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Juliette (Alexane Jamieson, à droite) et Léane (Léanne Désilets) envoient bouler tous nos complexes. © Ligne 7

La sélec­tion de décembre 2019

Jeune Juliette, d'Anne Émond

La ten­dresse plu­tôt que les portes qui claquent. La tête haute plu­tôt que les com­plexes. L’humour plu­tôt que le psy­cho­drame en trois actes. Jeune Juliette, qui dresse le por­trait d’une col­lé­gienne effron­tée, bou­lotte et soli­taire de 14 ans, prend à contre-​pied tous les cli­chés habi­tuels de la chro­nique ado­les­cente. Un vrai bain de fraî­cheur… Quand bien même Anne Émond, sa réa­li­sa­trice, nous immerge dans une morne ban­lieue de Montréal lors d’un été cani­cu­laire.
Bien sûr, l’accent qué­bé­cois par­ti­cipe du charme de ce teen movie alter­na­tif. Et bien sûr, son côté pop, léger, colo­ré, un brin vin­tage, avive son déca­lage. Mais ce qui le dis­tingue en pre­mier lieu, c’est le per­son­nage (moteur) de Juliette. Merveilleusement inter­pré­tée par la lumi­neuse Alexane Jamieson, cette héroïne un peu grosse, très futée et pas vrai­ment popu­laire dans son col­lège, est sidé­rante de force tran­quille, en fait.
Quels que soient ses petits aga­ce­ments et ses grandes décep­tions (sa mère est par­tie vivre sa vie depuis long­temps à New York), la jeune Juliette ne se pose jamais en vic­time. Non seule­ment elle se fiche de cor­res­pondre aux stan­dards actuels de beau­té, mais elle assume aus­si toutes les dif­fé­rences (les siennes, comme celles de sa meilleure copine qui fait son coming out, ou celles du petit gar­çon autiste qu’elle est cen­sée ‑gar­der). Portée par la ten­dresse de son père et de son grand frère, sau­vée par son ima­gi­na­tion débor­dante, cette fron­deuse nous venge de tous nos cha­grins ado­les­cents. Sur un mode ludique, suprême élégance ! 

Les Envoûtés, de Pascal Bonitzer

Les fan­tômes ont la cote. À la fron­tière du visible et de l’invisible, ils hantent volon­tiers les réa­li­sa­teurs qui aiment s’aventurer aux confins du film de genre et du ciné­ma d’auteur. Ainsi Pascal Bonitzer, ciné­phile et scé­na­riste accom­pli. Délaissant ses per­son­nages de bobos pari­siens et sa veine iro­nique, il nous raconte ici la ren­contre fatale, au fin fond des Pyrénées, entre Coline, jeune pigiste pour un maga­zine fémi­nin, et Simon, artiste un peu sau­vage qui aurait vu le fan­tôme de sa mère à l’instant de sa mort. Une once de roman­tisme, une pin­cée de fan­tas­tique : Les Envoûtés intrigue, en dépit de quelques len­teurs. Ce conte mys­té­rieux sur l’amour, la folie et la mort est trans­cen­dé par l’intensité sin­gu­lière de Sara Giraudeau et Nicolas Duvauchelle. Leur aura est rare, en effet. 

Seules les bêtes, de Dominik Moll

Évelyne, femme soli­taire, dis­pa­raît au len­de­main d’une tem­pête de neige sur les hauts pla­teaux du Massif cen­tral. Aucune piste, sauf que cinq per­sonnes vont se révé­ler être liées à sa dis­pa­ri­tion. Toutes ont un secret… Dominik Moll aime les ciné­mas d’Hitchcock et de Chabrol, et il a bien rai­son ! Dans le pas de ses illustres aînés, le réa­li­sa­teur d’Harry, un ami qui vous veut du bien tutoie à nou­veau les som­mets avec Seules les bêtes, thril­ler adap­té d’un roman signé Colin Niel. Nanti d’une construc­tion habile (façon puzzle), d’un cadre éton­nant (des Grands Causses à l’Afrique de l’Ouest) et d’une bande de comé­diens sin­gu­liers (Laure Calamy, Damien Bonnard, Valeria Bruni-​Tedeschi, Bastien Bouillon, Denis Ménochet, tous épa­tants), son film est trou­blant à sou­hait. Sans doute parce qu’il sonde un sujet uni­ver­sel et poi­gnant : le manque d’amour…

