Une petite fille trans qui prend son envol au pays des abeilles, un mélo queer qui sublime le deuil entre fantasmes et réalité, un Molière bisexuel qui dépoussière “the” monument du théâtre français : voici les sorties ciné du 14 février.
20 000 espèces d’abeilles
À sujet délicat, approche sensible. Pour traiter de l’éclosion d’une petite fille trans, la réalisatrice Estibaliz Urresola Solaguren choisit de nouer son intrigue un été à la campagne, dans un hameau bourdonnant de ruches et de femmes, toutes plus ou moins en train de changer de vie. Précisément, c’est à leur contact que la petite Coco, 8 ans, qui a bien du mal à savoir qui elle est, va assumer sa singularité. Après tout, comme le lui explique sa grand-tante apicultrice, il existe forcément une identité qui lui corresponde dans ce monde où cohabitent 20 000 espèces d’abeilles !
Une grande harmonie se dégage de ce premier film basque espagnol, pourtant traversé de doutes, de questions et, pour les adultes, de remises en cause. Sans doute parce qu’une belle intelligence est à l’œuvre à tous les niveaux. La métaphore de l’abeille, jamais appuyée ni pesante, participe de cet élan : en passant avec du temps avec sa grand-tante, à l’écart des tensions familiales et des commérages du village, Coco (Sofia Oter, tout en finesse) peut formuler tranquillement ses questions, sans avoir besoin de parler. Il lui suffit d’observer les ruches qui l’entourent et de comprendre que les abeilles y jouent chacune un rôle spécifique, quoique nécessaire au fonctionnement du groupe, pour trouver sa place au sein de sa propre communauté.
La confiance qu’Estibaliz Urresola Solaguren accorde à la nature (solaire) pour accompagner ses personnages et faire écho à leurs transitions se retrouve dans sa façon de filmer. Lumière naturelle, alternance de gros plans et de plans larges qui montrent l’impact de l’environnement sur eux : la simplicité est de mise, en phase avec la sobre humanité du message. Car, pour finir, ce n’est pas Coco qui change (elle devient simplement, naturellement, ce qu’elle a toujours été), ce sont les autres qui évoluent.
![“20 000 espèces d’abeilles”, “Sans jamais nous connaître”, “Le Molière imaginaire” : les sorties ciné de la semaine 2 Jour2fete](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/02/Jour2fete.png)
20 000 espèces d’abeilles, d’Estibaliz Urresola Solaguren.
© Jour2fete
Sans jamais nous connaître
Se sépare-t-on jamais des gens que l’on a aimés ? Bonne question à laquelle le cinéaste britannique Andrew Haigh répond de façon déchirante, nous donnant à voir une fable fantastique sur le deuil, dûment jalonnée de fantômes, d’amour et de regrets.
Sans jamais nous connaître surprend Adam, son personnage principal, alors que ce scénariste solitaire d’une quarantaine d’années est au plus mal dans son appartement niché en haut d’une tour quasi inoccupée à Londres. Deux événements vont pourtant l’extraire de sa torpeur. D’une part, son unique voisin, le très sexy Harry, vient sonner à sa porte avant d’entamer une relation amoureuse avec lui et, d’autre part, il se rend dans la maison de son enfance où l’attendent ses parents, pourtant décédés lorsqu’il avait 12 ans (Adam les retrouve tels qu’il les avait laissés avant leur accident). L’occasion, peut-être, enfin, de leur parler à cœur ouvert, notamment de son homosexualité ?
Brouillant volontairement les pistes entre fantasmes et regrets, passé et futur, réel et surnaturel, Andrew Haigh livre un film doux sur la douleur, qui déborde très vite de ses seuls enjeux queer pour atteindre une émotion universelle. À la fois troublant, mystérieux et consolateur, il a la chance d’être porté par deux acteurs en état de grâce – Paul Mescal dans le rôle d’Harry et Andrew Scott dans celui d’Adam – et d’être bercé par le tube de Frankie Goes to Hollywood, The Power of Love (dont il faut redécouvrir les paroles…). Le pouvoir de l’amour, yes indeed !
![“20 000 espèces d’abeilles”, “Sans jamais nous connaître”, “Le Molière imaginaire” : les sorties ciné de la semaine 3 The Walt Disney Company France](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/02/The-Walt-Disney-Company-France.png)
Sans jamais nous connaître, d’Andrew Haigh.
© The Walt Disney Company France
Le Molière imaginaire
Paris, 17 février 1673. Comme tous les soirs, Molière monte sur la scène du théâtre du Palais-Royal pour jouer Le Malade imaginaire. Ce sera sa dernière représentation… Certes, avec ce premier long-métrage, l’homme de théâtre qu’est Olivier Py (ancien directeur, notamment, du Festival d’Avignon) peut irriter. Tourné en plan-séquence, à la bougie, Le Molière imaginaire privilégie de façon ostentatoire le mouvement et la multiplication des espaces en clair-obscur (le décor a beau être unique, il est labyrinthique). Histoire sans doute de nous prouver que c’est bien du cinéma et non du théâtre filmé. Reste qu’il sonne juste dans sa flamboyance appuyée (on est en pleine époque baroque). Et qu’il sonne clair, aussi, en faisant de ce monument français un être complexe, bisexuel, dévoré par sa passion et ses paradoxes (ce Molière dépoussiéré flirte gentiment avec la bio d’Olivier Py…). Laurent Lafitte, en chef de troupe, y est par ailleurs épatant tandis que Jeanne Balibar irradie de charme en une bien trop courte séquence. Un panache que l’illustre Molière aurait assurément aimé.
![“20 000 espèces d’abeilles”, “Sans jamais nous connaître”, “Le Molière imaginaire” : les sorties ciné de la semaine 4 Memento Distribution](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/02/Memento-Distribution.png)
Le Molière imaginaire, d’Olivier Py.
© Memento Distribution