Les 20 plumes fémi­nines : Yaa Gyasi

Cette année encore, on risque de se faire assom­mer par la vague des sor­ties de livres à l’occasion de la sacro-​sainte ren­trée lit­té­raire. Et pour affron­ter l’autre deuxième vague – au cas où on nous recon­fi­ne­rait –, mieux vaut s’armer de bonnes lec­tures. Causette n’a choi­si que des autrices. Discrimination posi­tive assu­mée. Des plumes belles et rebelles qui ne devraient pas vous lais­ser indemnes. Voici celle de Yaa Gyasi.

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© Peter Hurley, the Vilcek Foundation

Avec Jesmyn Ward, Tayari Jones, Rivers Solomon ou Brit Bennett, l’Américaine Yaa Gyasi s’affirme comme l’une des grandes héri­tières de Toni Morrison. Révélée en 2017 avec No Home (Calmann-​Lévy), elle revient avec Sublime Royaume, dont la paru­tion fran­çaise pré­cède de quelques semaines la paru­tion amé­ri­caine. Native du Ghana, arri­vée aux États-​Unis à l’âge de 2 ans, elle y traite à nou­veau des enfants de l’immigration afri­caine. Sans rage, mais sans peur et avec lyrisme. 

Causette : Votre roman paraît en France quelques semaines avant sa paru­tion amé­ri­caine. Les vio­lences poli­cières encore récentes aux États-​Unis, le mou­ve­ment Black Lives Matter, com­ment cela résonne-​t-​il
dans votre esprit ? 

Yaa Gyasi : Ces semaines pas­sées, ça a été une grande dou­leur. Le fait qu’on ait encore et encore ces conversations-​là, encore et tou­jours ces situations-​là, c’est ridi­cule et hon­teux. Ça fait des siècles que ça dure, dans ce pays ! La situa­tion [du racisme, ndlr] n’a pas chan­gé depuis l’esclavage, mal­gré tous les com­bats gagnés par le mou­ve­ment pour les droits civiques ! Et dans le même temps, je dois dire qu’il y a quelque chose d’encourageant à cha­cune de ces nou­velles « séquences », comme celle que nous venons de tra­ver­ser depuis la mort de George Floyd, le 25 mai der­nier. Ça génère plus d’énergie à chaque fois. À Brooklyn, où je vis, il y a eu des pro­tes­ta­tions mal­gré les mesures de confi­ne­ment alors en vigueur. 

Vos deux romans ont des thèmes com­muns : vie fami­liale, post ségré­ga­tion raciale, per­son­nages fémi­nins. Pourquoi sont-​ils
si impor­tants ?

Y. G. : Bien des choses relient ces deux livres. En par­ti­cu­lier, un sujet qui m’a tou­jours inté­res­sée : com­ment les trau­mas des­sinent la des­ti­née d’une famille, le des­tin de ses membres. Ces choses qui ne sont pas visibles au pre­mier coup d’œil. La façon dont on gère l’héritage de nos parents ou de nos grands-​parents. Dans No Home, je racon­tais sept géné­ra­tions et com­ment la vie de cha­cune d’elles sym­bo­lise l’héritage de l’esclavage, la façon dont ça s’est ins­ti­tu­tion­na­li­sé aux États-​Unis. Dans Sublime Royaume, c’est plus res­ser­ré, sur une seule famille. Tout ça m’intéresse parce que je suis née au Ghana, mais j’ai gran­di aux États-​Unis, et là, j’ai vécu dans plu­sieurs États. Je suis consciente de l’impact que la vie de mes parents, qui ont donc tra­ver­sé l’océan, a eu sur moi. 

Qu’est-ce que ça vous a appor­té de les trai­ter deux fois ? 
Y. G. : Ce que j’y ai appris, c’est com­ment trai­ter de ce qu’on appelle l’American Dream. J’ai écrit ici sur les pères qui viennent en Amérique et qui découvrent l’envers du rêve : dur dur de trou­ver un emploi, de gagner suf­fi­sam­ment sa vie. L’autre facette du rêve amé­ri­cain était ce que je vou­lais explorer. 

Que signi­fie pour vous, jus­te­ment, le « rêve amé­ri­cain » ? 
Y. G. : Les Américains se sont construits sur la croyance que tout est tou­jours pos­sible, pour tout le monde. On le sait. Le rêve, c’est ça. Il a fait venir en Amérique tant et tant d’immigrés. J’ai gran­di avec des parents immi­grés, qui ont bos­sé dur pour avoir ce rêve. J’ai vu que c’étaient les valeurs qu’il fal­lait avoir. Mais doré­na­vant, de moins en moins de gens ont accès à ces oppor­tu­ni­tés. Donc, l’accès à ce rêve, la pos­si­bi­li­té d’être heu­reux en Amérique, c’est deve­nu chose rare. Il n’y a plus d’égalité des chances. 

Sublime Royaume, de Yaa Gyasi, tra­duit de l’anglais (États-​Unis) par Anne Damour. Éd. Calmann-​Lévy, 376 pages, 20,90 euros.

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