou pas. C’est un outil effectivement très utile. J’aime bien la classification Nova aussi, qui informe sur le niveau de transformation du produit.
Au fond, l’une des solutions serait de dire « mort au marketing » ?
C. B. : Oui, je le pense.