comme des reines sandrine gregor
Nina Louise, Sarah Isabella et Bintou Ba dans Comme des Reines, de Marion Vernoux

Marion Vernoux : « Dans "Comme des Reines", j'ai vou­lu mon­trer un appren­tis­sage et un désap­pren­tis­sage accé­lé­rés de la vie »

Comme des Reines raconte la prostitution adolescente et ses cruautés sans manichéisme. Le téléfilm, plébiscité au festival de Luchon, est diffusé ce soir sur France 2. Marion Vernoux, sa réalisatrice, nous a accordé un entretien.

C'est une claque. Par le sujet qu'il évoque - des adolescentes qui se prostituent sous la coupe de macs -, par sa réalisation qui n'a rien à envier au cinéma et par les prouesses de ses jeunes actrices, virtuoses dans ces rôles d'ados tombées dans l'abîme. Le festival de Luchon, qui récompense des productions créées pour la télévision, ne s'y est pas trompé, et a accordé une pluie de prix à Comme des reines en mars 2021 : Pyrénées d’Or de la presse, Pyrénées d’Or de la Meilleure Fiction Unitaire, Prix de la Meilleure Interprétation Masculine à Idir Azougli et Prix du Meilleur Espoir aux trois actrices interprétant les personnages principaux : Sarah Isabella, Nina Louise, Bintou Ba.

À l'écran, ce sont Samia, Louise et Jessica, qui ont entre 15 et 17 ans et officient en tant qu'escorts dans des soirées glauques et des hôtels miteux. Idir Azougli campe quant à lui Nico, le petit-ami/maquereau de Louise, dans un exercice d'acteur aux confins du charme, de la manipulation et de la violence de haute volée. Samia, Louise et Jessica semblent se prostituer par choix, au moins au départ. Comme des Reines ne traite pas, ou peu, les raisons qui ont poussé ces jeunes filles - dont deux vivent dans des familles structurantes et aimantes - à fuguer pour intégrer la bande à la fois flamboyante et pathétique de Nico et remettre entre ses mains leurs intégrités physique, morale et une bonne partie de l'argent gagné à coucher avec des inconnus. Le scénario de Sandrine Gregor et Mélina Jochum et la réalisation de Marion Vernoux préfèrent raconter la décadence de ces jeunes âmes derrière les paillettes du monde de la nuit, et l'impuissance des parents à secourir leurs enfants. On n'en ressort pas indemne et c'était bien l'effet recherché par Marion Vernoux, qui répond ici à nos questions.

Causette : Comment est né le film ?
Marion Vernoux :
Je ne l’ai pas enfanté, je l’ai accompagné. Quand on est venu me chercher juste avant le premier confinement, le scénario avait déjà été écrit par Sandrine Gregor et Melina Jochum, sous l’impulsion de la productrice Léa Gabrié. Au-delà de l'histoire, c'est la qualité du scénario qui m'a interpelée. Les scénaristes s'étaient beaucoup documenté, avaient passé du temps avec une association aidant les victimes de prostitution de mineurs. On me propose souvent des choses en télé que je décline parce que je trouve ça cliché ou démago mais là, je n’avais aucune raison de refuser et je trouvais que c’était une très bonne occasion de travailler avec des non professionnelles car vu l’âge des héroïnes, elles ne pouvaient pas être chevronnées. La plus jeune, Sarah Isabella, a fêté ses 16 ans sur le tournage.

Comment avez-vous déniché ces talents ?
M.V. :
Nous étions aux prises avec des délais très courts car la pandémie avait retardé les choses. On m'a donné le feu vert en juin 2021 pour tourner en octobre, donc nous avons organisé en août un casting avec des non professionnelles qu'il a fallu chercher ailleurs que dans les circuits habituels. Par exemple, Bintou Ba qui interprète le personnage de Jessica n'avait jamais tourné, mais c'est une jeune fille qui fait du théâtre depuis l'enfance et est passionnée.

Vous avez aussi fait le choix d’intégrer Nina Louise, la fille de Bernard Campan, qui interprète son père dans Comme des Reines.
M.V. :
Ça n’a pas été évident au départ parce que, lorsqu'elle est venue passer ses premiers essais, j'ai trouvé qu’elle ne correspondait vraiment pas au rôle. Je lui ai dit, j’étais assez emmerdée, mais je ne l'aurais pas prise parce que c'était la fille de Bernard. Je lui ai laissé une chance de revenir une semaine plus tard et là, elle m’a stupéfaite, elle avait intégré mes remarques et trouvé quelque chose pour y répondre. Elle est très loin du personnage dans la vie, c'est quelqu'un de très positif, une très bonne camarade, très bien élevée, donc chapeau.

Qu’est ce que ça a apporté de travailler avec un duo père-fille pour interpréter un père et sa fille à l'écran ?
M.V. :
Ils n’ont que deux scènes en commun mais correspondent à des moments très intenses de l'histoire [Le père de Louise parvient à la retrouver via un site d'escorts, ndlr]. Heureusement, nous les avons tournées vers la fin du tournage, ce qui fait que Nina était complètement dans ses marques à ce moment-là. Malgré cela, c'est tellement délicat que le jour de leur scène, il n’y avait plus personne. J'ai vu sa vulnérabilité et Bernard aussi était dans ses petits souliers. 

