Les Testaments, de Margaret Atwood
Suite de La Servante écarlate, publié il y a trente-quatre ans, Les Testaments est le livre le plus attendu au monde, en cet automne. Rarissime exemple d’un roman devenu un totem depuis que son adaptation en série est devenue culte, il n’en reste pas moins l’initiative de Margaret Atwood. La Canadienne nous ramène à Gilead, quinze ans après la fin du roman initial. Mais à présent, la république théocratique semble pourrir de l’intérieur. Il va se produire quelque chose… qui vous sera raconté par trois narratrices. L’une est sur place, asservie, la deuxième de l’autre côté de la frontière canadienne, elle est opposante, et la troisième est… à l’intérieur (du régime). Par ces voix-là, Atwood parvient à offrir une suite véritablement littéraire, féministe, et saisissante. H. A.
Les Testaments, de Margaret Atwood, traduit de l’anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch. Éd. Robert Laffont, 552 pages, 22,90 euros.
L’avenir de la planète commence dans notre assiette, de Jonathan Safran Foer
Huit ans après avoir dénoncé les conditions d’élevage dans son best-seller Faut-il manger des animaux, le romancier Jonathan Safran Foer a le cran de passer aux aveux : « J’ai mangé de la viande un certain nombre de fois. En général, des hamburgers […]. Et la raison pour laquelle je l’ai fait rend mon hypocrisie encore plus pitoyable : j’y trouvais du réconfort. » Conteur badin, empêcheur de tourner en rond, il nous fait entrer dans la drôlerie de ses dialogues intérieurs, égrène les statistiques alarmantes qu’il admet ne pas réussir à croire. Pourquoi un pays se mobilise ou ne se mobilise pas, réagit ou ne réagit pas, comment se tisse le voile discret de « l’aveuglement volontaire » ? Drôle et dramatique, ce récit tente d’éveiller le monde, sans moralisme, mais en maniant avec audace le charme et le pouvoir des « bonnes histoires ». L. M.
L’avenir de la planète commence dans notre assiette, de Jonathan Safran Foer, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville. Éd. L’Olivier, 304 pages, 22 euros.
Le vieux qui voulait sauver le monde, de Jonas Jonasson
À sa sortie, en 2009, Le vieux qui ne voulait pas souhaiter son anniversaire a fédéré un tas de lecteurs et lectrices : 700 000 personnes, devenues fidèles de l’auteur, le Suédois Jonas Jonasson, ancien journaliste qui s’est mis à la fiction après avoir connu un burn-out. Le vieux qui voulait sauver le monde est la deuxième histoire emmenée par Allan Karlsson, le fameux « Vieux », par ailleurs malfrat (voire criminel), qui s’apprête ici à fêter son cent unième anniversaire avec son partenaire Julius. Elle débute… à Bali, où nos deux types sont en vacances. Les voilà qui s’offrent un tour en montgolfière, avec quatre bouteilles de champ. Quand celle-ci sombre en mer… vers la Corée du Nord. Comme les histoires précédentes, le roman allie le grotesque et le grinçant, comédie de caractères et satire de roman d’espionnage. Delicious ! H. A.
Le vieux qui voulait sauver le monde, de Jonas Jonasson, traduit du suédois par Laurence Mennerich. Éd. Pocket, 512 pages, 7,90 euros.
Rhapsodie des oubliés, de Sofia Aouine
« Ma rue raconte l’histoire du monde avec une odeur de poubelles » : c’est la rue Léon (Paris XVIIIe), c’est la première phrase du livre et elle ouvre tout un univers. Par les yeux et les mots du narrateur, Abad, 13 ans, fils d’un couple de Libanais. Il vit là, et c’est l’heure de ses premiers émois… et délits : il sera bientôt condamné pour avoir ouvert un peep-show clando dans sa chambre ! Sa verve fait se cogner la diversité de Barbès et les affres de la puberté, des islamistes « barbapapas » et des militantes féministes, les travailleurs immigrés d’hier et les migrants d’aujourd’hui, le crack et les putes. Si elle évite (trop) d’évoquer la gentrification actuelle du quartier, Sofia Aouine écrit une odyssée moderne et explosive, qui doit à Zola et à Truffaut (influences revendiquées). Un premier roman éblouissant, au croisement de l’underground urbain, du social, du lyrisme et du hardcore. H. A.
