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© Bien ou Bien production

Cinéma : Un an sur le tour­nage du film “Mignonnes”, de Maïmouna Doucouré

Prix de la meilleure réa­li­sa­tion au Festival du film de Sundance, men­tion spé­ciale du jury à la Berlinale, Mignonnes, le pre­mier long-​métrage de Maïmouna Doucouré, réa­li­sa­trice déjà mul­ti­pri­mée avec son court-​métrage Maman(s), sor­ti­ra sur les écrans le 19 août. Son sujet ? L’hypersexualisation des petites filles. Causette vous raconte les cou­lisses du tour­nage que nous avons sui­vi pen­dant plus d’un an. 

Mars 2018, les auditions

Maïmouna a accou­ché il y a trois semaines et la voi­là déjà sur le pont ! Aujourd’hui, elle audi­tionne trois jeunes filles sélec­tion­nées par Tania, sa direc­trice de cas­ting. Entre les repé­rages dans les centres de danse, les cas­tings sau­vages à la sor­tie des écoles et les petites annonces sur les réseaux sociaux, Tania et son équipe ont fait pas­ser plus de sept cents audi­tions à des jeunes filles âgées de 10 à 13 ans. Entre deux impros, Maïmouna donne le sein. « Je cherche cinq jeunes filles. Le per­son­nage prin­ci­pal, c’est Amy, elle a 11 ans, elle est d’origine séné­ga­laise. Elle vit un bou­le­ver­se­ment fami­lial, car, hors champ, on apprend que son père a épou­sé une seconde femme au Sénégal et que sa mère le vit très mal. C’est un clin d’œil à mon court-​métrage Maman(s), qui trai­tait déjà de ce thème et qui est en par­tie auto­bio­gra­phique, car j’ai gran­di dans une famille poly­game. Pour échap­per à cette réa­li­té, Amy va cher­cher à exis­ter à tra­vers un groupe de jeunes filles, Les Mignonnes, qui sont des dan­seuses hyper sexua­li­sées et fans de twerk. » 

110 Les Mignonnes 3 © Bien ou Bien Production.
© Bien ou Bien production 

Parmi les jeunes filles audi­tion­nées ce jour-​là, il y a Ilanah, petite blonde de 12 ans. Guidée avec bien­veillance par Maïmouna, elle va devoir jouer plu­sieurs situa­tions : se mettre en colère parce qu’on l’accuse d’avoir volé de l’argent, être triste, car ses parents ne s’occupent pas d’elle, impro­vi­ser une cho­ré­gra­phie de hip-​hop et de modern jazz. Le tout devant une petite camé­ra. Maïmouna et Tania semblent convain­cues… Ilanah sera fina­le­ment choi­sie pour incar­ner Jessica, l’une des filles de la bande. Maïmouna les informe, avec pudeur et fran­chise, du sujet un peu déli­cat qu’elle va trai­ter : l’hypersexualisation des jeunes filles. C’est lors d’une fête de quar­tier, dans le XIXe arron­dis­se­ment de Paris, que Maïmouna Doucouré a trou­vé l’inspiration : « J’ai été fas­ci­née et à la fois un peu cho­quée par un groupe de jeunes filles de 10 ans qui dan­saient sur scène de manière très las­cive pour leur âge. Elles étaient très agui­cheuses sans en être vrai­ment conscientes, elles dan­saient ain­si par simple mimé­tisme, je pense. Cela m’a don­né envie d’en faire un film », se souvient-​elle. Et puis les pré­ados sont peu représenté·es au cinéma.

Pour qu’elles ne soient pas trop désta­bilisées, les petites actrices sui­vront des séances avec une psy­cho­logue afin de tra­vailler en confiance, les pré­ser­ver et les pré­pa­rer à une future média­ti­sa­tion quand le film sor­ti­ra en salles. 

À quoi rêvent les très jeunes filles ? Pour le savoir et nour­rir son scé­na­rio (récom­pen­sé à la Berlinale et par le Global Filmmaking Award au Festival de Sundance et auquel a col­la­bo­ré Alice Winocour, qui a rem­por­té le césar du meilleur scé­na­rio pour Mustang en 2016), Maïmouna est allée à leur ren­contre, sur le ­ter­rain : « J’allais leur par­ler au Parc de la Villette, aux Buttes-​Chaumont, à la sor­tie des écoles… Beaucoup de témoi­gnages sont très forts. Certaines postent des vidéos sur la Toile en se met­tant des mou­choirs dans leurs soutiens-​gorge pour se gon­fler la poi­trine, en se maquillant outra­geu­se­ment pour se vieillir. Elles se prennent en pho­to ou se filment avec leur por­table dans des posi­tions pro­vo­cantes pour avoir un maxi­mum de like… Elles ne voient pas le dan­ger que cela peut repré­sen­ter. En fait, elles sont en manque d’amour. » Leurs idoles ? Miley Cyrus, Yemi Alade ou Nicki Minaj. Des stars qui véhi­culent l’image d’une sexua­li­té sup­po­sé­ment libé­rée, une vision ultra sexe du girl power. Les gamines, elles, sont influen­cées par les clips, les médias et par Instagram, Facebook, Snapchat, Musical.ly, appli qui car­tonne chez les ados et sur laquelle elles se filment en train de dan­ser ou de faire du play-​back… « Ces jeunes filles gran­dissent avec l’idée que pour être une femme et avoir du suc­cès, que ce soit sur Internet ou dans la vie, il faut être un objet, être sexy comme Kim Kardashian avec ses cent mil­lions de fol­lo­wers et qui ne s’exprime plus qu’à tra­vers la mise en scène de son corps. Comment ces jeunes filles de 10–13 ans se construisent-​elles avec ce modèle-​là ? Je sou­haite créer un élec­tro­choc et sus­ci­ter un vrai débat avec ce film », espère Maïmouna Doucouré.