Comment a été pensé le personnage de Nico ?
M.V. :
Là, c’est une liberté que j’ai prise avec le scénario, qui décrivait un beau gosse qui emballait, un mec charmeur des beaux quartiers. J'ai rencontré beaucoup d'acteurs lors du casting, et je n'étais jamais convaincue, ils faisaient faux durs. Le récit avait besoin d'un acteur qui puisse twister en un claquement de doigt pour foutre la trouille en un quart de seconde. On a failli se retrouver dans une vraie difficulté comme le temps pressait mais, dès que j’ai vu Idir, ça a été une évidence, même s’il ne correspondait ni physiquement, ni à son accent, ni à ce qu’il dégage à ce qui avait été prévu. Il dégage une espèce de dinguerie.
Par ailleurs, j’avais envie de faire un film de bande et comme c’est un type délicieux, je savais que ça allait bien se passer avec les filles durant le tournage. Je ne voulais pas qu’il y ait les trois et le garçon à côté. J'ai parfois eu le sentiment d'être la monitrice en chef d’une petite colo, la camaraderie incroyable qui s'est développée entre ces gamins alors qu’ils tournaient une histoire épouvantable m'a beaucoup marquée et émue. Leur entente, le phénomène de groupe qui s'est créé entre les acteurs a, je crois, servi le film. 

C’était compliqué de s’emparer d’un sujet aussi prégnant dans l’actu ?
M.V. :
Plusieurs documentaires poignants ont dépeint la réalité de la prostitution adolescente, nous proposons autre chose, une fiction. L’option prise par les scénaristes de ne pas creuser les raisons qui amènent ces jeunes filles à vendre leurs corps m’a semblé intéressante. Louise est dans une famille qui a l’air fonctionnelle sans problème d’argent ni de culture. Samia est dans une famille monoparentale certes mais sa mère est aimante et soutenante, d’ailleurs, sa soeur aînée s’en sort très bien. La différence avec le documentaire que j’ai vus, c’est que les filles de la vraie vie ont l’air plus abîmées, plus tristes, plus éteintes. Ce que montrent les études, c'est que beaucoup de ces jeunes filles ont été victimes d’abus et la prostitution est un moyen pour elles de reprendre le contrôle de leurs corps. En le monnayant, elles ont l’impression qu’il leur appartient de nouveau. C’est un piège parce qu'elles tombent dans l'escarcelle d'hommes violents.

En voyant Comme des Reines, on a l'impression que c'est votre réponse à Jeune et jolie, de François Ozon, paru en 2013.
M.V. : La référence est là mais je ne m'en suis pas soucié. Par contre, avant de tourner, j’avais vu un documentaire américain sur Netflix qui m’avait traumatisée, sur des jeunes filles qui font du porno pendant quelques mois ou se retrouvent coincées dedans. Un mac chapeaute tout ça et c’est à gerber. J’ai demandé à toute l'équipe de le voir, afin que tout le monde sache où on allait avec Comme des Reines.

Vous avez plongé de très jeunes actrices dans un sujet très dur. Quelles précautions avez-vous prises ?
M.V. :
Ma première préoccupation, c'était je ne voulais pas mettre les actrices en difficulté, que ce rôle où elles doivent jouer de séduction leur nuise. Si elles sont bandantes et que des mecs devant leur télé se rincent l’oeil, je me suis plantée. J'ai donc convaincu la production de nous laisser travailler avec Djanis Bouzyani, avec qui j'avais travaillé sur mon précédent film, Bonhomme. Comme il vient du milieu du cabaret et est très à l’aise avec le corps et l'art de l’effeuillage, je lui ai demandé d’apprendre aux filles des gestes. Une façon de regarder les mecs, d'aguicher en fait. Et ça, on le faisait entre nous, presque comme un jeu, afin que le jour du tournage elles n’aient pas l’impression de faire des choses dégradantes. Pour qu'elles se sentent à l'aise, Djanis est même venu comme consultant certains jours du tournage.

Ce female gaze intervient aussi dans le récit, notamment par la sororité qui émerge malgré la mise en concurrence des filles dans le travail comme dans le regard de Nico.
M.V. :
Cette sororité intervient à un moment où elles sont en danger et au pied du mur. Leurs relations sont compliquées car la prostitution est comme un apprentissage et un désapprentissage accélérés de la vie. Elles oscillent entre naïveté infantine et grande force de caractère. La perte de valeurs se fait en cascade et ces ados deviennent complètement décalées : comment retourner au collège quand on a vécu ça ? Car en plus, il ne faut pas que ça se sache.
J'aimerais que le film ne soit pas vu que par des parents, mais aussi par des ados, pour qu'ils se rendent compte de la violence qu'il y a derrière ce qu'ils considèrent parfois comme glamour.

Comme des Reines, de Marion Vernoux, diffusé mercredi 22 juin à 21h10 sur France 2.

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