LITIGANTE 1
Une mère incroyable © Ad Vitam

La sélec­tion de février 2020

Une mère incroyable, de Franco Lolli

Surtout, ne vous fiez pas au titre fran­çais ! Une mère incroyable est, certes, un por­trait de femme mais, ici, nulle subli­ma­tion atten­drie de la mater­ni­té ni volon­té de dres­ser un par­cours exem­plaire. Au contraire : le deuxième long-​métrage de Franco Lolli, jeune cinéaste franco–colombien, chro­nique un moment cri­tique dans la vie de son héroïne, Silvia, maman céli­ba­taire et avo­cate à Bogota. Jouant d’emblée la carte d’une inti­mi­té com­plexe.
De fait, Silvia doit affron­ter – dans le même temps – la charge men­tale que connaît toute mère/​femme active (son fils pré­ado com­mence, en outre, à l’interroger sur son père), le can­cer de sa propre mère (tyran­nique et qui refuse de se soi­gner) et des accu­sa­tions dans un scan­dale de cor­rup­tion (son chef au bureau des tra­vaux publics de la ville l’ayant pas­sa­ble­ment mani­pu­lée). Un quo­ti­dien très cha­hu­té, on le voit, d’autant que la brune qua­dra trouve le moyen de tom­ber amou­reuse… Pas de sur­charge lacry­male pour autant. Une mère incroyable n’est déci­dé­ment pas un mélo et c’est tant mieux ! 
Fluide et doux glo­ba­le­ment, quoique bru­tal par à‑coups (quelques engueu­lades mémo­rables à la clé), le ciné­ma de Franco Lolli pré­fère infil­trer une veine natu­ra­liste. Il peut faire pen­ser, par­fois, à celui de Maurice Pialat (Sylvie Pialat, sa veuve, est d’ailleurs copro­duc­trice du film). Au plus près de la vie, bien que moins écor­ché. Comme son illustre pré­dé­ces­seur, en tout cas, Franco Lolli donne à voir une grande actrice débu­tante dans le rôle prin­ci­pal. En avo­cate jus­ti­ciable, Carolina Sanin est ain­si d’une jus­tesse… incroyable.

Une mère incroyable, de Franco Lolli. Sortie le 19 février. 

Adam, de Maryam Touzani

Sobre et tou­chant. Pourtant, Adam, pre­mier film de Maryam Touzani, opte pour une forme casse-​gueule, celle d’un huis clos fémi­nin dans la médi­na de Casablanca. Mais l’audace est payante : cette inti­mi­té éclaire jus­te­ment la rela­tion sen­sible qui se noue entre la sévère Abla, une veuve qui élève seule sa fillette, et la vibrante Samia, à la rue parce que enceinte et céli­ba­taire (avoir un enfant hors mariage est illé­gal au Maroc). Méfiance, pudeur, soli­da­ri­té : Maryam Touzani aus­culte en dou­ceur la ren­contre de ces deux soli­tudes. La force de son récit s’impose peu à peu, sans doute parce qu’elle sait ques­tion­ner la mater­ni­té et le désir d’être mère sans jamais juger ses pro­ta­go­nistes. Difficile, de toute façon, de résis­ter au jeu intense de Lubna Azabal et Nisrin Erradi, for­mi­dables interprètes !

Adam, de Maryam Touzani. Sortie le 5 février. 

Tout peut chan­ger. Et si les femmes comp­taient à Hollywood ?, de Tom Donahue

Des témoi­gnages, des chiffres, des faits. Le docu­men­taire de Tom Donahue est d’une effi­ca­ci­té et d’une actua­li­té redou­tables. À l’américaine ! Son pro­pos ? Dénoncer la sous-​représentation des femmes à Hollywood, hier comme aujourd’hui. Rien de neuf… Sauf que, pour la cause, le cinéaste a réuni une palette incroyable de comé­diennes, pro­duc­trices et réa­li­sa­trices (dont Meryl Streep, Cate Blanchett, Sandra Oh, Shonda Rhimes ou Geena Davis, pro­duc­trice exé­cu­tive du film). Sauf qu’il s’appuie sur des enquêtes datant de qua­rante ans comme d’aujourd’hui. Accablantes. Sauf qu’il illustre ses argu­ments par de nom­breux extraits de films. Imparables. Bien sûr, Tout peut chan­ger… est une œuvre mili­tante, donc démons­tra­tive. Elle n’en reste pas moins docu­men­tée et utile.

Tout peut chan­ger. Et si les femmes comp­taient à Hollywood ?, de Tom Donahue. Sortie le 19 février. 

