Projet sans titre

Avec ses lec­tures au coin du feu, Julie-​Marie Parmentier enchante (et calme) Twitter

Plusieurs fois par semaine, sur son compte Twitter, l’actrice et comé­dienne Julie-​Marie Parmentier offre à ses mil­liers d’abonné·es une lec­ture d’un extrait de roman, de pièce de théâtre ou d’un poème. 

Le suc­cès de ses vidéos est une bouf­fée de consen­sus artis­tique bien­ve­nu dans la marre des polé­miques Twitter. Depuis près d’un an, comme beau­coup d’entre nous, Julie-​Marie Parmentier se met en scène sur inter­net. Plusieurs fois par semaine, ses quelque 18 000 abonné·es ont, en effet, l’occasion de croi­ser la longue che­ve­lure rousse et la peau lai­teuse de la comé­dienne de 40 ans dans de courtes vidéos de deux minutes vingt. Format Twitter oblige. Mais qu’elle se filme ados­sée contre un châ­tai­gner, assise au bord d’une rivière ou lovée au coin du feu, deux acces­soires res­tent immuables : de fines lunettes rondes, tou­jours sur le bout du nez et un bou­quin entre les mains. Et pour cause : concept ori­gi­nal sur Twitter, où l’ambiance se prête davan­tage aux pun­chlines et aux polé­miques, Julie-​Marie Parmentier se pré­sente face camé­ra pour… lire.

Au pro­gramme de ses « lectures-​veillées » – comme elle les appelle -, des extraits de romans, de pièces de théâtre, de livres phi­lo­so­phiques et de poé­sies. Dans la bouche de cette femme gra­cile à l’allure de Madone se mêlent moult auteur·rices de tous les genres et de tous les siècles. Parmi les heureux·euses élu·es, on retrouve Molière, Racine, Anna de Noailles, Camus, Baudelaire, Anne Frank, Lewis Carroll, Mohamed Ali ou encore l'avocat péna­liste dit Maître Mô [Jean-​Yves Moyard, décé­dé en février der­nier, ndlr] entre autres. Dernière lecture-​veillée en date, le 23 novembre : la comé­dienne a lu un extrait de L'homme qui rit, de Victor Hugo. 

Dès l’enfance

À lire les dizaines de com­men­taires enjoués sous les vidéos de Julie-​Marie Parmentier, le suc­cès est au rendez-​vous. Et si cela fonc­tionne, ce n'est évi­dem­ment pas un hasard. Car Julie-​Marie Parmentier n’est pas une néo­phyte en matière de 5e art, de 6e et 7e non plus d’ailleurs, en témoigne sa nomi­na­tion – à 27 ans – aux Molières dans la caté­go­rie révé­la­tion théâ­trale fémi­nine. Mais si elle n’est pas avare de paroles concer­nant son métier de comé­dienne et d'autrice, sur sa vie pri­vée, Julie Parmentier reste secrète. Une pudeur que la qua­dra­gé­naire attri­bue à sa grande timi­di­té mais éga­le­ment au fait que, pour elle, l’important se trouve ailleurs. Tout juste avons-​nous pu sai­sir au vol, au fil de la conver­sa­tion télé­pho­nique, qu’elle vit reti­rée « qua­si reli­gieu­se­ment » avec son mari dans un coin de forêt du sud de la France. 

Julie-​Marie Parmentier nous appren­dra tout de même qu'elle a gran­di au sein d’une famille modeste dans le Nord et que, petite, elle lit déjà tout ce qui lui passe sous la main. « Mes parents n’ont jamais vrai­ment aimé la lit­té­ra­ture, je crois que mon père n’a jamais ouvert un livre d’ailleurs, pré­cise ‑t-​elle. Mais moi, je lisais tout et n’importe quoi : le bot­tin, le jour­nal, le pro­gramme télé, les publi­ci­tés… » 

« Je me suis réfu­giée pen­dant long­temps dans les pièces de théâtre où j’inventais mon propre univers »

Passionnée de lec­ture, la petite fille s’intéresse tout natu­rel­le­ment dans le même temps à l’écriture. « Vers mes 7 ans, j’ai com­men­cé à écrire pour moi des petites chan­sons et des petites poé­sies, raconte-​elle. Je n’ai jamais vrai­ment arrê­té depuis. » Une chose en entraî­nant une autre, deux ans après les pré­misses de sa pas­sion, c’est pour le théâtre qu’elle tombe véri­ta­ble­ment sous le charme. Avec sa troupe de théâtre de rue, elle harangue les passant·es sur la place de sa ville natale de Saint-​Quentin, dans l’Aisne. À 9 ans, Julie-​Marie Parmentier inter­prète Le Petit Prince, de Saint-​Exupéry. À 13, Les Femmes savantes, de Molière.

