Après un premier long-métrage, Mignonnes, remarqué en 2020, la réalisatrice franco-sénégalaise revient avec Hawa. Un nouveau film en forme de conte moderne et poétique qui sortira le 9 décembre prochain en exclusivité sur la plateforme payante Amazon Prime Video.
![Maïmouna Doucouré : « "Hawa" est un hymne à la détermination » 2 Capture d’écran 2022 12 07 à 17.20.56](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/12/Capture-d’écran-2022-12-07-à-17.20.56-1024x534.jpg)
(Oumou Sangaré) ©AmazonPrimeVideo
Elle a commencé sur les chapeaux de roue. Un premier court-métrage, Maman(s), récompensé au César en 2017, un premier long-métrage, Mignonnes, remarqué quatre ans plus tard. Cette fois, Maïmouna Doucouré revient avec Hawa. Un long-métrage poétique qui sera diffusé sur Amazon Prime Video à partir du 9 décembre prochain.
Dans une ambiance de conte de Noël, on suit Hawa (épatante Sania Halifa), une adolescente de 15 ans qui part à la recherche d’un·e nouveau·elle tuteur·trice quand sa grand-mère (la grande Oumou Sangaré), avec qui elle vit, tombe gravement malade. Le jour où elle apprend qu’une star internationale fait un déplacement à Paris, elle se lance dans une quête impossible afin de la convaincre de l’adopter. Rencontre avec la réalisatrice, Maïmouna Doucouré.
Causette : Deux ans après le remarqué Mignonnes, votre dernier long-métrage Hawa sortira le 9 décembre sur Amazon Prime Vidéo. Comment est née l’idée du film ?
Maïmouna Doucouré : L’idée est née de mon parcours de vie. Petite, j’ai toujours cru que le monde du cinéma ne m’était pas destiné. Je me souviens encore du jour où j'ai dit à ma mère que je voulais faire du cinéma, elle m’a répondu : « C’est pas pour nous. » Aujourd'hui, je suis contente d’avoir réussi à franchir les barrières et les obstacles et d’être enfin en train de faire ma place dans le milieu, même si j’ai encore un long chemin à parcourir.
Hawa est un hymne à la détermination, au fait de se battre de toutes ses forces pour en finir avec le déterminisme social. J’espère que son personnage pourra inspirer des gens qui se posent des questions sur leur vie, sur leurs rêves et sur ce dont ils sont capables. J'aimerais qu’en regardant Hawa, ils trouvent la force et l’envie de se battre dans la vie. Il ne faut jamais oublier que c’est l’unique chance que l’on a.
Hawa est une jeune fille noire albinos, jouée par l’incroyable comédienne Sania Halifa. C’était important pour vous de représenter la différence, l’inclusivité à l'écran ?
M.D. : C’était même indispensable. C’est la deuxième raison de pourquoi j’ai voulu faire ce film : pour le rôle d’Hawa, je voulais mettre à l’image une jeune comédienne extraordinaire. Je voulais qu’on puisse voir ces visages qu’on n’a pas l’habitude de voir à l’écran, je voulais montrer qu’ils existent. C'est aussi personnel : ma fille de 4 ans est en situation de handicap, je voulais aussi faire ce film pour elle, pour lui montrer que la différence est extraordinaire.
Trouver la comédienne pour interpréter Hawa n'a pas été évident. De nombreuses comédiennes ne comprenaient pas pourquoi je voulais une comédienne albinos pour le rôle principal. Elles n’ont tellement pas l’habitude de se voir à l’écran qu’elles pensaient que c'était un piège ou qu’il y avait anguille sous roche. Pour elles, ce n’était pas normal que quelqu’un s’intéresse à elles. Ça m'a encore plus donné envie de le faire.
« Je veux que ma fille puisse faire ses armes dans ce monde qui n’est pas toujours tendre avec les gens comme elle, un peu différents »
Le film aborde aussi les questions de la mort et de transmission. La grand-mère d’Hawa, qui est une griotte, transmet à sa petite fille cette tradition orale de chanter les noms des gens et leurs histoires.
