Une mère incroyable, de Franco Lolli
Surtout, ne vous fiez pas au titre français ! Une mère incroyable est, certes, un portrait de femme mais, ici, nulle sublimation attendrie de la maternité ni volonté de dresser un parcours exemplaire. Au contraire : le deuxième long-métrage de Franco Lolli, jeune cinéaste franco–colombien, chronique un moment critique dans la vie de son héroïne, Silvia, maman célibataire et avocate à Bogota. Jouant d’emblée la carte d’une intimité complexe.
De fait, Silvia doit affronter – dans le même temps – la charge mentale que connaît toute mère/femme active (son fils préado commence, en outre, à l’interroger sur son père), le cancer de sa propre mère (tyrannique et qui refuse de se soigner) et des accusations dans un scandale de corruption (son chef au bureau des travaux publics de la ville l’ayant passablement manipulée). Un quotidien très chahuté, on le voit, d’autant que la brune quadra trouve le moyen de tomber amoureuse… Pas de surcharge lacrymale pour autant. Une mère incroyable n’est décidément pas un mélo et c’est tant mieux !
Fluide et doux globalement, quoique brutal par à‑coups (quelques engueulades mémorables à la clé), le cinéma de Franco Lolli préfère infiltrer une veine naturaliste. Il peut faire penser, parfois, à celui de Maurice Pialat (Sylvie Pialat, sa veuve, est d’ailleurs coproductrice du film). Au plus près de la vie, bien que moins écorché. Comme son illustre prédécesseur, en tout cas, Franco Lolli donne à voir une grande actrice débutante dans le rôle principal. En avocate justiciable, Carolina Sanin est ainsi d’une justesse… incroyable.
Une mère incroyable, de Franco Lolli. Sortie le 19 février.
Adam, de Maryam Touzani
Sobre et touchant. Pourtant, Adam, premier film de Maryam Touzani, opte pour une forme casse-gueule, celle d’un huis clos féminin dans la médina de Casablanca. Mais l’audace est payante : cette intimité éclaire justement la relation sensible qui se noue entre la sévère Abla, une veuve qui élève seule sa fillette, et la vibrante Samia, à la rue parce que enceinte et célibataire (avoir un enfant hors mariage est illégal au Maroc). Méfiance, pudeur, solidarité : Maryam Touzani ausculte en douceur la rencontre de ces deux solitudes. La force de son récit s’impose peu à peu, sans doute parce qu’elle sait questionner la maternité et le désir d’être mère sans jamais juger ses protagonistes. Difficile, de toute façon, de résister au jeu intense de Lubna Azabal et Nisrin Erradi, formidables interprètes !
Adam, de Maryam Touzani. Sortie le 5 février.
Tout peut changer. Et si les femmes comptaient à Hollywood ?, de Tom Donahue
Des témoignages, des chiffres, des faits. Le documentaire de Tom Donahue est d’une efficacité et d’une actualité redoutables. À l’américaine ! Son propos ? Dénoncer la sous-représentation des femmes à Hollywood, hier comme aujourd’hui. Rien de neuf… Sauf que, pour la cause, le cinéaste a réuni une palette incroyable de comédiennes, productrices et réalisatrices (dont Meryl Streep, Cate Blanchett, Sandra Oh, Shonda Rhimes ou Geena Davis, productrice exécutive du film). Sauf qu’il s’appuie sur des enquêtes datant de quarante ans comme d’aujourd’hui. Accablantes. Sauf qu’il illustre ses arguments par de nombreux extraits de films. Imparables. Bien sûr, Tout peut changer… est une œuvre militante, donc démonstrative. Elle n’en reste pas moins documentée et utile.
Tout peut changer. Et si les femmes comptaient à Hollywood ?, de Tom Donahue. Sortie le 19 février.