Un jour si blanc, d’Hlynur Palmason

UnJourSiBlanc5 ©UrbanDistribution
Ingvar Eggert Sigurðsson dans le rôle d’Ingimundur. © Urban distribution

On pense un peu à l’univers minu­tieux et grin­çant de Claude Chabrol. Singulièrement à Que la bête meure, film ver­ti­gi­neux construit, lui aus­si, autour de l’enquête d’un héros endeuillé et ven­geur. Très vite, pour­tant, Un jour si blanc impose sa dif­fé­rence. De fait, la puis­sance de son cadre – l’Islande, terre gla­ciale – dépayse au moins autant qu’elle intrigue !
Sur fond de météo impré­vi­sible, le film d’Hlynur Palmason déroule donc d’emblée un récit sous ten­sion, qui ne cesse d’interroger les appa­rences (magni­fi­que­ment pho­to­gra­phiées). D’une part, on suit l’enquête domes­tique d’Ingimundur, poli­cier de vil­lage qui soup­çonne un voi­sin d’avoir eu une liai­son avec sa femme, récem­ment décé­dée dans un acci­dent de voi­ture. Enquête qui ne l’empêche pas de s’occuper de sa petite-​fille futée ni de construire la mai­son de sa fille. D’autre part, on accom­pagne la dérive inquié­tante, jusqu’aux portes de la folie, de ce veuf incon­so­lé, téné­breux et ran­cu­nier. Dans le brouillard, à tout point de vue !
Sourde vio­lence qu’Hlynur Palmason aus­culte avec une juste froi­deur. Raccord avec son cadre spec­tral et bru­meux, dont il scrute chaque détail à grand ren­fort de plans fixes et tai­seux (notam­ment dans son très beau pro­logue). Il fait bien : cette mon­tée en puis­sance méti­cu­leuse capte idéa­le­ment le jeu tout en fêlures d’Ingvar Eggert Sigurðsson, impres­sion­nant dans le rôle prin­ci­pal. Elle per­met aus­si à Un jour si blanc, faux film noir, de bas­cu­ler dans le registre du conte, bel et bien tis­sé de ter­reurs et d’espièglerie, donc d’ambiguïtés… 

Un jour si blanc, d’Hlynur Palmason. En salles. 

Un soir en Toscane, de Jacek Borcuch

On dirait le Sud… et un peu, au départ, cer­tains films d’Ettore Scola. Parce qu’Un soir en Toscane se passe en Italie, chez des intel­los de gauche vieillis­sants qui s’interrogent sur eux-​mêmes et le temps qui passe, dans la lumière dorée d’un été finis­sant. Sauf que c’est une femme qui est au cœur du récit. Une poé­tesse, polo­naise et juive, exi­lée en Toscane depuis qua­rante ans. On vient de lui décer­ner le prix Nobel, qu’elle refuse lors d’un dis­cours qui pro­voque un scan­dale, sur fond de crise des migrants. Premier atout : Un soir en Toscane est un film judi­cieu­se­ment inquiet, quoique élé­gam­ment fil­mé et inter­pré­té (par Krystyna Janda, comé­dienne fétiche d’Andrzej Wajda). Second bonus : c’est un film intel­li­gent, qui pose de bonnes ques­tions – sur la fonc­tion de l’artiste, sur la peur de l’autre, sur l’échec de l’Europe – sans jamais sem­bler théo­rique. En clair, il séduit. Profondément.

Un soir en Toscane, de Jacek Borcuch. Sortie le 5 février. 

La Fille au bra­ce­let, de Stéphane Demoustier

Le troi­sième long-​métrage de Stéphane Demoustier conte une his­toire bien trou­blante (ins­pi­rée du film argen­tin Acusada) : celle de Lise, bache­lière de 18 ans, accu­sée du meurtre de sa meilleure amie. Raison pour laquelle cette jeune fille de bonne famille porte un bra­ce­let élec­tro­nique. Autant dire que c’est un film de pré­toire qui, en dépit d’une réa­li­sa­tion un peu appli­quée, intrigue de bout en bout. À cause de la per­son­na­li­té opaque de Lise. À cause de ce qui nous est dit de la sexua­li­té ado­les­cente aujourd’hui, sur fond de réseaux sociaux. À cause du cadre, aus­tère, pas vrai­ment ras­su­rant, du tri­bu­nal. Et… grâce à deux inter­prètes sai­sis­sants : Roschdy Zem et Chiara Mastroianni, remar­quables en parents désem­pa­rés et confus.

