La sélec­tion lec­ture du mois de juin 2021

Hamnet, de Maggie O'Farrell, Comme des bêtes, de Violaine Bérot, La Rivière des dis­pa­rues, de Liz Moore, Les femmes qui crai­gnaient les hommes, de Jessica Moor, Sous le signe des pois­sons, de Mélissa Broder et Tous les noms qu'ils don­naient à Dieu, d'Anjali Sachdeva. 

Hamnet, l’autre Shakespeare

Les his­to­riens n’ont jamais com­plè­te­ment tran­ché quant aux liens entre le Hamlet de Shakespeare et le pré­nom de son seul fils, Hamnet. Pour son neu­vième roman, la ­bri­tan­nique Maggie O’Farrell (dont on appré­cia I am, I am, I am il y a deux ans) redonne de l’air à ce fils oublié, nous fai­sant entrer dans l’intimité de la famille de façon auda­cieuse : « Wil » est relé­gué au second plan. Le roman s’étire le long de cette jour­née de 1596 où la mort empor­te­ra le gar­çon de 11 ans (peste bubo­nique), et alterne avec le récit de la ren­contre entre le dra­ma­turge et sa future femme, Agnes, orphe­line deve­nue gué­ris­seuse, ou encore avec des séquences sur l’amour fou de cette mère pour ses trois enfants (dont les jumeaux Judith et Hamnet). Par de mul­tiples petites portes et par une nar­ra­tion vibrante, le roman pénètre les cou­lisses de l’œuvre sha­kes­pea­rienne avec une remar­quable déli­ca­tesse. H.A.

OFARRELL Hamnet A

Hamnet, de Maggie O’Farrell, tra­duit de l’anglais (Royaume-​Uni) par Sarah Tardy. Éd. Belfond,
368 pages, 22,50 euros.


Comme des bêtes, frayeurs pyrénéennes

C’est un conte de fées… qui a tout d’une ter­ri­fiante his­toire vraie. Dans Comme des bêtes, la roman­cière Violaine Bérot, ancienne éle­veuse de chèvres, nous fait entendre son chant de colère contre les ins­ti­tu­tions qui écrasent les êtres. L’histoire se déroule dans un vil­lage des Pyrénées, un lieu empreint de croyances. Le per­son­nage prin­ci­pal, sur­nom­mé l’« Ours », parce qu’il grogne et ne com­mu­nique qu’avec les bêtes, est mis en cage. Il aurait atta­qué un ran­don­neur après avoir été sur­pris en train de jouer avec un âne et une ­fillette. Qui est cette fille qu’aucun·e habitant·e ne connaît ? Pourquoi l’« Ours » vit-​il à l’écart du vil­lage, seul avec sa mère ? Pourquoi celle-​ci l’a‑t-elle reti­ré de l’école, il y a vingt ans ? Échos, rumeurs… l’interrogatoire de police com­mence. Les voix de témoins – ancien·nes cama­rades de classe, instituteur·rices, mais aus­si celles des fées qui peuplent le vil­lage – se suc­cèdent, nous encerclent jusqu’à for­mer un ­can­tique rural dont nous sommes captif·ves. Face à tant de beau­té et ­d’effroi, nous n’avons qu’à nous lais­ser tra­ver­ser de part en part. Un fris­son. L.M.

Berot Comme des betes A

Comme des bêtes, de Violaine Bérot. Éd. Buchet-​Chastel, 160 pages, 14 euros.


La Rivière des dis­pa­rues, soeurs contraires 

Bien des choses marchent par deux dans les sales affaires de Philadelphie dont il est ques­tion ici. Le qua­trième roman de Liz Moore (le deuxième tra­duit en France) est l’histoire de deux sœurs : l’aînée, Michaela Fitzpatrick, agente de police qui patrouille dans le quar­tier de Kensington, et Kacey, la cadette, deve­nue toxi­co et pros­ti­tuée à l’occasion. La Rivière des dis­pa­rues est un récit à deux faces. La pre­mière est un polar : les meurtres se mul­ti­plient dans les mai­sons aban­don­nées, cepen­dant que le tra­fic d’opioïdes s’intensifie. La poli­cière a donc peur pour sa sœur, qu’elle a per­due de vue. D’autant que Kacey semble avoir dis­pa­ru. La seconde face, ­consti­tuée de fla­sh­back, montre les deux femmes des années avant, lorsqu’elles étaient fusion­nelles. Le tout est une fic­tion dense et pleine d’empathie, qui repose sur un tra­vail de ter­rain effec­tué par l’autrice il y a dix ans. H.A.

La riviere des disparues A

La Rivière des dis­pa­rues,
de Liz Moore, tra­duit de l’anglais (États-​Unis) par Alice Seelow. Éd. Buchet-​Chastel, 416 pages, 22 euros.