Rhapsodie des oubliés, de Sofia Aouine. Éd. La Martinière, 208 pages, 18 euros.
Ce que l’on sème, de Regina Porter
Avec son titre qui sent la promesse, ce premier roman relève d’innombrables défis. Ce que l’on sème est un patchwork qui entrelace la vie de deux familles américaines, l’une noire, l’autre blanche, entre les années 1950 et le début de l’ère Obama. Pourquoi les mettre en parallèle ? Parce qu’elles se croisent en un point noir de l’histoire ségrégationniste, que nous vous laissons découvrir – qui déterminera leur existence et celle de leurs familles, inextricablement liées. Pour raconter ces décennies marquées par le racisme, mais aussi le métissage ou encore l’afrofréminisme, le roman casse la chronologie des faits. Enchâssant les flash-back, ce désordre… organisé éclaire autrement les notions d’héritage, de malentendus et de rétrospectives. Il se joue du temps qui passe, et nous cueille toujours à vif. H. A.
Ce que l’on sème, de Regina Porter, traduit de l’anglais (États-Unis) par Laura Derajinski. Éd. Gallimard, 366 pages, 22 euros.
Sisyphe est une femme. La marche du cavalier, de Geneviève Brisac
Existe-t-il une écriture féminine ? En 2002, Geneviève Brisac, éditrice et écrivaine, avait gracieusement botté en touche en écrivant La Marche du cavalier, livre devenu une référence sur ce sujet. Ce qui existe en tout cas, répondait-elle, ce sont les œuvres, immenses, écrites par des femmes. Aujourd’hui réédité, augmenté et rebaptisé Sisyphe est une femme, ce livre nous fait cheminer à travers les écrits et les pensées de Virginia Woolf, Grace Paley, Natalia Ginzburg, Doris Lessing ou encore Marguerite Duras. Geneviève Brisac discute avec ces figures qui ont changé sa vie, invente parfois ce qu’elles auraient pu dire, des citations « plus vraies que vraies ». Elle nous « supplie » de lire ces femmes dont la « fêlure » et le manque de foi en leur propre destin définissent l’écriture, bien plus que la biologie. Ces femmes que l’on efface du paysage au fil des siècles. À notre tour de vous supplier de lire ce récit choral, qui analyse avec finesse le « malentendu » entre les sexes. L. M.
Sisyphe est une femme. La marche du cavalier, de Geneviève Brisac. Éd. L’Olivier/coll. Les Feux, 216 pages, 17 euros.
L’Insoumis. L’Amérique de Mohamed Ali, de Judith Perrignon
L’histoire commence dans une salle de sport à Miami en 1964. Robert Lipsyte, stagiaire au New York Times, attend la fin d’un match de boxe soi-disant plié d’avance : le débutant Cassius Clay contre le champion du monde Sonny Liston. Ce jour-là, Sonny Liston perd son titre et Cassius Clay (le futur Mohamed Ali), 22 ans, devient un héros. Retraçant l’enquête qu’elle a menée pour une série documentaire sur France Culture, Judith Perrignon nous fait entendre celles et ceux qui ont changé la vie de Mohamed Ali : le journaliste sportif Robert Lipsyte, ses amis d’enfance, ou encore les proches et disciples d’Elijah Muhammad, dirigeant de l’organisation religieuse Nation of Islam et guide spirituel du boxeur… Ce récit ardent nous entraîne à l’exact croisement entre le sacré et l’humain, nous fait sentir la puissance de celui qui déclame à 20 ans : « Je serai champion du monde. » De la frime ? Non, juste la vérité… saupoudrée d’humour, de foi et d’une pincée de poésie. L. M.
L’Insoumis. L’Amérique de Mohamed Ali, de Judith Perrignon. Ed. Grasset en coédition avec France Culture, 336 pages, 20,90 euros.