Si, comme nous, vous avez marqué le mercredi 19 mai d'une croix blanche sur votre calendrier en vous enthousiasmant pour la réouverture (avec, pour l'heure, une jauge de 35 % de la capacité des salles) des salles obscures, voici nos recommandations parmi les films qui ressortent. Courrez voir Deux, Mandibules, Garçon chiffon et Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary !
Deux : adorables voisines
Nina et Madeleine : jolis prénoms pour deux beaux personnages, aussi rares au cinéma que doucement subversifs. Ces deux septuagénaires discrètes, nichées dans une petite ville de province, sont en effet de simples voisines aux yeux de tous, alors qu’en réalité elles vont et viennent entre leurs appartements et partagent leurs vies ensemble. En clair, elles filent le parfait amour depuis des années. Personne ne le sait, pas même la fille dévouée de Madeleine. Jusqu’au pépin de santé, tragique, qui va tout bouleverser.
Le premier long métrage de Filippo Meneghetti, jeune cinéaste italien vivant en France, épouse la forme d’un thriller – modeste mais fin – pour mieux dévoiler les cachotteries, malaises et luttes qui jalonnent ces amours clandestines. L’œilleton des portes d’entrée y joue d’ailleurs un rôle récurrent… Idée simple mais bienvenue. D’abord parce qu’elle injecte un peu de tension, voire de paranoïa, dans ce qui reste, pour l’essentiel, une chronique intimiste et délicate. Et ensuite parce qu’elle permet de regarder Nina et Madeleine non pas comme des victimes mais comme des héroïnes. Diminuées et/ou écartées, peut-être, mais obstinées. A travers leur combat s’agite ainsi la question de la censure : celle que les autres nous imposent, et celle que l’on intériorise et s’impose à soi-même.
C’est dire si Deux s’inscrit dans une vraie profondeur. Formidablement relayée, il est vrai, par les grandes comédiennes que sont Barbara Sukowa et Martine Chevallier (sociétaire de la Comédie française). La nuance de leur jeu donne une puissance irrésistible – très requinquante – à Nina et Madeleine !
Mandibules : Dupieux fait mouche
Quel drôle d’oiseau que ce Quentin Dupieux ! Après Rubber ou Le Daim, sans doute ses films les plus délirants, il confirme avec Mandibules qu’il n’a peur de rien. Totalement barré, cet auteur-réalisateur et musicos français nous entraine cette fois dans le sillon de deux abrutis heureux. Deux copains fauchés qui décident d’apprivoiser une mouche géante (de la taille à peu près d’un gros chien) pour se faire de l’argent… Quand l’univers de David Cronenberg (La Mouche) percute celui des frères Farelly (Dumb and Dumber) : les cinéphiles apprécieront. Les autres passeront un moment hors sol, absurde, souriant et tendre. Mention spéciale à Adèle Exarchopoulos, absolument géniale dans un rôle de frappa-dingue vociférante… depuis un accident de ski (mais oui !). Autant dire que les 77 minutes de Mandibules ne ressemblent à rien de connu. Et que ça fait du bien.
Garçon chiffon : garçon d’exception
Il n’y a pas que le titre qui sonne bien dans Garçon chiffon ! Le premier film de Nicolas Maury (Dix pour cent) diffuse aussi une petite musique très personnelle, entre humour et émotion, pour raconter la vie en forme de désastre de Jérémie, son anti-héros. Jugez plutôt : ce personnage est un acteur fébrile au chômage qui vient, en outre, de perdre son père ! Cerise sur le gâteau : c’est un jaloux maladif, incapable de faire confiance à son amoureux (merveilleux Arnaud Valois). Autant dire que tout concourt, a priori, pour que les hauts et les bas de cet hyper narcissique lassent assez vite. Or non ! En dépit de quelques longueurs, Garçon chiffon se regarde très plaisamment. Grâce, bien sûr, à ses moments cocasses et son filmage suave, mais aussi à la composition lunaire de Nicolas Maury dans le rôle de Jérémie. Acteur, coauteur, réalisateur : ce pâle trentenaire est assurément un garçon d’exception.
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary : Wild Wild Girl
Calamity Jane n’a pas toujours été cette aventurière mythique, partie à la conquête de l’Ouest américain un fusil à la main. Elle fut d’abord une petite fille pauvre, née Martha Jane Cannary en 1852, qui apprit très tôt à s’occuper de ses frères et sœurs avant d’imposer ses choix (et d’écrire sa légende, aussi…).
Voilà ce que révèle le film d’animation très réussi de Rémi Chayé. De fait, ce récit d’apprentissage – à visionner sans modération dès l’âge de 7 ans -, a la bonne idée de nous plonger au milieu d’un convoi de pionniers, en 1863, pour mieux nous faire découvrir un monde en construction. Rude, mais idéal pour les esprits rebelles ! Rien de tel, en effet, que d’être amenée à franchir les Montagnes Rocheuses pour prendre goût à la liberté. Surtout quand on vit dans une communauté pétrie de règles et de dogmes, là-même où les filles sont destinées à faire la cuisine, la vaisselle, la lessive et à s’occuper des mômes, point barre !
Malicieux, le récit de Rémi Chayé l’est donc à tout point de vue. D’abord, il adopte la forme panoramique d’un western, offrant un espace formidable à son héroïne frondeuse. Ensuite, il ose la simplicité graphique et les couleurs franches, histoire de rendre accessible à toutes et tous son intrigue bourrée de clins d’œil, de rebondissements et de gags. Et enfin, il pose de bonnes questions. Au hasard : Martha Jane doit-elle mettre un pantalon pour vivre librement ? Ou encore : Est-ce que je reste un garçon si je m’habille avec une robe rose ? Ultime raison d’accompagner cette chevauchée fantastique : la musique géniale de Florence Di Concilio, qui mêle instruments bluegrass et orchestre symphonique. Yihaaaa !
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