Les femmes qui crai­gnaient les hommes, méca­nique de la domination 

C’est sou­vent comme ça dans le polar : un flic à ­l’approche de la retraite tombe sur le cadavre qui va ­chan­ger sa vie d’après. Comme le lieu­te­nant Whitworth, à Widringham, ban­lieue de Manchester, lorsque celui de Katie est remon­té par la rivière. Elle était conseillère dans un refuge pour femmes har­ce­lées ou ­vio­len­tées, et ­pour­tant, ces femmes fuient les ques­tions et ­l’enquête qui s’ouvrent. Taisent leurs peurs. Comme si les ­pré­da­teurs rôdaient encore. Ils sont si pré­sents que l’intrigue se déploie de Manchester jusqu’à Londres. Elle repose sur deux ou trois imbro­glios qui vous ­cham­bou­le­ront l’esprit. Sur des por­traits (les femmes du « refuge ») qui vous retour­ne­ront le cœur. Jessica Moor a elle-​même tra­vaillé auprès de femmes vic­times de vio­lences, et on sai­sit mieux pour­quoi ce pre­mier roman démonte les méca­nismes de la domi­na­tion comme d’autres démontent des flingues. H.A.

MOOR Les femmes qui craignaient les hommes A

Les femmes qui crai­gnaient les hommes, de Jessica Moor, tra­duit de l’anglais (Royaume-​Uni) par Alexandre Prouvèze. Éd. Belfond, 352 pages, 21 euros.


Sous le signe des pois­sons, les maux doux 

Quelque part entre Roméo et Juliette, Georges Bataille, Pedro Almodovar et la pun­ki­tude let­trée de Patti Smith se nichent les esprits qua­dra­gé­naires de Lucy, la nar­ra­trice de Sous le signe des pois­sons, et de Melissa Broder, son autrice (décou­verte dans le recueil de textes auto­bio­gra­phiques So Sad Today, éd. de L’Olivier, 2019). Lucy, donc, rame depuis des années sur une thèse consa­crée à Sappho et vient de se faire lar­guer. Elle passe l’été à Los Angeles chez une sœur dont elle garde la mai­son (à Venice Beach) et le chien dia­bé­tique. Elle s’inscrit à une thé­ra­pie de groupe, sans que ça ne règle rien. Elle se met sur Tinder pour des dates qui, au moins, assou­vissent ses obses­sions sexuelles. Une nuit, plus ou moins tor­chée, assise sur un rocher devant la mer, elle ren­contre un nageur. Suivront d’autres moments de bai­sers, de sexe et d’orgasmes. Cet homme caresse et lèche comme per­sonne, et pour cause : cet homme qui vit dans l’océan n’est pas qu’un homme. Vous décou­vri­rez de quoi il est fait en même temps que Lucy. Tout ce qu’elle vit existe-​t-​il ? C’est plus que ça… C’est léger, tran­chant, piquant et sub­ver­sif, aus­si intel­lec­tuel que sen­suel, ­cras­seux qu’élégant. H.A.

Broder Sous le signe des Poissons HD A

Sous le signe des pois­sons, de Melissa Broder, tra­duit de l’anglais (États-​Unis) par Marguerite Capelle. Éd. Christian Bourgois, 448 pages, 23 euros.


Tous les noms qu'ils don­naient à Dieu, bonnes nouvelles 

Vous entrez dans ce recueil par une nou­velle dans laquelle une femme trouve refuge dans une grotte, apeu­rée par le silence des Grandes Plaines où est située sa mai­son qu’elle par­tage avec son mari par­ti tra­vailler très loin, trop loin, au temps de la conquête de l’Ouest. Une autre raconte une jeune fille bal­lo­tée entre un père aux pou­mons condam­nés depuis l’explosion du four de l’usine où il tra­vaille et un homme qui lui pro­pose une explo­ra­tion en Égypte. Nous sommes fin XIXe, époque où un tel voyage peut encore être un adieu. Vous lirez aus­si com­ment deux Nigérianes, prises en otage par Boko Haram, apprennent à hyp­no­ti­ser les hommes. Tour à tour cruelles, lyriques, voire qua­si cha­ma­niques, voi­ci neuf nou­velles éloi­gnées dans le temps et dans l’espace, qui s’accordent en une même voix, très sin­gu­lière, celle de l’américaine Anjali Sachdeva. Une révé­la­tion. H.A.

SACHDEVA TOUS LES NOMS QU ILS DONNAIENT A DIEU A

Tous les noms qu’ils don­naient à Dieu, d’Anjali Sachdeva, tra­duit de l’anglais (États-​Unis) par Hélène Fournier. Éd. Albin Michel, 288 pages, 21,90 euros.

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