Made in Bangladesh, de Rubaiyat Hossain

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La vie de Shimu, la jeune héroïne jouée par Shimu Rikita, est tirée d’une his­toire vraie.
© Pyramides films 

Voilà un film tri­ple­ment dépay­sant. D’abord parce qu’il nous arrive du ‑Bangladesh, pays du Sud-​Est asia­tique que l’on voit assez rare­ment au ciné­ma. Ensuite parce qu’il suit le des­tin d’une jeune ouvrière, Shimu, qui tra­vaille dans une usine tex­tile à Dacca, dix heures par jour, six jours par semaine, pour 100 euros par mois. Raisons pour les­quelles elle décide de mon­ter un syn­di­cat, en dépit des menaces de la direc­tion et contre l’avis de son mari. Autant dire que son par­cours, ins­pi­ré d’une his­toire vraie, est héroïque. Et inat­ten­du. Et enfin parce que Rubaiyat Hossain, sa réa­li­sa­trice, par­vient à rendre vivant, atta­chant, et même joyeux, un film qui, à la base, entend dénon­cer les excès du capi­ta­lisme, du patriar­cat et de l’islam. Rien de moins ! Certes, son mes­sage est clair (et cou­ra­geux), mais jamais il n’alourdit ni ne para­lyse son récit. Belle per­for­mance… Sans doute pourra-​t-​on pinailler sur le côté un peu pré­vi­sible de l’intrigue. Heureusement, le jeu sub­til des cou­leurs et des vête­ments tout comme la fraî­cheur des actrices et la dyna­mique de leurs per­son­nages balaient ces mal­adresses. En clair, Made in Bangladesh, c’est du cou­su main !

Notre Dame, de Valérie Donzelli

L’extravagance et même l’invraisemblance ne font pas peur à Valérie Donzelli. Pour le meilleur, cette fois ! Notre Dame (son nou­vel opus) suit ain­si les tri­bu­la­tions de Maud (Donzelli elle-​même), une archi­tecte tête en l’air sélec­tion­née par la Mairie de Paris pour réa­li­ser le nou­veau par­vis de Notre-​Dame (la cathé­drale). Projet qui bous­cule la vie déjà pas­sa­ble­ment com­pli­quée de cette mère de deux enfants, pas tout à fait sépa­rée de son mari, mais plus tout à fait avec lui non plus… Décalé, bur­lesque, colo­ré, l’univers don­zel­lien (La Reine des pommes, La guerre est décla­rée) enchante à la façon d’un conte un peu fou-​fou. De fait, la dame ose tout, secon­dée par une ribam­belle d’excellents comé­diens (dont Bouli Lanners, Pierre Deladonchamps et Virginie Ledoyen). Une fan­tai­sie d’autant plus savou­reuse qu’elle se confronte, mine de rien, à un vrai sujet : la charge men­tale des femmes. Bien joué. 

Chanson douce, de Lucie Borleteau

Le livre de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, était fran­che­ment per­tur­bant. Son adap­ta­tion au ciné­ma par Lucie Borleteau l’est aus­si. Mais dif­fé­rem­ment. Délaissant la construc­tion en flash-​back du roman, la cinéaste pro­pose un récit appa­rem­ment plus clas­sique pour racon­ter l’histoire de Louise, cette nou­nou trop dévouée qui pha­go­cyte la famille dont elle garde les deux enfants… jusqu’à l’irrémédiable. Plutôt que de jouer avec les codes du thril­ler hor­ri­fique, Lucie Borleteau opte donc pour un récit fluide, très bien décou­pé, qui laisse entrer le mal de façon imper­cep­tible. Insidieuse. On est sur le qui-​vive jusqu’au meurtre final, qui reste évi­dem­ment effrayant bien qu’il ne soit pas mon­tré. Une démarche fine, très convain­cante, qui met en valeur la pré­ci­sion du jeu de Karin Viard (la nou­nou psy­cho­pathe) et de Leïla Bekhti (la maman débor­dée, puis inquiète, puis atterrée).

Lillian, d’Andreas Horvath

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L’odyssée de Lilian (Patrycja Planik) de New York à l’Alaska, loin du rêve amé­ri­cain.
© Nour Films 

Réalisateur de docu­men­taires multi-​primés, Andreas Horvath fait un sans-​faute pour sa pre­mière fic­tion. S’inspirant d’une his­toire authen­tique, un fait divers datant de près d’un siècle, il donne à voir un road-​movie fas­ci­nant dans l’Amérique contem­po­raine. Lillian relate le périple soli­taire d’une émi­grante échouée à New York, qui, faute d’argent et de papiers, décide de ren­trer à pied dans sa Russie natale. 
Le cinéaste autri­chien cueille sa frêle héroïne au prin­temps, lui fait tra­ver­ser l’Amérique pro­fonde par tous les temps, avant de la lais­ser s’enfouir dans l’hiver aux abords de l’Alaska. Là même où elle se vola­ti­li­se­ra (la vraie Lillian a dis­pa­ru sans lais­ser de traces). Comme dis­soute dans cette étrange odys­sée, qui ren­voie for­cé­ment à la tra­gé­die actuelle des migrant·es. Invisibles et rejeté·es. Où qu’ils aillent.
La rudesse figée des pay­sages et des sai­sons accen­tue ce sen­ti­ment d’errance fan­to­ma­tique. Lillian croise non seule­ment des champs à perte de vue, mais encore des pate­lins déserts, des mai­sons aban­don­nées et quelques habi­tants, pas tou­jours bien­veillants, qui tentent de sur­vivre sur ce ter­ri­toire amé­ri­cain exsangue. Pourtant, Andreas Horvath filme cette longue marche silen­cieuse avec grâce, et cela même dans ses moments les plus tri­viaux (Lillian vole pour s’habiller et se nour­rir, elle manque d’être vio­lée, etc.).
C’est à la fois doux, dur, et tota­le­ment hyp­no­ti­sant. Comme le beau visage angu­laire et déter­mi­né de Patrycja Planik, son inter­prète principale. 

Gloria Mundi, de Robert Guédiguian

C’est peut-​être son film le plus cruel. C’est sûre­ment le plus bou­le­ver­sant. Robert Guédiguian sai­sit ici les aléas d’une famille recom­po­sée, avec le père qui sort de pri­son, l’ex-femme (magni­fique Ariane Ascaride, récom­pen­sée à la Mostra de Venise) rema­riée à un brave chauf­feur de bus (Jean-​Pierre Darroussin) et leur fille en galère (Anaïs Demoustier), qui vient d’avoir un bébé (la petite Gloria du titre). Les temps sont durs et pré­caires. Raison pour laquelle ce beau film cho­ral tend inexo­ra­ble­ment vers la tra­gé­die. Situant son récit dans le nou­veau quar­tier d’affaires de la Joliette, à Marseille bien sûr, Guédiguian raconte la fin de la soli­da­ri­té chez les « petites gens ». Prêts à tout pour sur­vivre. Résignation (et ultime sacri­fice) du côté des aînés, cynisme du côté de la jeune géné­ra­tion : le tableau est à la fois ter­rible… et ter­ri­ble­ment juste. 

La Vie invi­sible d’Euridice Gusmão, de Karim Aïnouz

On savait les Brésiliens experts en tele­no­ve­las, feuille­tons addic­tifs qui conjuguent amours et tra­hi­sons sur quelque 200 épi­sodes. Voilà qu’on les découvre maîtres du mélo au ciné­ma. Un mélo tro­pi­cal, aus­si flam­boyant que fémi­niste ! Le nou­vel opus de Karim Aïnouz, récom­pen­sé au Festival de Cannes, raconte en effet les des­tins sépa­rés – donc déchi­rants – de deux sœurs dans le Brésil machiste des années 1950. Deux sœurs qui n’ont jamais ces­sé de pen­ser l’une à l’autre. L’ampleur roma­nesque de ce double récit, magni­fi­que­ment fil­mé et inter­pré­té, n’a d’égale que sa finesse poli­tique. De fait, au-​delà de ses cou­leurs et de ses moi­teurs cha­toyantes, La Vie invi­sible d’Euridice Gusmão ques­tionne avec acui­té la bru­ta­li­té d’une socié­té patriar­cale qui n’a de cesse d’invisibiliser les femmes. Qu’elles soient dociles ou insou­mises. Hier comme aujourd’hui…

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