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© Clay Enos / TM - DC Comics /2020 WARNERS BROS

Wonder Woman : retour sur LA pin-​up badass

Mise à jour 31/​03/​2021 : Devant l'absence de pers­pec­tive pour la réou­ver­ture des salles de ciné­ma en France, la Warner a déci­dé de sor­tir Wonder Woman 1984 – qui devait ini­tia­le­ment sor­tir sur grand écran fin 2020 – direc­te­ment en ligne ce 31 mars. La suite des aven­tures de la super-​héroïne 100 % made in USA sera ensuite dis­po­nible le 7 avril en VOD sur la plu­part des pla­te­formes et en DVD, puis sur Canal+.

Causette vous pro­pose un retour sur l’histoire mécon­nue de cette Amazone. Car se plon­ger dans les ori­gines de ce sym­bole de la pop culture, c’est côtoyer les suf­fra­gettes, les fémi­nistes de la deuxième vague et la toute-​puissance du patriarcat.

« Est-​ce que Wonder Woman devrait, même si elle est une femme, deve­nir membre de la Société de jus­tice d’Amérique ? » Printemps 1942. La ques­tion, publiée dans les pages de la revue 100 % BD All Star Comics, sous la forme d’un sérieux réfé­ren­dum, s’adresse aux bam­bins des États-​Unis qui pataugent alors en plein conflit mon­dial. Depuis un an, une nou­velle héroïne à la tenue bario­lée aux cou­leurs du dra­peau de l’Oncle Sam sauve le pays aux côtés de Batman et Superman. Il s’agit, par ce plé­bis­cite, d’officialiser une bonne fois pour toutes son inté­gra­tion dans l’univers ultra­vi­ril des super-​héros. Un raz de marée de cour­riers à l’écriture hési­tante inonde les locaux de l’éditeur All-​American Publications (qui devien­dra plus tard le mas­to­donte DC Comics). « 1 265 gar­çons et 333 filles ont dit oui, 197 gar­çons et 6 filles ont dit non. » Wonder Woman, ou Diana pour les intimes, rejoint la bande en tant que… secré­taire. Elle peut donc com­battre les super-​méchants à condi­tion de bien taper ses comptes ren­dus à la machine.

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Imaginée en 1941 par Willy Moulton Marston (scé­na­rio)
et Harry G. Peter (des­sin), la super-​heroïne
à la tiare et aux bottes rouges copie les pin-​up
des jour­naux de l’époque. © prod DB DC Comics 

Quand il apprend que son héroïne devient la dac­ty­lo offi­cielle d’une bande de mecs à cape, son créa­teur ful­mine. Le visage rond, la che­ve­lure clair­se­mée, la cin­quan­taine, William Moulton Marston, doc­teur en psy­cho­lo­gie bedon­nant, n’avait pas pré­vu un des­tin de potiche pour sa Wonder Woman. Multidiplômé, ce savant fou de Harvard est l’inventeur, en 1922, du test de pres­sion san­guine, ancêtre du fameux détec­teur de men­songes, inven­tion aus­si révo­lu­tion­naire que peu fiable. En 1940, il signe un article dithy­ram­bique sur les bien­faits psy­cho­lo­giques des comics auprès des enfants et All-​American Publications l’embauche. C’est dans ces bureaux que naî­tra la prin­cesse Amazone. Mais, vous connais­sez la maxime nunuche : « Derrière chaque grand homme se cache une femme », et dans le cas de Willy l’érudit, elles sont deux. La chance. 

Trio amou­reux, fémi­niste et diplômé

La pre­mière, c’est son épouse, Elizabeth Holloway, machine de guerre uni­ver­si­taire. Après avoir étu­dié la psy­cho­lo­gie, elle décroche sa licence à l’université de droit de Boston, l’une des rares facs mixtes du pays. Holloway ne compte pas sacri­fier son pal­ma­rès de diplômes pour se retrou­ver aux four­neaux. En 1925, les Marston, mariés depuis dix ans, trouvent la solu­tion pour allier enfants et bou­lot en la per­sonne d’Olive Byrne, assis­tante de recherche et maî­tresse de mon­sieur. La ving­taine, ravis­sante, elle n’est autre que la fille d’Ethel Byrne et la nièce de Margaret Sanger, pion­nières fémi­nistes à l’origine du Planning fami­lial aux États-​Unis. En 1926, le trio amou­reux s’installe et cha­cune donne nais­sance à deux enfants. Olive s’occupe à domi­cile de la mar­maille, Elizabeth conti­nue ses recherches aux côtés de Willy qui, lui, vit sa meilleure vie. Inspiré par ses deux com­pagnes aux idéaux fémi­nistes, le psy en « trouple » crée l’histoire de Diana et déclare : « Wonder Woman, c’est de la pro­pa­gande psy­cho­lo­gique pour un nou­veau type de femmes qui, selon moi, devraient mener le monde ! »

Lire aus­si : La jour­née type de Wonder Woman

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Prod DB © DC Comics /​DR WONDER WOMAN N°24.

Dessinée par Harry G. Peter, la super-​héroïne à la tiare et aux bottes rouges copie les pin-​up des jour­naux de l’époque. « Influencée par Byrne et Holloway, Wonder Woman est née dans un bouillon fémi­niste ins­pi­ré des suf­fra­gettes », décrypte, quatre-​vingts ans plus tard, Marie Dampoigne à la plume du livre Agir et pen­ser comme Wonder Woman (édi­tions de l’Opportun, 2020). Elle nuance : « Alors oui, c’est un fémi­nisme de la pre­mière vague qui s’adresse aux femmes blanches et aisées. Mais, c’est indé­niable : Wonder Woman a mis un énorme coup de pied dans l’hégémonie mas­cu­line de l’univers des comics. Alors que les États-​Unis sont secoués par la Seconde Guerre mon­diale, Marston recon­naît le rôle essen­tiel des femmes dans l’effort de guerre. Wonder Woman est une femme puis­sante, indé­pen­dante. Elle est aus­si aidée d’Etta Candy, une femme ronde qui n’a rien à voir avec les codes de la femme fatale et ça, c’est aus­si révolutionnaire. »

Des machos contre une Amazone

Dans le hui­tième numé­ro de All Star Comics, publié en décembre 1941, les fans de Green Lantern et Flash découvrent donc Diana, fille de la reine des Amazones, née dans un bloc d’argile sur une île, Paradise Island ou Themyscira (lire page 58), peu­plée exclu­si­ve­ment de guer­rières. Un abri anti­pa­triar­cat en somme. Un jour, le capi­taine Steve Trevor, pilote amé­ri­cain, beau gosse, échoue sur le sable blanc et la future héroïne est choi­sie pour le rame­ner aux États-​Unis, la « der­nière cita­delle de la démo­cra­tie ». Elle l’aide à sau­ver l’Amérique sous le nom de Diana Prince. Avec son las­so de la véri­té, qui oblige ses enne­mis à se confes­ser (cou­cou le détec­teur de men­songes), ses bra­ce­lets bou­clier, sa tiare et des super­pou­voirs comme le vol et la vitesse, Wonder Woman est née et, avec elle, une fâcheuse ten­dance à se retrou­ver enchaî­née dans des pos­tures de sou­mis­sion sug­ges­tives. Contre celles et ceux qui dénoncent des des­sins BDSM, Marston s’indigne : les chaînes sym­bo­lisent jus­te­ment les entraves mas­cu­lines et Diana s’en défait ! Pauvres gourdes à l’esprit mal placé.

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Prod DB © DC Comics 

La dis­pa­ri­tion de Marston, atteint d’un can­cer, en 1947 gomme les quelques traits fémi­nistes de Wonder Woman. Joye Hummel, étu­diante du psy­cho­logue, qui l’a aidé à la rédac­tion de nom­breux épi­sodes sans que son nom n’apparaisse, demande à prendre la suite, tout comme Elizabeth Holloway, l’épouse offi­cielle. La mai­son d’édition refuse et confie le des­tin de la dure-​à-​cuire pré­fé­rée des mômes à un super-​macho : Robert Kanigher. À l’image des mil­lions d’Américaines qui ont fait tour­ner le pays pen­dant la guerre, il condamne Wonder Woman à rejoindre la cui­sine pour s’occuper des vété­rans de retour du front. « Obsédée par le mariage et le foyer, l’évolution rétro­grade du per­son­nage reflète un contexte amé­ri­cain d’après-guerre ultra­tra­di­tio­na­liste », explique Marie Dampoigne. 

Pour en rajou­ter une couche, c’est aus­si à cette période que Fredric Wertham, un psy qui en a gros contre Superman, entame sa croi­sade contre les comics, qui plon­ge­raient les têtes blondes dans la vio­lence. Il publie, en 1954, Seduction of the Innocent (La séduc­tion des inno­cents), ouvrage qui blâme, par­mi d’autres héros, la chère Wonder Woman dont l’indépendance et la force feraient d’elle… une les­bienne. En sous-​titre de cette homophobie 

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© Collection Bib. Margueritte-​DURAND/​KHARBINE-​TAPABOR

crasse : un mas­cu­li­niste effrayé de voir une femme libre dans les pages d’une BD pour enfants. Sous son influence, la même année, naît la Comics Code Authority, orga­ni­sa­tion de régu­la­tion par laquelle doit pas­ser toute publi­ca­tion met­tant en scène des super-​héros. Adieu vio­lence, sexua­li­té, corps dénu­dés, alcool, clopes, vam­pires. Les péri­pé­ties de l’Amazone virent au cucul la pra­line. La rubrique « Wonder Woman of History », qui, depuis 1942, illus­trait, entre deux aven­tures de Diana, la bio­gra­phie d’une femme ayant mar­qué l’histoire, dis­pa­raît au pro­fit d’un nou­veau feuille­ton : « Mariage à la mode ». Au pro­gramme pour les petites lec­trices : com­ment se dégo­ter un mari en étant tou­jours plus jolie. 

« Avec mon spé­cu­lum, je suis forte »

À la fin des années 1960, alors que le fémi­nisme de la ­deuxième vague englou­tit les rues new-​yorkaises, du côté des bureaux de DC Comics, pas une écla­bous­sure. Dans leur tour d’ivoire, Dennis O’Neil et Mike Sekowsky, scé­na­riste et des­si­na­teur, retirent à Diana ses super­pouvoirs, l’affectent comme ven­deuse dans une bou­tique de fringues et rem­placent son cos­tume par des petites robes tra­pèze. Pensant faire du per­son­nage une femme moderne, le duo se plante roya­le­ment et s’attire illi­co les foudres des mili­tantes qui veulent récu­pé­rer leur Wonder Woman. Parmi elles, Gloria Steinem, figure de proue du com­bat féministe. 

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Prod DB © Bruce Lansbury Productions – DC Comics – Warner Bros. 

En 1972, en pleine guerre pour léga­li­ser le droit à l’avortement, elle coédite le pre­mier numé­ro du maga­zine Ms. avec, en Une de ce men­suel fémi­niste inédit, un titre : « Wonder Woman pré­si­dente ». La super-​héroïne y est repré­sen­tée plus athlé­tique que jamais, redis­tri­buant les richesses, lutte des classes oblige. En 1973, c’est au tour des pages de Sister : the Newspaper of the Los Angeles Women’s Center, qui, dans un car­toon, repré­sente Diana sub­ti­li­sant un spé­cu­lum à un homme gyné­co­logue pour s’écrier : « Avec mon spé­cu­lum, je suis forte, je peux me battre. » Alors qu’elles étaient deve­nues le pan­tin d’une poi­gnée de machos, les fémi­nistes se réap­pro­prient cette héroïne pour en faire le sym­bole de la révolte qui gronde. Le géant DC Comics s’incline et passe même un coup de fil à Gloria Steinem. L’Amazone récu­père ses pou­voirs, sa tenue, et gagne une nou­velle coéqui­pière, Nubia, puis­sante et noire. 

« L’un des grands cadeaux de la série ‘Wonder Woman’ est la repré­sen­ta­tion de sa mis­sion avec d’autres femmes »

Jennifer K. Stuller, spé­cia­liste de la repré­sen­ta­tion fémi­nine dans les comics

Dans la fou­lée, de 1975 à 1979, fans et néo­phytes s’entichent de l’adaptation sur petit écran des aven­tures de la déesse incar­née par la plan­tu­reuse Lynda Carter, ancienne Miss World USA. Trois sai­sons, soixante épi­sodes, un fameux géné­rique bien (trop) entê­tant et un per­son­nage un brin hyper­sexua­li­sé. « L’un des grands cadeaux de la série Wonder Woman est la repré­sen­ta­tion de sa mis­sion avec d’autres femmes », nous signale l’universitaire amé­ri­caine Jennifer K. Stuller* spé­cia­liste de la repré­sen­ta­tion fémi­nine dans les comics, qui pré­cise : « Lynda Carter l’atteste elle-​même : elle s’est enga­gée à mon­trer des femmes non pas en com­pé­ti­tion mais en col­la­bo­ra­tion – se sou­te­nant les unes les autres. » Une soro­ri­té triom­phante visible aus­si dans les pages des BD : Diana ne veut pas éli­mi­ner ses enne­mies, mais les rendre meilleures. 

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Prod DB © Warner Bros. – DC Entertainment 

En 1986, George Pérez prend les rênes côté BD et met l’accent sur les ori­gines mytho­lo­giques de la déesse née sur une île 100 % fémi­nine et dont la puis­sance n’a jamais été remise en ques­tion par la gent mas­cu­line. Depuis, avec la scé­na­riste Gail Simone ou Greg Rucka, le per­son­nage ne cesse de s’émanciper. En 2016, c’est offi­ciel, et c’est Rucka qui le dit : Diana est bisexuelle. Dans les dents, l’homophobe Wertham. Soixante-​quinze ans après ses débuts dans les comics et cin­quante ans après son homo­logue Batman, Wonder Woman débarque enfin sur grand écran en 2017, incar­née par l’époustouflante Gal Gadot. Le résul­tat ? Un block­bus­ter déca­pant réa­li­sé par une femme, Patty Jenkins. De quoi tom­ber de sa chaise et ce n’est pas Iris Brey, experte du female gaze, com­pre­nez le regard fémi­nin au ciné­ma, qui dira le contraire. « C’est la pre­mière fois, au ciné­ma, que je vois une tren­taine de femmes s’entraîner à com­battre. […] Ensemble, entre femmes, elles ont l’air invin­cibles », confie-​t-​elle dès les pre­mières lignes de son ouvrage, Le Regard fémi­nin. Une révo­lu­tion à l’écran (édi­tions de l’Olivier, 2020). Exit les pano­ra­miques de haut en bas qui objec­ti­fient les actrices à la James Bond Girl ou les plans sur les fesses. Le deuxième volet, Wonder Woman 1984, devrait sor­tir en salles fin décembre et on retrouve l’Amazone dans une ambiance eigh­ties sur fond de New Order : que deman­der de plus à part, peut-​être, un stage entre meufs, à la fraîche, sur cette île paradisiaque ? 

Lire aus­si : Les super zéroïnes les plus ratées

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