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« Debout sur la montagne » : de gauche à droite, Bastien Bouillon, Izïa Higelin, William Lebghil et Jérémie Elkaïm. © Sophie Dulac distribution

La sélec­tion de novembre 2019

Debout sur la mon­tagne, de Sébastien Betbeder

L’art de la fugue semble avoir été inven­té pour lui. Chacun des films de Sébastien Betbeder – il en a réa­li­sé six en six ans ! – s’apparente à une mini-​odyssée. Tendre, cocasse, déca­lée. Souvent ber­cée de notes élec­tro et futées. Celui-​ci ne fait pas excep­tion. 
Après avoir posé sa camé­ra dans le Grand Nord (Le Voyage au Groenland), sur une île bre­tonne (Marie et les Naufragés) ou en bor­dure d’une forêt (Ulysse & Mona), ce cinéaste ­flâ­neur nous entraîne cette fois sur les hau­teurs d’un vil­lage alpin. Loin des tumultes de l’époque… Histoire que Bérénice, Hugo et Stan (Izïa Higelin, William Lebghil et Bastien Bouillon), ses trois anti­hé­ros très atta­chants, puissent réin­ven­ter leur vie. Inséparables quand ils étaient enfants, ces presque tren­te­naires viennent de se retrou­ver dans leurs mon­tagnes d’origine, après quinze années de sépa­ra­tion. Pourront-​ils reprendre leur rela­tion là où elle s’était arrê­tée et renouer avec les rires de leur enfance ? Que reste-​t-​il, au fond, de leur his­toire com­mune et de leur ami­tié ? Autant de ques­tions sen­sibles que ce film fait jus­te­ment réson­ner dans ce décor immuable, là même où le temps semble s’être arrê­té. Mêlant humour, mélan­co­lie et fan­tas­tique (l’un des pro­ta­go­nistes a des visions…), Debout sur la mon­tagne sur­prend, émeut et ravit tour à tour. Joliment boos­té par le charme rafraî­chis­sant de ses comédien·nes. Une fugue en mode mineur et un grand bol d’air. A. A.

Le Traître, de Marco Bellocchio

C’est ce qui s’appelle avoir du talent. Et même davan­tage. À tout juste 80 ans, Marco Bellocchio, l’un des plus sub­tils réa­li­sa­teurs ita­liens, redonne un second souffle au « film de mafia ». Loin des codes hol­ly­woo­diens, il aborde le genre via la figure fameuse du repen­ti Tommaso Buscetta (mort dans son lit) et ses non moins fameuses révé­la­tions au juge Falcone (assas­si­né le 23 mai 1992). Un angle qui lui per­met de son­der des thèmes aus­si inha­bi­tuels que la peur ou… l’éthique. Évitant toute mythi­fi­ca­tion dou­teuse, Bellocchio donne à voir un thril­ler pas­sion­nant, lim­pide, sou­vent caus­tique. Les scènes de pro­cès, avec ses échanges entre mafieux rivaux, tis­sés de haine, de men­songes et de dia­logues en sici­lien, sont pro­pre­ment hal­lu­ci­nantes. A. A.

J’ai per­du mon corps, de Jérémy Clapin

Ce film d’animation va vous faire recon­si­dé­rer la notion de « main bala­deuse ». La his­sant vers des som­mets de poé­sie ! J’ai per­du mon corps raconte en effet la cavale paral­lèle du jeune Naoufel (qui tombe amou­reux de Gabrielle) et d’une main cou­pée (échap­pée d’un labo­ra­toire et bien déci­dée à retrou­ver son corps). Une aven­ture éton­nante qui, bien sûr, fait sens in fine. Il suf­fit juste de se lais­ser por­ter par l’impeccable élan de ce pre­mier long-​­métrage. Dûment récom­pen­sé à Cannes pour son ­des­sin doux, ses per­son­nages vibrant d’humanité (donc de fêlures) et son heu­reux mélange des genres. De fait, ce récit fan­tas­tique s’aventure très joli­ment dans le registre roman­tique. Ainsi la scène de ren­contre entre Naoufel et Gabrielle : un moment inou­bliable de ciné­ma. A. A.

