La sélec­tion de novembre 2019

Margaret Atwood © Jean Malek.jpg A
© J.-M. Malek

Les Testaments, de Margaret Atwood

Suite de La Servante écar­late, publié il y a trente-​quatre ans, Les Testaments est le livre le plus atten­du au monde, en cet automne. Rarissime exemple d’un roman deve­nu un totem depuis que son adap­ta­tion en série est deve­nue culte, il n’en reste pas moins l’initiative de Margaret Atwood. La Canadienne nous ramène à Gilead, quinze ans après la fin du roman ini­tial. Mais à pré­sent, la répu­blique théo­cratique semble pour­rir de l’intérieur. Il va se pro­duire quelque chose… qui vous sera racon­té par trois nar­ra­trices. L’une est sur place, asser­vie, la deuxième de l’autre côté de la fron­tière cana­dienne, elle est oppo­sante, et la troi­sième est… à l’intérieur (du régime). Par ces voix-​là, Atwood par­vient à offrir une suite véri­ta­ble­ment lit­té­raire, fémi­niste, et sai­sis­sante. H. A.

Les Testaments, de Margaret Atwood, tra­duit de l’anglais (Canada) par Michèle Albaret-​Maatsch. Éd. Robert Laffont, 552 pages, 22,90 euros. 

L’avenir de la pla­nète com­mence dans notre assiette, de Jonathan Safran Foer

Huit ans après avoir dénon­cé les condi­tions d’élevage dans son best-​seller Faut-​il man­ger des ani­maux, le roman­cier Jonathan Safran Foer a le cran de pas­ser aux aveux : « J’ai man­gé de la viande un cer­tain nombre de fois. En géné­ral, des ham­bur­gers […]. Et la rai­son pour laquelle je l’ai fait rend mon hypo­cri­sie encore plus pitoyable : j’y trou­vais du récon­fort. » Conteur badin, empê­cheur de tour­ner en rond, il nous fait entrer dans la drô­le­rie de ses dia­logues inté­rieurs, égrène les sta­tis­tiques alar­mantes qu’il admet ne pas réus­sir à croire. Pourquoi un pays se mobi­lise ou ne se mobi­lise pas, réagit ou ne réagit pas, com­ment se tisse le voile dis­cret de « l’aveuglement volon­taire » ? Drôle et dra­ma­tique, ce récit tente d’éveiller le monde, sans mora­lisme, mais en maniant avec audace le charme et le pou­voir des « bonnes ­his­toires ». L. M.

L’avenir de la pla­nète com­mence dans notre assiette, de Jonathan Safran Foer, tra­duit de l’anglais (États-​Unis) par Marc Amfreville. Éd. L’Olivier, 304 pages, 22 euros. 

Le vieux qui vou­lait sau­ver le monde, de Jonas Jonasson

À sa sor­tie, en 2009, Le vieux qui ne vou­lait pas sou­hai­ter son anni­ver­saire a fédé­ré un tas de lec­teurs et lec­trices : 700 000 per­sonnes, deve­nues fidèles de l’auteur, le Suédois Jonas Jonasson, ancien jour­na­liste qui s’est mis à la fic­tion après avoir connu un burn-​out. Le vieux qui vou­lait sau­ver le monde est la deuxième his­toire emme­née par Allan Karlsson, le fameux « Vieux », par ailleurs mal­frat (voire cri­mi­nel), qui s’apprête ici à fêter son cent unième anni­ver­saire avec son par­te­naire Julius. Elle débute… à Bali, où nos deux types sont en vacances. Les voi­là qui s’offrent un tour en mont­gol­fière, avec quatre bou­teilles de champ. Quand celle-​ci sombre en mer… vers la Corée du Nord. Comme les his­toires pré­cé­dentes, le roman allie le gro­tesque et le grin­çant, comé­die de carac­tères et satire de roman d’espionnage. Delicious ! H. A.

Le vieux qui vou­lait sau­ver le monde, de Jonas Jonasson, tra­duit du sué­dois par Laurence Mennerich. Éd. Pocket, 512 pages, 7,90 euros.

Rhapsodie des oubliés, de Sofia Aouine

2 © Alexandre Isard A
© A.Isard

« Ma rue raconte l’histoire du monde avec une odeur de pou­belles » : c’est la rue Léon (Paris XVIIIe), c’est la pre­mière phrase du livre et elle ouvre tout un uni­vers. Par les yeux et les mots du nar­ra­teur, Abad, 13 ans, fils d’un couple de Libanais. Il vit là, et c’est l’heure de ses pre­miers émois… et délits : il sera bien­tôt condam­né pour avoir ouvert un peep-​show clan­do dans sa chambre ! Sa verve fait se cogner la diver­si­té de Barbès et les affres de la puber­té, des isla­mistes « bar­ba­pa­pas » et des mili­tantes fémi­nistes, les tra­vailleurs immi­grés d’hier et les migrants d’aujourd’hui, le crack et les putes. Si elle évite (trop) d’évoquer la gen­tri­fi­ca­tion actuelle du quar­tier, Sofia Aouine écrit une odys­sée moderne et explo­sive, qui doit à Zola et à Truffaut (influences reven­di­quées). Un pre­mier roman éblouis­sant, au croi­se­ment de l’underground urbain, du social, du lyrisme et du hard­core. H. A.

