Baptiste Beaulieu vous recom­mande « Le Gardeur de troupeaux »

Chaque mois, un auteur, une autrice, que Causette aime, nous confie l’un de ses coups de cœur littéraires. 

2021 c Baptiste Beaulieu A

Étudiant en méde­cine, j’ai un jour été confron­té à la mort d’un enfant. Pourquoi cet enfant était-​il mort ? Pourquoi ses parents et ses grands-​­parents devaient-​ils souf­frir de son absence en lui sur­vi­vant ? Pourquoi l’ordre des choses avait-​il été bous­cu­lé ainsi ? 

Plusieurs semaines ont pas­sé, où j’ai eu à subir un déla­bre­ment moral majeur, cher­chant déses­pé­ré­ment des réponses à mes ques­tions, me tour­nant vers la ver­ti­ca­li­té des reli­gions, n’y trou­vant rien de bien satis­fai­sant (toutes fai­saient appel à un infra-​monde dont le coût cog­ni­tif me parais­sait trop onéreux).

C’est le hasard, fina­le­ment, qui m’a mis face à ce livre, Le Gardeur de trou­peaux, de Fernando Pessoa. Un ouvrage sin­gu­lier. Écrit d’une traite par le poète por­tu­gais, dans un moment de transe ou de ful­gu­rance pro­phé­tique, tel qu’il la décrit lui-même.

« Un jour […] – c’était le 8 mars 1914 –, je me mis à écrire, debout. Et j’ai écrit trente et quelques poèmes d’affilée, dans une sorte d’extase dont je ne sau­rais défi­nir la nature. Ce fut le jour triom­phal de ma vie et je ne pour­rai en connaître d’autres comme celui-là. »

Ce recueil de poèmes, à la sim­pli­ci­té désar­mante, m’a gué­ri de tous mes tour­ments. Mieux que la Bible, la Torah ou le Coran. Je n’avais, jamais, lu quelque chose comme cela. 

Nous avons ce ber­ger, ce gar­deur de trou­peaux, qui sort de chez lui, qui se pro­mène dans la cam­pagne, qui raconte ce qu’il voit, ce qu’il sent, ce qu’il entend, et qui nous explique qu’il faut aimer les arbres, les rivières, le vent, non parce qu’il fau­drait abso­lu­ment leur trou­ver une âme en les peu­plant d’êtres féé­riques, mais parce qu’ils sont là, dans toute leur sim­pli­ci­té nue. Le poète ne doit pas tri­cher : il doit aimer la réa­li­té pour ce que la réa­li­té est onto­lo­gi­que­ment, et non pour ce qu’il aime­rait qu’elle soit, c’est-à-dire apprê­tée (de mots, de méta­phores, de sym­boles, donc de sens). Aimer la véri­té du monde en quelque sorte, pour rien.

J’ai lu ce recueil, stu­pé­fait, avec l’impression de trou­ver une réponse inédite à mes ques­tions. Oui, bonnes ou mau­vaises, la Terre doit être pleine de plein de choses, car si une seule chose man­quait, alors le monde men­ti­rait sur sa nature pro­fonde, et rien ne devrait men­tir ici-​bas aux hommes que nous sommes. Ces poèmes ne disent rien du grand mys­tère, ni de l’existence, ni de la ques­tion du bien ou du mal, mais ils disent sim­ple­ment, et c’est génial, que les choses sont ce qu’elles sont, et que si elles n’étaient pas ain­si, alors ce ber­ger en contem­pla­tion ne serait pas ce ber­ger, et je ne serais plus cet étu­diant en méde­cine qui pleure la mort d’un enfant. Le monde ne ment pas. Merci Fernando Pessoa. 

Le Gardeur de troupeaux et les autres poemes d Alberto Caeiro Poesies d Alvaro de Campos A

Le Gardeur de trou­peaux,
de Fernando Pessoa, tra­duit du por­tu­gais par Armand Guibert.
Éd. Gallimard, 288 pages, 9,50 euros, 1987.


En librai­rie : Celle qu’il attendait 

Après être deve­nu blo­gueur mili­tant, roman­cier à suc­cès et chro­ni­queur sur France Inter, le jeune méde­cin Baptiste Beaulieu quitte le sol pour nous inven­ter la romance la plus per­chée qui soit. Son cin­quième roman, Celle qu’il atten­dait, raconte la ren­contre fan­tas­tique entre Eugénie et Joséphin. Chauffeur de taxi né dans un pays en guerre, Joséphin, « maigre bon­homme aux épaules en gui­don de vélo », a presque per­du l’usage de la parole. Il ne retrouve les mots que lorsqu’il se met à créer des vases en céra­mique. Eugénie, « jeune femme au dos en point d’interrogation », dis­cri­mi­née de toutes parts dans un monde sexiste et violent, souffre elle aus­si d’avoir oublié les plus jolis mots de sa mémoire. Son rêve ? Devenir inven­trice et créer une machine qui puisse sau­ver les femmes. Abordant de front le racisme, la gros­so­pho­bie et la dif­fé­rence, avec jus­tesse et décence, Baptiste Beaulieu nous emmène loin d’ici, dans un monde où deux « empo­tés magni­fiques » par­viennent à s’écouter, à « s’entraimer » et à se répa­rer. Une dose d’espoir à boire d’une traite. Lauren Malka 

Celle quil attendait A

Celle qu’il atten­dait, de Baptiste Beaulieu. Éd. Fayard, 342 pages, 18,50 euros.

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