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Maïmouna Doucouré ©Sylvie Castioni

Maïmouna Doucouré : « "Hawa" est un hymne à la détermination »

Après un pre­mier long-​métrage, Mignonnes, remar­qué en 2020, la réa­li­sa­trice franco-​sénégalaise revient avec Hawa. Un nou­veau film en forme de conte moderne et poé­tique qui sor­ti­ra le 9 décembre pro­chain en exclu­si­vi­té sur la pla­te­forme payante Amazon Prime Video. 

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Hawa (Sania Halifa) et sa grand-​mère
(Oumou Sangaré) ©AmazonPrimeVideo

Elle a com­men­cé sur les cha­peaux de roue. Un pre­mier court-​métrage, Maman(s), récom­pen­sé au César en 2017, un pre­mier long-​métrage, Mignonnes, remar­qué quatre ans plus tard. Cette fois, Maïmouna Doucouré revient avec Hawa. Un long-​métrage poé­tique qui sera dif­fu­sé sur Amazon Prime Video à par­tir du 9 décembre prochain. 

Dans une ambiance de conte de Noël, on suit Hawa (épa­tante Sania Halifa), une ado­les­cente de 15 ans qui part à la recherche d’un·e nouveau·elle tuteur·trice quand sa grand-​mère (la grande Oumou Sangaré), avec qui elle vit, tombe gra­ve­ment malade. Le jour où elle apprend qu’une star inter­na­tio­nale fait un dépla­ce­ment à Paris, elle se lance dans une quête impos­sible afin de la convaincre de l’adopter. Rencontre avec la réa­li­sa­trice, Maïmouna Doucouré. 

Causette : Deux ans après le remar­qué Mignonnes, votre der­nier long-​métrage Hawa sor­ti­ra le 9 décembre sur Amazon Prime Vidéo. Comment est née l’idée du film ? 
Maïmouna Doucouré : L’idée est née de mon par­cours de vie. Petite, j’ai tou­jours cru que le monde du ciné­ma ne m’était pas des­ti­né. Je me sou­viens encore du jour où j'ai dit à ma mère que je vou­lais faire du ciné­ma, elle m’a répon­du : « C’est pas pour nous. » Aujourd'hui, je suis contente d’avoir réus­si à fran­chir les bar­rières et les obs­tacles et d’être enfin en train de faire ma place dans le milieu, même si j’ai encore un long che­min à par­cou­rir. 
Hawa est un hymne à la déter­mi­na­tion, au fait de se battre de toutes ses forces pour en finir avec le déter­mi­nisme social. J’espère que son per­son­nage pour­ra ins­pi­rer des gens qui se posent des ques­tions sur leur vie, sur leurs rêves et sur ce dont ils sont capables. J'aimerais qu’en regar­dant Hawa, ils trouvent la force et l’envie de se battre dans la vie. Il ne faut jamais oublier que c’est l’unique chance que l’on a.

Hawa est une jeune fille noire albi­nos, jouée par l’incroyable comé­dienne Sania Halifa. C’était impor­tant pour vous de repré­sen­ter la dif­fé­rence, l’inclusivité à l'écran ? 
M.D. : C’était même indis­pen­sable. C’est la deuxième rai­son de pour­quoi j’ai vou­lu faire ce film : pour le rôle d’Hawa, je vou­lais mettre à l’image une jeune comé­dienne extra­or­di­naire. Je vou­lais qu’on puisse voir ces visages qu’on n’a pas l’habitude de voir à l’écran, je vou­lais mon­trer qu’ils existent. C'est aus­si per­son­nel : ma fille de 4 ans est en situa­tion de han­di­cap, je vou­lais aus­si faire ce film pour elle, pour lui mon­trer que la dif­fé­rence est extra­or­di­naire. 
Trouver la comé­dienne pour inter­pré­ter Hawa n'a pas été évident. De nom­breuses comé­diennes ne com­pre­naient pas pour­quoi je vou­lais une comé­dienne albi­nos pour le rôle prin­ci­pal. Elles n’ont tel­le­ment pas l’habitude de se voir à l’écran qu’elles pen­saient que c'était un piège ou qu’il y avait anguille sous roche. Pour elles, ce n’était pas nor­mal que quelqu’un s’intéresse à elles. Ça m'a encore plus don­né envie de le faire. 