Noura rêve, de Hinde Boujemaa

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Noura rêve, une œuvre poli­tique qui sonde l’irrationalité de l’amour. © Panama Distribution

Son pré­nom signi­fie « lumière » en arabe. De fait, Noura en aurait bien besoin de cette lumière bien­veillante ! Mariée à Jamel, un petit mal­frat de nou­veau incar­cé­ré, jon­glant entre ses trois enfants, son tra­vail et son logis pour­ri dans un quar­tier popu­laire de Tunis, Noura rêve de liber­té. Pour pou­voir vivre au grand jour avec Lassad, l’homme qu’elle aime et réci­pro­que­ment. Heureusement, son divorce doit être pro­non­cé dans cinq jours. Sauf que Jamel est relâ­ché plus tôt que pré­vu et que la loi tuni­sienne punit sévè­re­ment l’adultère (cinq ans de pri­son). Plus ques­tion de rêver pour Noura : l’idée même qu’une épouse puisse aimer ailleurs est inac­cep­table, socia­le­ment, pour l’ego du mâle tuni­sien…
En ques­tion­nant les tabous d’une socié­té consi­dé­rée, pour­tant, comme la plus en avance du point de vue des droits des femmes dans le monde arabo-​musulman, la réa­li­sa­trice belgo-​tunisienne Hinde Boujemaa ne com­met pas seule­ment une œuvre poli­tique (et néces­saire). Tout en nuances, Noura rêve a l’habileté de son­der aus­si des thèmes plus uni­ver­sels comme la las­si­tude dans le couple ou ­l’irrationalité de l’amour. Nanti de per­son­nages com­plexes (Noura n’est pas qu’une vic­time, Jamel n’est pas qu’un sale type) et de comé­diens sobre­ment épous­tou­flants, ce long-​métrage baigne, en outre, dans une lumière inha­bi­tuelle pour un pays médi­ter­ra­néen. Une lumière terne et sans cha­leur. A. A.

Knives and Skin, de Jennifer Reeder

Cinéaste gothique, très vite remar­quée pour ses courts et ses moyens-​métrages déca­lés, Jennifer Reeder n’a jamais caché ses influences. Nul hasard, donc, si Knives and Skin s’inspire de l’univers très for­mel, sou­vent sym­bo­lique et volon­tiers trou­blant de David Lynch. De fait, son récit s’ouvre sur la dis­pa­ri­tion d’une belle et secrète ado­les­cente. Absence qui, peu à peu, va han­ter, agi­ter, puis trans­for­mer les habitant·es d’une petite ville ordi­naire amé­ri­caine du Midwest. Difficile de ne pas pen­ser à Twin Peaks ! 
Même gor­gé de clins d’œil, le teen movie mélan­co­lique de Jennifer Reeder lui per­met d’affirmer sa per­son­na­li­té. Déjà parce qu’il parle autant du monde ado­les­cent que du monde adulte. Cela de façon aiguë, voire sur­réa­liste : les trois mères (bri­sées) qui y sont dépeintes sortent ain­si tota­le­ment des codes de repré­sen­ta­tions habi­tuelles. Ensuite, parce qu’il explore un sujet dif­fi­cile – le deuil – sans jamais ver­ser dans le pathos ni le mor­bide. Là encore, l’inattendu est pri­vi­lé­gié, oscil­lant entre tris­tesse et beau­té (joli tra­vail sur le maquillage, les cos­tumes et les cou­leurs). 
Dernier atout de Knives and Skin : sa BO qui revi­site en dou­ceur plu­sieurs mor­ceaux pop des années 1980. Grâce à elle, le temps semble se sus­pendre, rac­cord avec le sen­ti­ment de flot­te­ment qui anime l’ensemble des pro­ta­go­nistes. Le « petit film sty­lé » devient alors sim­ple­ment déchi­rant. A. A.