M.D. : Oui, car forcément depuis que ma fille est là je me pose beaucoup de questions sur ce que je vais lui transmettre après ma mort et ce que je suis en train de lui transmettre. Je veux qu’elle puisse faire ses armes dans ce monde qui n’est pas toujours tendre avec les gens comme elle, un peu différents. Quand elle sera un peu plus grande, je veux qu’elle puisse se voir dans le personnage d’Hawa, avoir le même courage de suivre ses rêves coûte que coûte.
Il y a un peu de ce que votre famille vous a transmis dans la relation d’Hawa et sa grand-mère ?
M.D. : D’une façon différente mais oui, forcément. Mes parents ont quitté le Sénégal pour faire en sorte qu’on ne manque de rien, qu’on puisse avoir une chance de faire des études et d’avoir un boulot. Ils ont fait des sacrifices pour nous. Pour moi, de cette manière-là, ils m’ont transmis l’envie de me battre.
« J’aime tailler dans la pépite »
Votre film rassemble plusieurs personnalités. La grand-mère d’Hawa est jouée par la chanteuse malienne Oumou Sangaré. Au cours de sa quête, l'adolescente rencontre la chanteuse Yseult ainsi que l’astronaute Thomas Pesquet, qui jouent leur propre rôle. C'était d'ailleurs leurs premiers pas au cinéma, comme pour Sania Halifa. C’était aussi un choix ?
M.D. : Pour Sania Halifa, si elle avait existé dans une agence et qu’elle avait déjà joué, ça aurait été très bien mais là en l’occurrence ce genre de profil est très rare donc la question ne s’est pas posée.
Pour les autres personnages, je les ai pris pour ce qu’ils étaient dans la vraie vie. Oumou Sangaré, je la connais bien, j’écoute sa musique depuis que je suis petite. Quand j’écrivais l’histoire, je pensais déjà à elle, à sa générosité et son humilité. Pour Yseult, je la connaissais un peu et j’adorais sa voix et les messages d’inclusivité qu’elle dégage dans ses chansons. Je trouvais ça important qu’elle fasse partie du film. Et Thomas Pesquet, c’était aussi une évidence. Le film parle de l’au-delà, du ciel, de l’espace. Thomas incarne très bien ce lien entre la terre et le ciel. Et puis, il s’agit quand même de la personnalité préférée des Français ! (rires).
Pas trop difficile de tourner avec des acteur·trices novices ?
M.D. : Le tournage s'est super bien passé. Ils m’ont tous impressionnée. On a répété avec tout le monde, sauf avec Thomas Pesquet. Il a une vie beaucoup trop remplie quand il est sur terre (rires). Il est arrivé sur le plateau, on a tourné les prises directement sans répétition. Autant vous dire que j’ai eu chaud, mais j’ai eu beaucoup de chance, c’est un génie, il sait tout faire.
Ensuite, il faut savoir que j’ai l’habitude de diriger des acteurs novices. Que ce soit dans Maman(s) ou Mignonnes, la plupart de mes acteurs principaux n'avaient jamais joué avant. C’est quelque chose qui m’est complètement familier de travailler la matière humaine brute. J’aime tailler dans la pépite.
« Diffuser sur Amazon Prime, c'est toucher 242 pays et 86 langues »
Hawa sortira en exclusivité sur Amazon Prime vidéo. Pourquoi avoir fait le choix de sortir le film sur une plateforme payante ?
M.D. : Ce n’était pas un choix mais plutôt une opportunité. J’ai rencontré le responsable d’Amazon France, je lui ai parlé de mon projet, il a tout de suite été emballé. C’était aussi l’opportunité de faire un film très rapidement. On a commencé le tournage le 6 décembre, on l’a fini en février, ensuite il y a eu la post production et nous voilà. Hawa aurait pu très bien sortir au cinéma, ça aurait été bien aussi, mais ça aurait pris une année de plus pour le financer. Le diffuser sur une plateforme comme Amazon Prime, ça me permet aussi de le distribuer dans 242 pays et 86 langues, ce qui est plutôt chouette.
