Victime d’un licenciement économique lors de son deuxième congé maternité, Thi Nhu An Pham, créatrice du podcast La Reprise, publie un essai éponyme aux éditions Payot où elle dénonce les discriminations vécues par les mères à leur retour au travail.
Causette : Pourquoi parle-t-on si peu de la reprise après le congé maternité ?
Thi Nhu An Pham : Cette période qu’on n’évoque jamais s’avère en réalité très
déstabilisante : c’est un chamboulement physique, organisationnel, intime, familial et professionnel. La société laisse penser que l’enjeu est individuel, alors que c’est un sujet extrêmement politique, qui questionne la place des femmes dans la société et dans le monde du travail.
En quoi cette période souligne-t-elle le caractère « maternophobe » du monde du travail ?
T.N.A.P. : C’est un moment de vulnérabilité qui peut avoir des conséquences durables pour les femmes. Car le levier principal des inégalités hommes-femmes, c’est la maternité : les évolutions de carrière sont alors stoppées ou ralenties. On
comptabilise 30 % de pénalité sur le salaire annuel à l’arrivée du premier enfant1. Cette prise de conscience est vécue comme une gifle car on nous a bercées d’illusions sur l’égalité. La reprise est le reflet de la non-prise en compte de la parentalité en entreprise : elle peut même se révéler dès l’annonce de la grossesse. Puis, lorsque les femmes reviennent, en moyenne après six mois d’absence, on les a parfois oubliées ou on le leur fait payer en les considérant moins impliquées ou moins motivées. Il y a l’arnaque du « comme avant » : on fait croire aux mères qu’elles doivent travailler comme si elles n’avaient pas d’enfant. Or, à l’image des nouvelles recrues, il faut des procédures de réintégration en entreprise. À leur retour, les femmes ont aussi droit à une visite médicale, un entretien professionnel et un rattrapage salarial, beaucoup ne le savent pas.
En quoi l’allongement du congé du second parent est-il le nerf de la guerre ?
T.N.A.P. : C’est un levier essentiel car il mettrait à égalité l’absence de la mère et du père ou coparent au travail. Sinon, pendant deux mois, ce sont elles qui font tourner la maison : et, à la reprise, les mères se retrouvent à tout gérer, ce qui en amène beaucoup à modifier leur activité professionnelle. Les hommes se sont appuyés sur elles pour leur propre retour au boulot : on pourrait imaginer un moment dédié à la reprise des femmes, où le père soit à la maison.
- Soit les effets combinés de l’interruption de carrière, de la réduction durable des heures rémunérées et de la pénalisation en salaire horaire, selon les chercheur Dominique Meurs et Pierre Pora (2020).[↩]