Celle qui se défi­nit comme une grande timide se pro­duit au milieu des gens mais aus­si dans les hôpi­taux, devant des enfants malades ou encore devant les locaux d'Emmaüs. Le théâtre de rue « sau­ve­ra » cette enfant qui n’est pas de la balle et dont se moquent régu­liè­re­ment ses cama­rades. « Les autres enfants me har­ce­laient, ils pen­saient que j’étais bizarre parce que je pas­sais mon temps à lire et écrire, confie-​t-​elle. Alors, je me suis réfu­giée pen­dant long­temps dans les pièces de théâtre dans les­quelles j’inventais mon propre univers. »

Un refuge qui devien­dra rapi­de­ment son quo­ti­dien et, dès l’adolescence, son gagne pain. À 15 ans, Julie-​Marie Parmentier est repé­rée dans un cas­ting par la réa­li­sa­trice Noémie Lvovsky. Elle tourne son pre­mier long-​métrage, Petites, sous sa direc­tion. « C’était très impor­tant pour moi que ma pas­sion se concré­tise, soutient-​elle. Même si ce n’était pas tou­jours facile. Je n’ai jamais pris le théâtre à la légère, mais avec la rigueur et l’exigence de cer­tains réa­li­sa­teurs comme Noémie Lvovsky, j’ai com­pris qu’interpréter des rôles, c’était beau­coup de res­pon­sa­bi­li­tés. » Des res­pon­sa­bi­li­tés par­fois « écra­santes » pour une toute jeune ado­les­cente, mais Julie-​Marie s’accroche et décroche des rôles sur grands et petits écrans. Elle n'a même pas 20 ans lorsqu'elle reçoit la vali­da­tion de ses pairs : une nomi­na­tion pour le César du meilleur espoir fémi­nin pour son rôle dans Les Blessures assas­sines, de Jean-​Pierre Denis. 

Succès pari­sien…

Si elle s'est rapi­de­ment fait un nom dans le monde fer­mé du ciné­ma fran­çais, Julie-​Marie Parmentier n'abandonne pas les planches pour autant. À 22 ans, elle fait LA ren­contre pro­fes­sion­nelle et artis­tique qui, comme elle le répète encore aujourd’hui, « chan­ge­ra sa vie ». Julie-​Marie Parmentier est enga­gée par le met­teur en scène André Engel. Avec lui, elle joue­ra à de nom­breuses reprises, dont deux fois aux côtés de Michel Piccoli. « Avec André Engel, n’importe quel rôle devient une cathé­drale », se souvient-​elle avec émotion. 

Les suc­cès s'enchaînent alors pour la jeune femme, nom­mée aux Molières en 2008 – elle a alors 27 ans – dans la caté­go­rie révé­la­tion théâ­trale fémi­nine, puis intro­ni­sée à la Comédie-​Française en 2010. De cette période Julie-​Marie Parmentier garde « de bons sou­ve­nirs sans avoir grand chose à ajou­ter ». Car ce qui aurait alors dû être vécu comme une consé­cra­tion s’avère davan­tage rele­ver de la pri­son dorée. « Les riva­li­tés, les contraintes, la vie pari­sienne, la foule… Tout cela deve­nait de plus en plus lourd à sup­por­ter pour moi, ça m’écrasait lit­té­ra­le­ment, par­tage la comé­dienne avec sin­cé­ri­té. Je me suis ren­du compte que ce qui me ren­dait heu­reuse, ce n’était pas de cou­rir après la gloire et les repré­sen­ta­tions mais d’être au lit avec un bon livre et une bouillotte. »

… Et désillusions

Alors seule­ment deux ans après sa nomi­na­tion à la mai­son de Molière, per­due dans l’océan de la capi­tale, Julie-​Marie Parmentier décide de remon­ter le cou­rant. Et de reve­nir à la source. Elle quitte la four­mi­lière bruis­sante de Paris pour le silence de la cam­pagne. La comé­dienne conti­nue­ra à accep­ter quelques rôles au théâtre, à la télé­vi­sion et au ciné­ma avant de rac­cro­cher pour de bon l’épais velours rouge il y a cinq ans, pour se consa­crer, cette fois, plei­ne­ment à l’écriture. « Certaines per­sonnes du métier n’ont pas com­pris mon choix car, pour elles, le but d’un comé­dien est d’obtenir des rôles », indique-​t-​elle. Le but de Julie-​Marie Parmentier, lui, est plu­tôt de remettre l'accessibilité au cœur d’un art qui a ten­dance à vivre dans l’entre soi. « Au théâtre, on est fina­le­ment pri­son­niers en tant que comé­diens, affirme Julie-​Marie Parmentier. Faire payer aux gens, jouer enfer­mée tous les soirs à la même heure, ce n’était pas pour moi. »