Votre premier court-métrage Maman(s) s’inspirait de votre enfance, votre premier long-métrage, Mignonnes aussi. Le lien qui unit votre travail, c’est l’enfance ?
M.D. : Complètement, il y a une vraie part autobiographique dans mon travail. Les histoires que je raconte sont toujours inspirées de mes propres expériences et surtout de mon enfance. Je sens qu'elle me parle encore et c’est à travers elle que j’avance professionnellement et personnellement.
Il y a aussi une part de votre enfance dans Hawa ?
M.D. : Pas directement. Sur le coup, en écrivant le scénario, je ne voyais pas vraiment de liens, c’est après coup que je m'en suis rendu compte. Par exemple, le fait d’être un peu tête brûlée comme Hawa. Bon, je n’étais pas aussi dure qu’elle mais le côté têtu, ça, c’était moi. Et je le suis toujours un peu (rires). Il y a aussi le lien très fort que j’entretenais avec ma grand-mère. J’étais très proche d’elle. Elle n’était pas griotte comme celle d’Hawa mais elle me racontait beaucoup de contes quand j’étais petite. D’ailleurs, je pense que c’est pour ça qu’aujourd’hui je suis devenue une conteuse.
« Il est important de rester fidèle à ce que je suis et aux raisons pour lesquelles je fais ce métier. »
Votre film Mignonnes, s'attaquait à l'hypersexualisation des adolescentes et la pression sociale qu'elles subissent. Lors de sa sortie sur Netflix en septembre 2020, la plateforme avait sexualisé l’affiche en représentant les quatre protagonistes du film en tenue de danse sexy dans des positions suggestives. Une scène complètement sortie de son contexte. Comment avez-vous vécu cela ?
M.D. : Sincèrement, ce n’était un épisode très agréable. Surtout quand j'ai vu que le message véhiculé par le film a été complètement renversé. L'affiche avait suscité beaucoup de quiproquos, m'accusant notamment de montrer des enfants de manière provocante. Sur le coup, j’avais envie de crier : « Regardez mon film d’abord et après on parle. » Avec le recul, cette expérience m’a surtout appris qu’il est important de rester fidèle à ce qu'on est et aux raisons pour lesquelles on fait ce métier. Dans Mignonnes, je voulais raconter la manière dont de très jeunes filles hypersexualisent leurs propres corps et les raisons qui les y incitent. Beaucoup de gens ont vu le film avant la diffusion de cette affiche donc ça allait, d’autres ont fini par le voir et on finalement compris le véritable message. Et puis après, il y a des entêtés qui ne le verront jamais mais c’est tant pis pour eux.
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Vous travaillez actuellement sur votre prochain film, un biopic sur Joséphine Baker. C’est un défi de taille. Est-ce que c’est difficile de s’attaquer à un tel monument de l’Histoire française et mondiale ?
M.D. : Ah oui, pour le coup, Joséphine Baker est vraiment un monument de l’Histoire ! Mais je le vis comme une bénédiction parce que c’est un personnage tellement passionnant que c’est très excitant de raconter son histoire.
Actuellement, je suis en pleine écriture et je vis avec elle au quotidien. Tous les jours c’est des découvertes différentes. On dirait qu’elle a vécu cent vies dans une seule, c’est assez dingue. Le plus dur, ce sera de faire des choix parce que si je dois tout raconter, avec la vie qu’elle a eue, ce ne sera plus un film mais une série en dix saisons, comme Game of Thrones (rires).
L’enjeu, c’est de savoir comment lui rendre hommage, raconter son humanité, ses combats, ses faiblesses et son art. Raconter tout ça avec la plus grande sincérité. Pour m’aider, je suis régulièrement en contact avec les enfants de Joséphine Baker. Ils ont hâte de voir le film. Si tout va bien, on commencera le tournage à la fin de l’année prochaine. Je n’en dirai pas plus ! (rires)