Chloé Delaume : Bridget Jones post-#Metoo

En cette ren­trée, Chloé Delaume – qui a mis un bon coup de pied dans la four­mi­lière il y a un an et demi avec son pam­phlet fémi­niste Mes bien chères sœurs – revient avec une comé­die sur le céli­bat truf­fée de pun­chlines hila­rantes, Le Cœur syn­thé­tique. Une impi­toyable ana­lyse socio­lo­gique du mar­ché de la séduc­tion pas­sé 45 ans. Où il est beau­coup ques­tion de lose, des para­doxes du fémi­nisme
et de soro­ri­té. Le tout sau­pou­dré d’une touche de sor­cel­le­rie. Irrésistible ! 

ouv doss 114
©Marie Rouge

Causette : À peine un an et demi depuis Mes bien chères sœurs ! Vous l’avez écrit hyper vite, ce nou­veau livre. 
Chloé Delaume : En trois mois ! Je l’ai écrit sous forme d’épisodes et chaque fois que j’en finis­sais un, je l’envoyais à mes copines. Du coup, j’étais dans l’urgence de faire l’andouille pour les faire rire. C’est une paro­die de chick lit ! Il y a tous les ingré­dients, mais twis­tés. C’est une sorte de Bridget Jones qui lose et attend le prince char­mant comme une débile. 

Qu’est-ce qui vous a menée sur cette voie ? 
C. D. : La situa­tion géné­rale de mon groupe soro­ral de céli­ba­taires. Avec des pro­fils très variés, des attentes et des modes rela­tion­nels très dif­fé­rents. Certaines sur Tinder, cer­taines qui courent les fêtes, d’autres qui ont fait le deuil depuis bien long­temps. Moi, je suis vrai­ment une fille des années 1980, je passe trois heures par jour avec des copines au télé­phone. Donc je me nour­ris beau­coup des récits qu’on me fait. Je me suis retrou­vée avec un nombre de récits incal­cu­lables qui conver­geaient tous vers la même chose : la lose sen­ti­men­tale et toutes ses incar­na­tions. Et puis je losais moi aus­si, que les choses soient claires. Donc je me suis dit, on tient un sujet ! On peut peut-​être diver­tir les copines avec la des­crip­tion de ce moment où, pas­sé 45 ans, on est hyper auto­nomes, où on a une vision fémi­niste du rap­port aux hommes, mais où, pour cer­taines femmes hété­ros, on se sent quand même incom­plètes de ne pas être en couple avec un homme. C’est très dif­fi­cile à gérer d’autant que, dans cette tranche d’âge, le mec peut com­plè­te­ment être alpha, donc poten­tiel­le­ment un enne­mi. Du coup, on se dit que c’est quand même une putain de malé­dic­tion d’être hétéro. 

Sur le mar­ché de la séduc­tion, votre héroïne a la désa­gréable impres­sion, comme vous l’écrivez avec humour, de ne pas valoir « plus qu’une bar­quette de viande ava­riée »… 
C. D. : C’est mal­heu­reu­se­ment bien sou­vent le regard qui est posé par les hommes sur les femmes de plus de 40 ans. Elle est confron­tée à une réa­li­té très cruelle qui est qu’elle est désor­mais mise en concur­rence avec les plus jeunes. Ils ne le reven­diquent pas tous comme Yann Moix, mais dans les faits, le constat est là… Je crois que ça les ras­sure pro­fon­dé­ment. Moi, j’ai consta­té que des hété­ros très bien, avec un cer­veau bien fait et tout, sont allés après une pre­mière union vers l’assistante, la col­lègue qui a dix ans de moins, etc. Ils y ont accès, pour­quoi se pri­ver ! Mais c’est évi­dem­ment prendre l’ascendant sur elles. Avec un écart d’âge, il brille­ra tou­jours. Même s’il est moins culti­vé qu’elle ! 
Les femmes, elles, bien sou­vent, s’ennuient avec des hommes plus jeunes. Ça ne l’excite pas de ne pas être chal­len­gée, la meuf ! Le gar­çon, il sem­ble­rait qu’être chal­len­gé le fatigue… Résultat, les femmes de mon âge se retrouvent à n’avoir accès qu’à des pro­fils de vieux gar­çons ou dys­fonc­tion­nant, en fait. Où l’égoïsme est roi. Où la notion de par­tage est très dif­fi­cile. Si, en tant que fémi­niste, on n’a pas envie de faire des com­pro­mis et qu’on n’est pas non plus hyper aven­tu­rière, qu’on n’a pas envie de cou­cher pour le fun, bah, on se retrouve rapi­de­ment abs­ti­nente. Car, plu­tôt que de s’acharner à se taper des rela­tions pour­ries, on attend gen­ti­ment que ça passe. Donc, je consi­dère qu’il y a une géné­ra­tion sacri­fiée, la mienne ! Et puis il y a le pro­blème des chiffres. C’est-à-dire qu’il y a plus de femmes que d’hommes. Alors, fata­le­ment, il y a des femmes « en trop ». Y a plus d’offres que de demandes. 