La Fille au bra­ce­let, de Stéphane Demoustier. Sortie le 12 février. 

Deux, de Filippo Meneghetti

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Léa Drucker (Anne) et Martine Chevallier (Madeleine). © Sophie Dulac distribution

Nina et Madeleine : jolis pré­noms pour deux beaux per­son­nages, aus­si rares au ciné­ma que dou­ce­ment sub­ver­sifs. Ces deux sep­tua­gé­naires dis­crètes, nichées dans une petite ville de pro­vince, sont en effet de simples voi­sines aux yeux de tous et toutes, alors que, en réa­li­té, elles vont et viennent entre leurs appar­te­ments et par­tagent leurs vies ensemble. En clair, elles filent le par­fait amour depuis des années. Personne ne le sait, pas même la fille dévouée de Madeleine. Jusqu’au pépin de san­té, tra­gique, qui va tout bou­le­ver­ser.
Le pre­mier long-​métrage de Filippo Meneghetti, jeune cinéaste ita­lien vivant en France, épouse la forme d’un thril­ler – modeste mais fin – pour mieux dévoi­ler les cachot­te­ries, les malaises et les luttes qui jalonnent ces amours clan­des­tines. L’œilleton des portes d’entrée y joue d’ailleurs un rôle récur­rent… Idée simple mais bien­ve­nue. D’abord parce qu’elle injecte un peu de ten­sion, voire de para­noïa, dans ce qui reste, pour l’essentiel, une chro­nique inti­miste et déli­cate. Et ensuite parce qu’elle per­met de regar­der Nina et Madeleine non comme des vic­times mais comme des héroïnes. Diminuées et/​ou écar­tées, peut-​être, mais obs­ti­nées. À tra­vers leur com­bat s’agite ain­si la ques­tion de la cen­sure : celle que les autres nous imposent et celle que l’on inté­rio­rise et s’impose à soi-​même. 
C’est dire si Deux s’inscrit dans une vraie pro­fon­deur. Formidablement relayée, il est vrai, par les grandes comé­diennes que sont Barbara Sukowa et Martine Chevallier (socié­taire de la Comédie-​Française). La nuance de leur jeu donne une puis­sance irré­sis­tible – très requin­quante – à Nina et Madeleine ! 

Deux, de Filippo Meneghetti. Sortie le 12 février. 

Queen & Slim, de Melina Matsoukas 

Une infrac­tion mineure, une situa­tion qui dégé­nère, un homme et une femme obligé·es de fuir pour sau­ver leur peau : le sché­ma peut sem­bler clas­sique. Sauf que ni le cadre – les États-​Unis de Donald Trump – ni les pro­ta­go­nistes – deux Afro-Américain·es issu·es de la classe moyenne – ne le sont. Leur cavale ren­voie aux pires heures de la ségré­ga­tion, bien qu’elle s’inscrive dans l’hyperviolence de 2020 (leur arres­ta­tion a été fil­mée, la vidéo devient virale sur Internet). Cette acui­té poli­tique est l’une des qua­li­tés de ce pre­mier film. L’autre étant l’habileté avec laquelle sa réa­li­sa­trice, éga­le­ment afro-​américaine, se réap­pro­prie les genres du ciné­ma amé­ri­cain blanc (le road-​movie, le thril­ler, la comé­die roman­tique) pour racon­ter cette pour­suite impi­toyable et raciste. Beau geste, à tout point de vue !

Queen & Slim, de Melina Matsoukas. Sortie le 12 février. 

Revenir, de Jessica Palud

Le monde rural a la cote dans le ciné­ma fran­çais ! L’approche de la réali-​satrice Jessica Palud, qui raconte ici le retour for­cé d’un fils fâché dans la ferme de son père, est néan­moins ori­gi­nale. Peu bavard, son film s’attache sur­tout à scru­ter les liens fami­liaux même s’il parle aus­si, en creux, de la détresse pay­sanne. Filmée par petites touches sobres, bai­gnant dans une belle lumière esti­vale, son his­toire simple, qui oscille entre ran­cœurs et pos­sibles recons­truc­tions, finit par sur­prendre. Puis par hap­per. Les jeux incan­des­cents de Niels Schneider et d’Adèle Exarchopoulos n’y sont pas étran­gers ! Le pre­mier est tou­chant dans le rôle du héros soli­taire, qui trouve sa place en père de sub­sti­tu­tion de son neveu orphe­lin. Tandis que la seconde est évi­dente dans celui de sa belle-​sœur, rési­liente et troublante…

Revenir, de Jessica Palud. En salles

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