Une histoire d'usurpation d'identité et une autre de reconnexion avec le passé de sa mère.
Danser sous les bombes
Que peut-il bien se cacher dans l’imposante boîte que Maia, la mère d’Alex, reçoit par la Poste en ce jour de Noël ? Des cahiers, des lettres, des cassettes audio, des photos d’autrefois et sans doute autre chose… La séquence se déroule de nos jours, dans la blancheur ouatée de Montréal, et tandis que Maia refuse d’affronter ce passé
lointain, Alex s’y plonge à son insu, découvrant l’adolescence vibrante de sa mère pendant la guerre civile au Liban, en 1982…
Oscillant entre hier et aujourd’hui, mais aussi entre secrets et souvenirs, Memory Box est un récit d’exil qui intrigue tel un puzzle et bouleverse tel un mélo. Son astuce la plus émouvante ? Avoir attribué à Maia les cahiers que Joana Hadjithomas, la réalisatrice, a véritablement adressés entre 1982 et 1988 à une amie partie vivre en France. Colorés, juvéniles, graphiques, ils donnent à une bonne partie du film (la meilleure) l’allure d’un journal intime dont les images se mettraient tout à coup à prendre vie…
Entremêlant fiction et documentaire, textes et photos, archives sonores et tubes des années 1980, la forme de Memory Box se révèle, de fait, très créative. Mieux, elle diffuse une chaleur inattendue et une sincérité touchante. Raccord, en somme, avec l’énergie adolescente de ses deux héroïnes : Maia, en 1982, qui danse sous les bombes, et Alex, en 2021, qui décide de braver les non-dits de son histoire familiale.
Memory Box, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Sortie le 19 janvier 2022.
Une question de survie
Qui dit film d’époque, dit fort élan romanesque, a priori. Celui-là n’en manque pas, qui propose un voyage dans le temps, en 1914, mais encore dans les méandres d’une société très genrée et très compartimentée. Si loin… si proche de la nôtre. Ajoutez une héroïne infortunée qui, n’ayant rien à perdre, entend se défaire de tous les corsets qui l’entravent et vous comprendrez aisément pourquoi il est si difficile de résister au quatrième long-métrage d’Aurélia Georges.
Voyez l’intrigue d’abord : fille de lavandière, Nélie a volé, « et même pire », pour manger. En clair, elle s’est prostituée. Alors que la Première Guerre mondiale éclate, cette jeune femme futée (elle a appris à lire) s’engage dans la Croix-Rouge française. Un soir, elle décide de prendre l’identité de Rose, une orpheline d’origine bourgeoise qu’elle a vu mourir sous ses yeux. Elle se présente alors à sa place chez une riche veuve, dont elle devient la lectrice. Le mensonge fonctionne au-delà de ses espérances, jusqu’au jour où le rêve se transforme en cauchemar…
Voyez la réalisation ensuite : sobre, d’un classicisme pertinent, elle joue la carte du suspense et du crescendo émotionnel sans verser pour autant dans l’excès. S’appuyant avec bonheur sur trois comédiennes épatantes, aussi mystérieuses qu’élégantes (Lyna Khoudri, Sabine Azéma et Maud Wyler), Aurélia Georges
délivre in fine un récit intense sur la place des femmes dans la société et leur droit au bonheur. Bien joué !
La Place d’une autre, d’Aurélia Georges. Sortie le 19 janvier 2022.