Et vous, vous en êtes où ? 
C. D. : Moi je suis en mode « j’ai autre chose à faire ». Je n’ai pas un rap­port de diver­tis­se­ment au flirt, à la baga­telle. Ça me fra­gi­lise plus que ça ne me gal­va­nise. Je suis plu­tôt pas­sive dans la chasse. Et puis, si on veut sérieu­se­ment trou­ver quelqu’un, c’est un tra­vail à plein temps quoi ! Ah non ! moi, j’ai un scé­na­rio à finir pour la ren­trée avec des zom­bies dedans, c’est beau­coup plus important !

Pourtant, vous vous épa­nouis­sez dans le couple ? 
C. D. : Oui, moi la conju­ga­li­té me va plu­tôt bien au teint. C’est un fait ! Toute ma vie, avant ma sépa­ra­tion, j’ai été de bras en bras, je n’avais jamais connu le céli­bat plus de trois mois. D’ailleurs, je ne me ren­dais même pas compte que j’avais été exces­si­ve­ment pré­ser­vée dans mon par­cours amou­reux. J’avais des his­toires longues que je rom­pais, car je ren­con­trais quelqu’un d’autre. Du coup, je n’étais pas pré­pa­rée à la soli­tude. Dans un pre­mier temps, il a fal­lu que j’apprivoise ce temps flot­tant… Mais au final, j’arrive à l’âge où les com­pro­mis qu’implique la conju­ga­li­té, je ne suis plus prête à les faire. Par exemple, je ne me vois plus habi­ter avec quelqu’un alors que je l’ai tou­jours fait depuis mes 17 ans. Depuis que je suis seule, je tra­vaille un tiers de plus. Et ça me plaît bien. Le couple hété­ro, c’est beau­coup de temps pas­sé à écou­ter l’homme. Même à 50 balais, le mec, il ne se connaît pas très bien. Et ce côté : « Je te raconte mon rêve de la nuit » ; « Je ne sais pas trop où j’en suis, aide-​moi », je n’en veux plus. Cette charge émo­tion­nelle, en plus de tenir la baraque, j’en ai plus envie. Ou alors il m’en fau­drait un extrê­me­ment auto­nome et qui se connaî­trait très bien. Mais alors, ça res­sem­ble­rait à une fille ! Or, j’ai déjà eu une his­toire d’amour avec une fille et je sais que c’était cette per­sonne, mais c’est tout. Car je ne suis pas atti­rée sexuel­le­ment par les filles, je sais que ça ne va pas se repro­duire. Je serais les­bienne, ce serait sûre­ment com­pli­qué ailleurs, mais je pense que ce serait plus simple dans le rap­port de conni­vence immé­diate, de fluidité. 

Comment concrè­te­ment mettez-​vous la soro­ri­té, très pré­sente
dans votre livre, en pra­tique ? 

C. D. : Il y a la soro­ri­té dans le cercle proche où on sait qu’il y a un lien indé­fec­tible et que si l’une d’entre nous a un pro­blème, nous trou­ve­rons une solu­tion. Et je dis « nous » à des­sein, car c’est vrai­ment une ques­tion de consti­tu­tion de groupe. Et puis il y a la soro­ri­té avec des incon­nues. Une sorte d’identification en un coup d’œil qui fait qu’on est dans la bien­veillance et le sou­tien. Pour moi, ça, c’est une arme de des­truc­tion mas­sive. Et pour­tant, je ne suis pas dans la bien­veillance à tout crin. J’ai plu­tôt un côté très sombre… Mais ça, c’est très effec­tif. Si dans une fête, un dîner, un homme fait preuve de pater­na­lisme, on se regarde et on sait que le cercle est là. Il va y avoir un sou­tien par la parole et par le geste. C’est très concret. Depuis qu’on a le mot, c’est beau­coup plus fort.


Le Cœur syn­thé­tique
de Chloé Delaume. Éd. du Seuil.
208 pages, 18 euros. 

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.