Après avoir long­temps éco­no­mi­sé « comme une petite four­mi », Julie-​Marie Parmentier peut désor­mais se per­mettre d’offrir de l’art gra­tui­te­ment – comme au temps du théâtre de rue. À tra­vers son site, où elle publie ses poèmes et ses petites pièces de théâtre qu’elle écrit et inter­prète seule. Et sur Twitter, en deux minutes vingt, donc. Cette idée de « lectures-​veillées » a d'ailleurs démar­ré par une reven­di­ca­tion sur la toile le 9 février der­nier. Une fausse rumeur court à l’époque : des ins­tances cultu­relles, dont l'ancien employeur de Julie ‑Marie, la Comédie-​Française, sou­hai­te­raient réécrire les œuvres de Molière pour les rendre plus acces­sibles aux jeunes. L'information n'était pas vraie, mais elle a impul­sé chez Julie-​Marie une réac­tion créa­trice. « J’ai trou­vé ça extrê­me­ment dan­ge­reux de vou­loir réécrire les pièces de Molière, confie-​t-​elle. Enfant, ce sont les mots de Molière qui m'ont mis le pied à l'étrier. »

Alors, celle qui pos­sé­dait déjà à l’époque une chaîne Youtube sur la lit­té­ra­ture – fer­mée depuis – décide d'enregistrer une vidéo, où elle lit un pas­sage du Bourgeois Gentilhomme. L’extrait de la pièce du plus célèbre des dra­ma­turges lu dans la vidéo « Il paraît qu’il y a un pro­blème avec Molière ? » n’est pas choi­si au hasard. Dans cette scène IV de l’acte II, Monsieur Jourdain demande de l’aide à un maître de phi­lo­so­phie pour décla­rer sa flamme à Dorimène. Le maître finit par lui démon­trer que sa pre­mière idée était la bonne. « Avec ce pas­sage, je vou­lais mon­trer que la meilleure ver­sion est tou­jours la pre­mière et qu’il vaut mieux ne rien changer. »

« Beaucoup de gens m’écrivent d’ailleurs en s’excusant de ne pas connaître tel ou tel auteur, telle ou telle œuvre, je leur réponds tou­jours qu’il ne faut pas s’excuser car on est tous des igno­rants en matière de culture »

Et les retours sont spec­ta­cu­laires. Son inter­pré­ta­tion du Bourgeois Gentilhomme atteint plu­sieurs mil­liers de vues en quelques jours. « Ce suc­cès m’a com­plè­te­ment débous­so­lé, je dois dire, avoue Julie-​Marie Parmentier. Tout s’est vite enchaî­né, j’ai reçu des cen­taines de mes­sages dans les­quels on me deman­dait de tour­ner d’autres vidéos où je lisais des extraits. Maintenant, j’y pense tout le temps, j’ai même dû faire une liste de mes pro­chaines lec­tures pour ne pas me perdre. » Il faut dire qu’en pleine pan­dé­mie mon­diale, alors que les théâtres et ciné­mas affi­chaient portes closes, les inter­ludes lit­té­raires de Julie-​Marie appa­raissent rapi­de­ment comme une récréa­tion nécessaire. 

Retrouver le public

Le rythme, la voix, le ton, tout est là. Même en deux minutes. « Le for­mat est court, c’est vrai, mais ce qui aurait pu être une contrainte est au final un exer­cice inté­res­sant, assure-​t-​elle. Ce rythme me plaît car je dois choi­sir le nec­tar d’un pas­sage qui tien­dra en deux minutes, pas plus, pas moins. » Et comme au temps où, enfant, elle jouait au milieu des badauds, Julie-​Marie Parmentier a fina­le­ment su retrou­ver un autre contact – même vir­tuel – avec le public. « C’est un véri­table échange, ils me donnent des idées de lec­ture, me font décou­vrir de nou­veaux auteurs, indique la comé­dienne. Beaucoup de gens m’écrivent d’ailleurs en s’excusant de ne pas connaître tel ou tel auteur, telle ou telle œuvre, je leur réponds tou­jours qu’il ne faut pas s’excuser car on est tous des igno­rants en matière de culture. »

Loin du tin­ta­marre pari­sien et des pro­jec­teurs, Julie-​Marie Parmentier semble avoir trou­vé entre nature, lec­ture et écri­ture, la séré­ni­té. Et lorsqu’on lui parle d’avenir, la biblio­phile ne voit rien de tra­cé. « Je ne sais pas quand s'arrêteront ces lectures-​veillées, souffle la comé­dienne. Ce que je peux vous dire c’est que je sens que ça va m’amener quelque part, mais je ne peux pas dire où. » Peut-​être vers un for­mat audio ? Car après avoir lu des cen­taines d’extraits d’autrui, Julie-​Marie Parmentier nous confie réflé­chir actuel­le­ment à une série de pod­casts où elle lira cette fois ses propres écrits. 

Et, à la ques­tion reviendra-​t-​elle un jour sur les planches ou sur nos écrans, sa réponse est pour l’instant sans appel : « Je ne sais pas ce que je ferai dans vingt ou trente ans, mais ce dont je suis cer­taine c’est qu’actuellement, je vis un bon­heur constant. Cela rem­place tous les pics d’adrénaline et d’ivresse que j’ai pu connaître avant. Ici, entou­rée de mes livres et de la nature, je suis libre, et ça, c’est extrê­me­ment précieux. » 

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.