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© Bien ou Bien production
Juin 2018, les répétitions

La réa­li­sa­trice a enfin trou­vé sa perle rare. Elle a 12 ans, elle est fran­çaise d’origine afro-​guadeloupéenne et s’appelle Fathia dans la vraie vie. Elle a décro­ché le rôle prin­ci­pal – celui d’Amy – en répon­dant à l’annonce sur Facebook. Espiègle, nature, elle est très spon­ta­née pen­dant les impros et réagit très vite. Maïmouna a presque bou­clé son cas­ting, mais elle hésite encore sur le choix de la cin­quième fille de la bande : Yasmine. Pour voir la cohé­sion du groupe, elle va faire répé­ter deux nou­velles jeunes filles avec les quatre autres comé­diennes déjà choi­sies. Toutes sont d’origines dif­fé­rentes, dans la vie comme dans le film. Il y a la timide Amy, la speed Jessica, la cheffe de bande Angelica, Yasmine, la sui­veuse, et Coumba, la révol­tée. Maïmouna veut repré­sen­ter la jeu­nesse dans toute sa diver­si­té et mon­trer que ce phé­no­mène d’hypersexualisation peut tou­cher toutes les classes sociales. Le thème de l’impro du jour, qui s’inspire de l’une des scènes du scé­na­rio, est don­né par Maïmouna. Elles sont dans une fête foraine et l’une d’entre elles trouve un pré­ser­va­tif : « C’est pas un bal­lon ! C’est pour faire l’amour, pour se pro­té­ger du sida », s’esclaffe Coumba, bra­vache. Cris de stu­peur des copines ! Les répé­ti­tions sont spor­tives, car il faut cana­li­ser cinq gamines plu­tôt agi­tées et évi­ter qu’elles surjouent.

À la fin de cette journée-​là, Maïmouna est heu­reuse. Elle a enfin trou­vé sa Yasmine ! L’enthousiasme et la bonne volon­té de ces petites comé­diennes émeuvent la réa­li­sa­trice. Elle qui, lors de la remise de son césar pour son court-​métrage Maman(s), avait décla­ré : « Quand j’ai dit à ma mère que je vou­lais faire du ciné­ma, elle m’a répon­du : “Ce n’est pas pour nous, est-​ce que tu vois des gens qui te res­semblent ?” Aujourd’hui, Maman, j’espère que j’ai réus­si à prou­ver le contraire ! » Maïmouna Doucouré est fran­çaise d’origine séné­ga­laise. Son père est éboueur, sa mère femme de ménage et com­mer­çante. Maïmouna s’est pas­sion­née pour le ciné­ma grâce au concours Hlm sur court, orga­ni­sé par l’Union sociale pour l’habitat. Pour l’occasion, elle a réa­li­sé son pre­mier court-​métrage, Cache-​cache, fil­mé à l’arrache en 2013 et pour lequel elle rece­vra le troi­sième prix. De quoi nour­rir l’espoir. En paral­lèle de ses études – une licence en bio­lo­gie –, elle prend donc quelques cours de théâtre. Puis passe au ciné­ma. Maïmouna s’est accro­chée et, quelques années plus tard, le résul­tat est là : « Je suis une femme, noire, issue des quar­tiers popu­laires, auto­di­dacte. Ce que je repré­sente, c’est déjà du ciné­ma enga­gé. » 

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© Bien ou Bien production 
D’août à octobre 2018, le tournage

Une grande par­tie des exté­rieurs a été tour­née sur les quais de l’Oise, dans le XIXe arron­dis­se­ment de Paris. Là où Maïmouna a gran­di. C’est là aus­si que la bande de filles se filme en dan­sant le twerk. Grâce aux nom­breuses répé­ti­tions avec deux cho­ré­graphes, les comé­diennes ont appris à bou­ger de façon las­cive sur la musique de Yemi Alade, dans l’esprit de son clip Bum Bum. « Amy fait les quatre cents coups. Elle cache ses vête­ments sexy quand elle rentre chez elle, elle a une double vie. Le lion­ceau va deve­nir une pan­thère noire, dit en sou­riant la réa­li­sa­trice. Il y a eu beau­coup de répé­ti­tions en amont avec les filles. Pour que cela soit le plus réa­liste pos­sible, elles n’apprennent pas de texte, je leur raconte ce qu’il faut dire et elles impro­visent autour. Elles gardent ain­si leur spon­ta­néi­té. » 

Finalement, le tour­nage aura duré cinquante-​deux jours, intenses, avec une équipe réduite, dont une grande par­tie tra­vaillait déjà sur Maman(s). Maïmouna se repo­se­ra juste une semaine avant d’enchaîner avec le mon­tage. Depuis, la réa­li­sa­trice est res­tée très atta­chée à ses petites actrices. « Elles m’envoient des mes­sages tous les jours ! Là où je me dis que j’ai réus­si quelque chose, c’est qu’elles sont aujourd’hui mes plus grandes ambas­sa­drices face aux dan­gers de l’hypersexualisation. Elles ont déve­lop­pé leur esprit cri­tique et elles sont deve­nues très vigi­lantes. » Quand le ciné­ma devient politique… 

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