livr
La librairie Un livre et une tasse de thé (©Clément Boutin)

La librai­rie fémi­niste Un livre et une tasse de thé vic­time de cyber-​harcèlement pour son enga­ge­ment politique

Face au flot d'insultes et de cri­tiques, les deux fon­da­trices ont reçu une vague de sou­tien qui leur a per­mis d’obtenir les 20.000 euros qui leur man­quaient pour « sau­ver » leur librairie.

Bonne nou­velle, la librai­rie fémi­niste pari­sienne Un livre et une tasse de thé, fon­dée par Annabelle Chauvet et Juliette Debrix, est désor­mais sau­vée. Leur cam­pagne de crowd­fun­ding – qui se ter­mine demain – a en effet atteint hier les 85.000 euros néces­saires pour épon­ger leurs dettes auprès de leurs four­nis­seurs et repar­tir de zéro. Pourtant, pour l’heure, le cœur n’est pas à la fête. Et pour cause : les jeune femmes subissent actuel­le­ment une vague de cyber-​harcèlement. Dimanche, Télérama publie sur son site un article sur les dif­fi­cul­tés finan­cières que connaissent les librai­ries fémi­nistes, dont Un livre et une tasse de thé, qui avait lan­cé fin mai une cam­pagne de crowd­fun­ding pour « sau­ver » l'établissement. 

« Dès le len­de­main, un homme nous tombe des­sus sur Twitter », explique Annabelle Chauvet à Causette. Le tweet en ques­tion pro­vient du compte du jour­na­liste indé­pen­dant Jérôme Godefroy recen­sant plus de 50.000 abonné·es : « Cette petite librai­rie rue René Boulanger (75010) est à 50 mètres de chez moi. Pendant plus de 15 ans, j’y ai ache­té presque tous mes livres et j’en achète beau­coup. Depuis qu’elle est deve­nue en novembre 2020 Un livre et une tasse de thé, “librai­rie fémi­niste”, je me sens évi­dem­ment exclu. J’achète mes livres ailleurs (L’Acacia, bd du Temple). Désolé, le mili­tan­tisme cli­vant, c’est mau­vais pour le com­merce. D’ailleurs, la bou­tique est au bord de la faillite ».

« On sent que notre mili­tan­tisme dérange. »

Annabelle Chauvet

Depuis, le tweet a été vu plus de 780.000 fois et les co-​gérantes sont vic­times d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux. « Un livre, une tas­se­pé », « En plus ce sont deux thons ! », « On vous sou­haite une ago­nie dou­lou­reuse », « Du coup ça serait plu­tôt Unlivreunetanasse », peut-​on lire sur Twitter par exemple. On leur reproche notam­ment leur enga­ge­ment poli­tique. « Une libraire n’a pas à être mili­tante. On les attend ouvertes, tolé­rantes et plu­ra­listes », tweete ain­si un internaute. 

Une cri­tique éga­le­ment émise par Didier Grevel, délé­gué géné­ral de l’Association déve­lop­pe­ment de la librai­rie de créa­tion (Adelc), qui délivre des sub­ven­tions occa­sion­nelles aux librai­ries, dans l’article de Télérama : « Ces nou­velles librai­ries mili­tantes parient sur des cli­vages. C’est se pri­ver de public et se com­pli­quer la tâche […] C’est le piège du maga­sin que l’on gère comme un lieu idéo­lo­gique. Ces gens ima­ginent des pro­jets de vie, mais se heurtent à des contraintes de mar­ché. » En réac­tion à la publi­ca­tion de l'article, les co-​gérantes ont d'ailleurs publié une tri­bune sur twit­ter dimanche. « Non, nous ne sommes pas un “lieu idéo­lo­gique”, nous avons un pro­jet poli­tique. Celui de don­ner la place aux voix qui n’en n’ont pas dans la socié­té, de pro­mou­voir les fémi­nismes comme les luttes sociales cri­tiques du capi­ta­lisme, du colo­nia­lisme et du patriar­cat, de don­ner à lire des fic­tions qui pensent un autre monde », écrivent-​elles.

Aujourd'hui, les deux libraires tentent de gar­der la tête hors de l'eau. « On est encore en train de com­prendre ce qui nous arrive, c’est la pre­mière fois que l’on subit du cyber-​harcèlement et ce n'est évi­dem­ment pas du tout agréable, témoigne Annabelle Chauvet. On sent que notre mili­tan­tisme dérange et qu’on existe trop dans l’espace public pour cer­taines per­sonnes. » Les libraires envi­sagent désor­mais de por­ter plainte pour cyber-​harcèlement. « Ça nous semble essen­tiel de ne pas lais­ser pas­ser cela et on a besoin d’être pro­té­gées, notre adresse est publique, on est for­cé­ment expo­sées », souligne-​t-​elle affir­mant avoir éga­le­ment reçu des menaces par mes­sages privés. 

Vague de soutien 

Annabelle Chauvet et Juliette Debrix affirment à Causette n’avoir reçu aucun sou­tien de la part du Centre natio­nal du livre (CNL), du Syndicat de la librai­rie fran­çaise (SLF) ou des médias dédiés aux livres. « On se sent iso­lées du fait de notre enga­ge­ment », déplore Annabelle Chauvet. En revanche, elles ont reçu beau­coup de sou­tien d’anonymes, de jour­na­listes et de militant·es fémi­nistes, notam­ment du méde­cin géné­ra­liste et écri­vain Baptiste Beaulieu. « Une femme est pas­sée à la librai­rie hier soir sim­ple­ment pour nous expri­mer son sou­tien et nous dire de ne pas lâcher », raconte la libraire. 

Un sou­tien, une visi­bi­li­té et une expo­si­tion publique qui leur a d’ailleurs per­mis d’obtenir les 20.000 euros qui leur man­quaient pour « sau­ver » leur librai­rie. Malgré une clien­tèle « pré­sente » et une équipe « plus que jamais moti­vée et enga­gée », les dif­fi­cul­tés finan­cières de l'établissement « sont trop impor­tantes », expliquaient-​elles en mai der­nier. La libraire est donc désor­mais sau­vée. « Ironiquement c’est peut-​être grâce au tweet de Jérôme Godefroy que l’on a pu sau­ver notre librai­rie, raille Annabelle Chauvet. Pour l’instant, on a encore un peu de mal à réa­li­ser car on a la tête sous l’eau avec ce flot de haine mais on est très heu­reuses et on a hâte d’être en sep­tembre pour atta­quer serei­ne­ment la ren­trée littéraire. » 

Lire aus­si I Paris : la librai­rie fémi­niste Un livre et une tasse de thé lance un crowd­fun­ding pour « sau­ver » l'établissement

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accom­pa­gner les com­bats qui vous animent, en fai­sant un don pour que nous conti­nuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés