La Passagère, premier film d'Héloïse Pelloquet mettant en scène Cécile de France, Stella est amoureuse, un beau film sur l'adolescence et Corsage, portrait alternatif de Sissi.
UNE FEMME EN EAUX TROUBLES
Il faut se méfier de l’eau qui dort… Un proverbe qu’illustre idéalement ce premier film, sur le fond comme sur la forme. Visez plutôt : La Passagère nous entraîne dans les méandres d’une rencontre amoureuse sur une petite île de la côte Atlantique, entre Chiara, 45 ans, femme marin pêcheur heureusement mariée, et Maxence, 20 ans, son apprenti. Tout semble en place, a priori, pour que s’écoule un récit classique d’adultère sur fond d’embruns, dûment jalonné d’émois, de culpabilité et de renoncement, non ? Eh bien, pas du tout ! Le courant emprunté par Héloïse Pelloquet, sa jeune réalisatrice de 34 ans, est autrement plus troublant, plus inattendu, plus excitant.
Grâce en soit rendue au personnage moteur de Chiara. Solide, épanouie, complice d’un mari qui lui a appris son métier, elle a su s’intégrer sans encombre à cette rude communauté insulaire (elle vient de Belgique, comme Cécile de France, sa lumineuse interprète). On est donc loin des clichés associés habituellement aux femmes de pêcheurs (elle travaille à égalité avec son époux et sort en mer sans lui), de même que l’on navigue à des milliers de milles marins d’une représentation stéréotypée de la « crise de la quarantaine » chez une femme ! Chiara ne manque et n’a peur de rien, surtout pas de son désir, qu’elle accueille d’abord avec surprise, avant de le vivre pleinement. Assumant ses choix jusqu’au bout…
Autant dire que Chiara est une femme libre, et Héloïse Pelloquet une cinéaste qui nous embarque ! In fine, la fluidité de son film (elle a été cheffe monteuse avant de passer à la réalisation) n’a d’égale que la force du ressac. Un mélange rare.
La Passagère, d’Héloïse Pelloquet. Sortie le 14 décembre.
FAUT QUE ÇA DANSE !
Comment faire du neuf – et du beau – avec du vieux, tel pourrait être l’exergue de ce long-métrage vibrant, le septième de Sylvie Verheyde, artisane têtue d’un cinéma à fleur de peau. S’inspirant largement de sa jeunesse, l’accorte quinqua nous propulse dans le Paris de 1984, histoire d’accompagner les errances existentielles (et émotionnelles) de Stella, jeune fille mélancolique issue d’un milieu ouvrier, qui préfère danser, tomber amoureuse et s’étourdir en boîte de nuit, plutôt que réviser son bac.
Retour en arrière et récit initiatique : pas très original a priori… En dépit de ces paramètres un brin éculés, Sylvie Verheyde parvient à nous embarquer dans une épopée emballante. L’une des plus fraîches et des plus fluides jamais écrites et réalisées sur l’adolescence ces dernières années ! Bien sûr, la B.O. de Stella est amoureuse, jalonnée de pop synthétique et de tubes imparables, donne envie de danser. Bien sûr, l’insouciance (précaire) de cette époque présida diffuse un sentiment galvanisant de liberté. Et bien sûr, le charisme boudeur de Flavie Delangle fait merveille dans le rôle de Stella. Quant à Marina Foïs, qui joue sa mère, patronne fragile et endettée d’un café, elle est une fois encore prodigieuse de présence. Reste que si ce film touche autant, c’est d’abord parce qu’il donne l’impression – rare – de plonger directement dans la psyché exacerbée d’une ado. Une expérience en forme de grand huit qui se révèle extrêmement chaleureuse. Sylvie Verheyde regarde avec beaucoup de tendresse son héroïne en devenir et, sans doute, la jeune fille qu’elle a été…
Stella est amoureuse, de Sylvie Verheyde. Sortie le 14 décembre.
SOIS BELLE ET TAIS-TOI…
Oubliez la Sissi en mode pâtisserie viennoise de votre enfance ! Certes, Corsage dresse le portrait d’Élisabeth d’Autriche, impératrice rebelle et légendaire, mais on est loin de la saga mielleuse qui révéla la toute jeunette Romy Schneider. D’ailleurs, ce nouvel opus autrichien, impressionnant de maîtrise, saisit l’impératrice dans sa quarantième année et ça n’est pas un hasard… Ce que veulent Marie Kreutzer, sa réalisatrice, et Vicky Krieps, l’ardente interprète d’Élisabeth, c’est sonder la mélancolie de cette femme privilégiée dont on sait qu’elle fut obsédée par son tour de taille et par la jeunesse éternelle. De fait, elle s’imposa moult jeûnes, régimes et exercices. Une névrose que ce récit, assez fascinant de beauté triste et glacée, relie au fameux diktat « Sois belle et tais-toi », puisqu’on lui demandait uniquement d’être un corps en représentation alors qu’elle avait soif de bien davantage. Sissi corsetée par une société sexiste, tel est donc l’enjeu de ce récit poignant, qui résonne, ô combien, de façon contemporaine…
Corsage, de Marie Kreutzer. Sortie le 14 décembre.