Un jour si blanc, d’Hlynur Palmason
![La sélection de février 2020 2 UnJourSiBlanc5 ©UrbanDistribution](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/UnJourSiBlanc5_©UrbanDistribution-1024x429.jpg)
On pense un peu à l’univers minutieux et grinçant de Claude Chabrol. Singulièrement à Que la bête meure, film vertigineux construit, lui aussi, autour de l’enquête d’un héros endeuillé et vengeur. Très vite, pourtant, Un jour si blanc impose sa différence. De fait, la puissance de son cadre – l’Islande, terre glaciale – dépayse au moins autant qu’elle intrigue !
Sur fond de météo imprévisible, le film d’Hlynur Palmason déroule donc d’emblée un récit sous tension, qui ne cesse d’interroger les apparences (magnifiquement photographiées). D’une part, on suit l’enquête domestique d’Ingimundur, policier de village qui soupçonne un voisin d’avoir eu une liaison avec sa femme, récemment décédée dans un accident de voiture. Enquête qui ne l’empêche pas de s’occuper de sa petite-fille futée ni de construire la maison de sa fille. D’autre part, on accompagne la dérive inquiétante, jusqu’aux portes de la folie, de ce veuf inconsolé, ténébreux et rancunier. Dans le brouillard, à tout point de vue !
Sourde violence qu’Hlynur Palmason ausculte avec une juste froideur. Raccord avec son cadre spectral et brumeux, dont il scrute chaque détail à grand renfort de plans fixes et taiseux (notamment dans son très beau prologue). Il fait bien : cette montée en puissance méticuleuse capte idéalement le jeu tout en fêlures d’Ingvar Eggert Sigurðsson, impressionnant dans le rôle principal. Elle permet aussi à Un jour si blanc, faux film noir, de basculer dans le registre du conte, bel et bien tissé de terreurs et d’espièglerie, donc d’ambiguïtés…
Un jour si blanc, d’Hlynur Palmason. En salles.
Un soir en Toscane, de Jacek Borcuch
On dirait le Sud… et un peu, au départ, certains films d’Ettore Scola. Parce qu’Un soir en Toscane se passe en Italie, chez des intellos de gauche vieillissants qui s’interrogent sur eux-mêmes et le temps qui passe, dans la lumière dorée d’un été finissant. Sauf que c’est une femme qui est au cœur du récit. Une poétesse, polonaise et juive, exilée en Toscane depuis quarante ans. On vient de lui décerner le prix Nobel, qu’elle refuse lors d’un discours qui provoque un scandale, sur fond de crise des migrants. Premier atout : Un soir en Toscane est un film judicieusement inquiet, quoique élégamment filmé et interprété (par Krystyna Janda, comédienne fétiche d’Andrzej Wajda). Second bonus : c’est un film intelligent, qui pose de bonnes questions – sur la fonction de l’artiste, sur la peur de l’autre, sur l’échec de l’Europe – sans jamais sembler théorique. En clair, il séduit. Profondément.
Un soir en Toscane, de Jacek Borcuch. Sortie le 5 février.
La Fille au bracelet, de Stéphane Demoustier
Le troisième long-métrage de Stéphane Demoustier conte une histoire bien troublante (inspirée du film argentin Acusada) : celle de Lise, bachelière de 18 ans, accusée du meurtre de sa meilleure amie. Raison pour laquelle cette jeune fille de bonne famille porte un bracelet électronique. Autant dire que c’est un film de prétoire qui, en dépit d’une réalisation un peu appliquée, intrigue de bout en bout. À cause de la personnalité opaque de Lise. À cause de ce qui nous est dit de la sexualité adolescente aujourd’hui, sur fond de réseaux sociaux. À cause du cadre, austère, pas vraiment rassurant, du tribunal. Et… grâce à deux interprètes saisissants : Roschdy Zem et Chiara Mastroianni, remarquables en parents désemparés et confus.
La Fille au bracelet, de Stéphane Demoustier. Sortie le 12 février.