Nouvelle Cordée, de Marie-​Monique Robin

Garanti : vous sor­ti­rez de la pro­jec­tion aus­si emballé·es que révolté·es. C’est l’effet Nouvelle Cordée, le film de Marie-​Monique Robin. Journaliste enga­gée, elle a notam­ment dénon­cé les agis­se­ments de Monsanto dans une enquête qui a fait date. Cette fois, elle signe un docu­men­taire pal­pi­tant sur une expé­rience socié­tale, créée par ATD Quart Monde, les Territoires zéro chô­meur de longue durée (TZCLD). Dans les grandes lignes, il s’agit de mon­ter une entre­prise qui embauche en CDI des gens au chô­mage depuis plus d’un an pour des mis­sions créées en fonc­tion des besoins du ter­ri­toire. Et ça marche. Marie-​Monique Robin a fil­mé la mise en place d’un TZCLD à Mauléon (Deux-​Sèvres) en 2015. Pendant quatre ans, elle a sui­vi le par­cours de plu­sieurs participant·es très précarisé·es au départ. Au fil des mois, à mesure que chacun·e retrouve le cir­cuit du tra­vail, des liens, des pro­jets, leur trans­for­ma­tion phy­sique et morale est spec­ta­cu­laire. Aujourd’hui, des TZCLD sont expé­ri­men­tés dans dix ter­ri­toires, onze entre­prises ont été créées, plus de six cents per­sonnes embau­chées. Pourtant, le gou­ver­ne­ment traîne des pieds pour signer l’extension du pro­jet. Alors que, nous dit Marie-​Monique Robin : « L’utopie existe, nous l’avons fil­mée. » I. M.

Les Enfants d’Isadora, de Damien Manivel

Ancien dan­seur, Damien Manivel pro­pose ici une trans­crip­tion très per­son­nelle de la cho­ré­gra­phie Mother. Celle que la mythique Isadora Duncan com­po­sa après le décès tra­gique de ses deux enfants en 1913. Tel un puits de dou­leur. Exigeant, très pré­cis, Manivel struc­ture son film comme un bal­let en trois actes. Chacun étant dan­sé par un ou deux corps dif­fé­rents (on démarre avec l’insondable Agathe Bonitzer). Un brin concep­tuel et contem­pla­tif, son récit s’incarne de plus en plus heu­reu­se­ment… La pro­gres­sion est per­ti­nente, chaque dan­seuse cher­chant son « propre geste » pour dire la perte et l’absence. Un che­mi­ne­ment qui trouve son apo­gée dans la der­nière par­tie du film. Littéralement habi­tée par la cho­ré­graphe amé­ri­caine Elsa Wolliaston, vieille dame bou­le­ver­sante et bou­le­ver­sée. A. A.

Little Joe, de Jessica Hausner

Humour à froid, mise en scène mil­li­mé­trée, esthé­tique anxio­gène : le nou­veau film de Jessica Hausner intrigue. La réa­li­sa­trice autri­chienne nous entraîne dans les pas d’Alice, mère céli­ba­taire et géné­ti­cienne che­vron­née, qui vient de créer une plante cen­sée rendre heu­reux. Sauf que cette fleur ver­millon va chan­ger les gens qui res­pirent son pol­len. Notamment son fils… Dommage que le charme étrange de cette fable d’anticipation finisse par se faner, comme anes­thé­sié par sa len­teur et son for­ma­lisme. Car Little Joe a du poten­tiel. Accueillir la fine fleur des comé­diens anglais (Emily Beecham et Ben Whishaw) n’est pas rien. De même que relier des thé­ma­tiques aus­si sen­sibles que la mater­ni­té, l’omnipotence de la science ou le bon­heur… On aurait juste aimé que cette belle plante soit plus vivace ! A. A. 

Les Éblouis, de Sarah Suco

Voici un pre­mier film sacré­ment culot­té. Et réus­si ! Les Éblouis nous immerge dans le quo­ti­dien d’une secte catho­lique nichée dans la res­pec­table ville d’Angoulême. Délicate matière que Sarah Suco a choi­si d’aborder selon le point de vue de Camille, une ado­les­cente lumi­neuse qui, peu à peu, va oser bra­ver l’autorité de ses parents embri­ga­dés, puis l’ensemble de cette étrange com­mu­nau­té. Une double ten­sion anime donc son récit : tan­dis que les adultes perdent leur libre arbitre, Camille, elle, tente de s’émanciper. Non sans dif­fi­cul­té. C’est d’autant plus fort que Sarah Suco, qui raconte peu ou prou sa propre his­toire, évite le règle­ment de comptes. Tous les comédien·nes, de Céleste Brunnquell à Jean-​Pierre Darroussin, en pas­sant par Camille Cottin ou Éric Caravaca, sont impres­sion­nants de jus­tesse. A. A.

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