« Je veux que ma fille puisse faire ses armes dans ce monde qui n’est pas tou­jours tendre avec les gens comme elle, un peu différents »

Le film aborde aus­si les ques­tions de la mort et de trans­mis­sion. La grand-​mère d’Hawa, qui est une griotte, trans­met à sa petite fille cette tra­di­tion orale de chan­ter les noms des gens et leurs his­toires.
M.D. : Oui, car for­cé­ment depuis que ma fille est là je me pose beau­coup de ques­tions sur ce que je vais lui trans­mettre après ma mort et ce que je suis en train de lui trans­mettre. Je veux qu’elle puisse faire ses armes dans ce monde qui n’est pas tou­jours tendre avec les gens comme elle, un peu dif­fé­rents. Quand elle sera un peu plus grande, je veux qu’elle puisse se voir dans le per­son­nage d’Hawa, avoir le même cou­rage de suivre ses rêves coûte que coûte. 

Il y a un peu de ce que votre famille vous a trans­mis dans la rela­tion d’Hawa et sa grand-​mère ?
M.D. : D’une façon dif­fé­rente mais oui, for­cé­ment. Mes parents ont quit­té le Sénégal pour faire en sorte qu’on ne manque de rien, qu’on puisse avoir une chance de faire des études et d’avoir un bou­lot. Ils ont fait des sacri­fices pour nous. Pour moi, de cette manière-​là, ils m’ont trans­mis l’envie de me battre. 

« J’aime tailler dans la pépite »

Votre film ras­semble plu­sieurs per­son­na­li­tés. La grand-​mère d’Hawa est jouée par la chan­teuse malienne Oumou Sangaré. Au cours de sa quête, l'adolescente ren­contre la chan­teuse Yseult ain­si que l’astronaute Thomas Pesquet, qui jouent leur propre rôle. C'était d'ailleurs leurs pre­miers pas au ciné­ma, comme pour Sania Halifa. C’était aus­si un choix ? 
M.D. : Pour Sania Halifa, si elle avait exis­té dans une agence et qu’elle avait déjà joué, ça aurait été très bien mais là en l’occurrence ce genre de pro­fil est très rare donc la ques­tion ne s’est pas posée. 
Pour les autres per­son­nages, je les ai pris pour ce qu’ils étaient dans la vraie vie. Oumou Sangaré, je la connais bien, j’écoute sa musique depuis que je suis petite. Quand j’écrivais l’histoire, je pen­sais déjà à elle, à sa géné­ro­si­té et son humi­li­té. Pour Yseult, je la connais­sais un peu et j’adorais sa voix et les mes­sages d’inclusivité qu’elle dégage dans ses chan­sons. Je trou­vais ça impor­tant qu’elle fasse par­tie du film. Et Thomas Pesquet, c’était aus­si une évi­dence. Le film parle de l’au-delà, du ciel, de l’espace. Thomas incarne très bien ce lien entre la terre et le ciel. Et puis, il s’agit quand même de la per­son­na­li­té pré­fé­rée des Français ! (rires). 

Pas trop dif­fi­cile de tour­ner avec des acteur·trices novices ? 
M.D. : Le tour­nage s'est super bien pas­sé. Ils m’ont tous impres­sion­née. On a répé­té avec tout le monde, sauf avec Thomas Pesquet. Il a une vie beau­coup trop rem­plie quand il est sur terre (rires). Il est arri­vé sur le pla­teau, on a tour­né les prises direc­te­ment sans répé­ti­tion. Autant vous dire que j’ai eu chaud, mais j’ai eu beau­coup de chance, c’est un génie, il sait tout faire. 
Ensuite, il faut savoir que j’ai l’habitude de diri­ger des acteurs novices. Que ce soit dans Maman(s) ou Mignonnes, la plu­part de mes acteurs prin­ci­paux n'avaient jamais joué avant. C’est quelque chose qui m’est com­plè­te­ment fami­lier de tra­vailler la matière humaine brute. J’aime tailler dans la pépite.

« Diffuser sur Amazon Prime, c'est tou­cher 242 pays et 86 langues »

Hawa sor­ti­ra en exclu­si­vi­té sur Amazon Prime vidéo. Pourquoi avoir fait le choix de sor­tir le film sur une pla­te­forme payante ? 
M.D. : Ce n’était pas un choix mais plu­tôt une oppor­tu­ni­té. J’ai ren­con­tré le res­pon­sable d’Amazon France, je lui ai par­lé de mon pro­jet, il a tout de suite été embal­lé. C’était aus­si l’opportunité de faire un film très rapi­de­ment. On a com­men­cé le tour­nage le 6 décembre, on l’a fini en février, ensuite il y a eu la post pro­duc­tion et nous voi­là. Hawa aurait pu très bien sor­tir au ciné­ma, ça aurait été bien aus­si, mais ça aurait pris une année de plus pour le finan­cer. Le dif­fu­ser sur une pla­te­forme comme Amazon Prime, ça me per­met aus­si de le dis­tri­buer dans 242 pays et 86 langues, ce qui est plu­tôt chouette. 