Deux, de Filippo Meneghetti
![La sélection de février 2020 3 deux 5 228 v2cs paprika films tarantula artemis production 5e02162375914](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/deux-5-228-v2cs-paprika-films-tarantula-artemis-production-5e02162375914-1024x436.jpg)
Nina et Madeleine : jolis prénoms pour deux beaux personnages, aussi rares au cinéma que doucement subversifs. Ces deux septuagénaires discrètes, nichées dans une petite ville de province, sont en effet de simples voisines aux yeux de tous et toutes, alors que, en réalité, elles vont et viennent entre leurs appartements et partagent leurs vies ensemble. En clair, elles filent le parfait amour depuis des années. Personne ne le sait, pas même la fille dévouée de Madeleine. Jusqu’au pépin de santé, tragique, qui va tout bouleverser.
Le premier long-métrage de Filippo Meneghetti, jeune cinéaste italien vivant en France, épouse la forme d’un thriller – modeste mais fin – pour mieux dévoiler les cachotteries, les malaises et les luttes qui jalonnent ces amours clandestines. L’œilleton des portes d’entrée y joue d’ailleurs un rôle récurrent… Idée simple mais bienvenue. D’abord parce qu’elle injecte un peu de tension, voire de paranoïa, dans ce qui reste, pour l’essentiel, une chronique intimiste et délicate. Et ensuite parce qu’elle permet de regarder Nina et Madeleine non comme des victimes mais comme des héroïnes. Diminuées et/ou écartées, peut-être, mais obstinées. À travers leur combat s’agite ainsi la question de la censure : celle que les autres nous imposent et celle que l’on intériorise et s’impose à soi-même.
C’est dire si Deux s’inscrit dans une vraie profondeur. Formidablement relayée, il est vrai, par les grandes comédiennes que sont Barbara Sukowa et Martine Chevallier (sociétaire de la Comédie-Française). La nuance de leur jeu donne une puissance irrésistible – très requinquante – à Nina et Madeleine !
Deux, de Filippo Meneghetti. Sortie le 12 février.
Queen & Slim, de Melina Matsoukas
Une infraction mineure, une situation qui dégénère, un homme et une femme obligé·es de fuir pour sauver leur peau : le schéma peut sembler classique. Sauf que ni le cadre – les États-Unis de Donald Trump – ni les protagonistes – deux Afro-Américain·es issu·es de la classe moyenne – ne le sont. Leur cavale renvoie aux pires heures de la ségrégation, bien qu’elle s’inscrive dans l’hyperviolence de 2020 (leur arrestation a été filmée, la vidéo devient virale sur Internet). Cette acuité politique est l’une des qualités de ce premier film. L’autre étant l’habileté avec laquelle sa réalisatrice, également afro-américaine, se réapproprie les genres du cinéma américain blanc (le road-movie, le thriller, la comédie romantique) pour raconter cette poursuite impitoyable et raciste. Beau geste, à tout point de vue !
Queen & Slim, de Melina Matsoukas. Sortie le 12 février.
Revenir, de Jessica Palud
Le monde rural a la cote dans le cinéma français ! L’approche de la réali-satrice Jessica Palud, qui raconte ici le retour forcé d’un fils fâché dans la ferme de son père, est néanmoins originale. Peu bavard, son film s’attache surtout à scruter les liens familiaux même s’il parle aussi, en creux, de la détresse paysanne. Filmée par petites touches sobres, baignant dans une belle lumière estivale, son histoire simple, qui oscille entre rancœurs et possibles reconstructions, finit par surprendre. Puis par happer. Les jeux incandescents de Niels Schneider et d’Adèle Exarchopoulos n’y sont pas étrangers ! Le premier est touchant dans le rôle du héros solitaire, qui trouve sa place en père de substitution de son neveu orphelin. Tandis que la seconde est évidente dans celui de sa belle-sœur, résiliente et troublante…
Revenir, de Jessica Palud. En salles