Rhapsodie des oubliés, de Sofia Aouine. Éd. La Martinière, 208 pages, 18 euros.

Ce que l’on sème, de Regina Porter

Avec son titre qui sent la pro­messe, ce pre­mier roman relève d’innombrables défis. Ce que l’on sème est un patch­work qui entre­lace la vie de deux familles amé­ri­caines, l’une noire, l’autre blanche, entre les années 1950 et le début de l’ère Obama. Pourquoi les mettre en paral­lèle ? Parce qu’elles se croisent en un point noir de l’histoire ségré­ga­tion­niste, que nous vous lais­sons décou­vrir – qui déter­mi­ne­ra leur exis­tence et celle de leurs familles, inex­tri­ca­ble­ment liées. Pour racon­ter ces décen­nies mar­quées par le racisme, mais aus­si le métis­sage ou encore l’afrofréminisme, le roman casse la chro­no­lo­gie des faits. Enchâssant les flash-​back, ce désordre… orga­ni­sé éclaire autre­ment les notions d’héritage, de mal­en­ten­dus et de rétros­pec­tives. Il se joue du temps qui passe, et nous cueille tou­jours à vif. H. A.

Ce que l’on sème, de Regina Porter, tra­duit de l’anglais (États-​Unis) par Laura Derajinski. Éd. Gallimard, 366 pages, 22 euros.

Sisyphe est une femme. La marche du cava­lier, de Geneviève Brisac

Existe-​t-​il une écri­ture fémi­nine ? En 2002, Geneviève Brisac, édi­trice et écri­vaine, avait gra­cieu­se­ment bot­té en touche en écri­vant La Marche du cava­lier, livre deve­nu une réfé­rence sur ce sujet. Ce qui existe en tout cas, répondait-​elle, ce sont les œuvres, immenses, écrites par des femmes. Aujourd’hui réédi­té, aug­men­té et rebap­ti­sé Sisyphe est une femme, ce livre nous fait che­mi­ner à tra­vers les écrits et les pen­sées de Virginia Woolf, Grace Paley, Natalia Ginzburg, Doris Lessing ou encore Marguerite Duras. Geneviève Brisac dis­cute avec ces figures qui ont chan­gé sa vie, invente par­fois ce qu’elles auraient pu dire, des cita­tions « plus vraies que vraies ». Elle nous « sup­plie » de lire ces femmes dont la « fêlure » et le manque de foi en leur propre des­tin défi­nissent l’écriture, bien plus que la bio­lo­gie. Ces femmes que l’on efface du pay­sage au fil des siècles. À notre tour de vous sup­plier de lire ce récit cho­ral, qui ana­lyse avec finesse le « mal­en­ten­du » entre les sexes. L. M.

Sisyphe est une femme. La marche du cava­lier, de Geneviève Brisac. Éd. L’Olivier/coll. Les Feux, 216 pages, 17 euros. 

L’Insoumis. L’Amérique de Mohamed Ali, de Judith Perrignon

L’histoire com­mence dans une salle de sport à Miami en 1964. Robert Lipsyte, sta­giaire au New York Times, attend la fin d’un match de boxe soi-​­disant plié d’avance : le débu­tant Cassius Clay contre le cham­pion du monde Sonny Liston. Ce jour-​là, Sonny Liston perd son titre et Cassius Clay (le futur Mohamed Ali), 22 ans, devient un héros. Retraçant l’enquête qu’elle a menée pour une série docu­men­taire sur France Culture, Judith Perrignon nous fait entendre celles et ceux qui ont chan­gé la vie de Mohamed Ali : le jour­na­liste spor­tif Robert Lipsyte, ses amis d’enfance, ou encore les proches et ­dis­ciples d’Elijah Muhammad, diri­geant de l’organisation reli­gieuse Nation of Islam et guide spi­ri­tuel du boxeur… Ce récit ardent nous entraîne à l’exact croi­se­ment entre le sacré et l’humain, nous fait sen­tir la puis­sance de celui qui déclame à 20 ans : « Je serai cham­pion du monde. » De la frime ? Non, juste la véri­té… sau­pou­drée d’humour, de foi et d’une pin­cée de poé­sie. L. M.

L’Insoumis. L’Amérique de Mohamed Ali, de Judith Perrignon. Ed. Grasset en coédi­tion avec France Culture, 336 pages, 20,90 euros. 

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