Votre pre­mier court-​métrage Maman(s) s’inspirait de votre enfance, votre pre­mier long-​métrage, Mignonnes aus­si. Le lien qui unit votre tra­vail, c’est l’enfance ?
M.D. : Complètement, il y a une vraie part auto­bio­gra­phique dans mon tra­vail. Les his­toires que je raconte sont tou­jours ins­pi­rées de mes propres expé­riences et sur­tout de mon enfance. Je sens qu'elle me parle encore et c’est à tra­vers elle que j’avance pro­fes­sion­nel­le­ment et personnellement.

Il y a aus­si une part de votre enfance dans Hawa ?
M.D. : Pas direc­te­ment. Sur le coup, en écri­vant le scé­na­rio, je ne voyais pas vrai­ment de liens, c’est après coup que je m'en suis ren­du compte. Par exemple, le fait d’être un peu tête brû­lée comme Hawa. Bon, je n’étais pas aus­si dure qu’elle mais le côté têtu, ça, c’était moi. Et je le suis tou­jours un peu (rires). Il y a aus­si le lien très fort que j’entretenais avec ma grand-​mère. J’étais très proche d’elle. Elle n’était pas griotte comme celle d’Hawa mais elle me racon­tait beau­coup de contes quand j’étais petite. D’ailleurs, je pense que c’est pour ça qu’aujourd’hui je suis deve­nue une conteuse. 

« Il est impor­tant de res­ter fidèle à ce que je suis et aux rai­sons pour les­quelles je fais ce métier. »

Votre film Mignonnes, s'attaquait à l'hypersexualisation des ado­les­centes et la pres­sion sociale qu'elles subissent. Lors de sa sor­tie sur Netflix en sep­tembre 2020, la pla­te­forme avait sexua­li­sé l’affiche en repré­sen­tant les quatre pro­ta­go­nistes du film en tenue de danse sexy dans des posi­tions sug­ges­tives. Une scène com­plè­te­ment sor­tie de son contexte. Comment avez-​vous vécu cela ? 
M.D. : Sincèrement, ce n’était un épi­sode très agréable. Surtout quand j'ai vu que le mes­sage véhi­cu­lé par le film a été com­plè­te­ment ren­ver­sé. L'affiche avait sus­ci­té beau­coup de qui­pro­quos, m'accusant notam­ment de mon­trer des enfants de manière pro­vo­cante. Sur le coup, j’avais envie de crier : « Regardez mon film d’abord et après on parle. » Avec le recul, cette expé­rience m’a sur­tout appris qu’il est impor­tant de res­ter fidèle à ce qu'on est et aux rai­sons pour les­quelles on fait ce métier. Dans Mignonnes, je vou­lais racon­ter la manière dont de très jeunes filles hyper­sexua­lisent leurs propres corps et les rai­sons qui les y incitent. Beaucoup de gens ont vu le film avant la dif­fu­sion de cette affiche donc ça allait, d’autres ont fini par le voir et on fina­le­ment com­pris le véri­table mes­sage. Et puis après, il y a des entê­tés qui ne le ver­ront jamais mais c’est tant pis pour eux. 

Lire aus­si I Cinéma : Un an sur le tour­nage du film “Mignonnes”, de Maïmouna Doucouré

Vous tra­vaillez actuel­le­ment sur votre pro­chain film, un bio­pic sur Joséphine Baker. C’est un défi de taille. Est-​ce que c’est dif­fi­cile de s’attaquer à un tel monu­ment de l’Histoire fran­çaise et mon­diale ?
M.D. : Ah oui, pour le coup, Joséphine Baker est vrai­ment un monu­ment de l’Histoire ! Mais je le vis comme une béné­dic­tion parce que c’est un per­son­nage tel­le­ment pas­sion­nant que c’est très exci­tant de racon­ter son his­toire. 
Actuellement, je suis en pleine écri­ture et je vis avec elle au quo­ti­dien. Tous les jours c’est des décou­vertes dif­fé­rentes. On dirait qu’elle a vécu cent vies dans une seule, c’est assez dingue. Le plus dur, ce sera de faire des choix parce que si je dois tout racon­ter, avec la vie qu’elle a eue, ce ne sera plus un film mais une série en dix sai­sons, comme Game of Thrones (rires).
L’enjeu, c’est de savoir com­ment lui rendre hom­mage, racon­ter son huma­ni­té, ses com­bats, ses fai­blesses et son art. Raconter tout ça avec la plus grande sin­cé­ri­té. Pour m’aider, je suis régu­liè­re­ment en contact avec les enfants de Joséphine Baker. Ils ont hâte de voir le film. Si tout va bien, on com­men­ce­ra le tour­nage à la fin de l’année pro­chaine. Je n’en dirai pas plus ! (rires)

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