“Je pour­rais mon­ter sur les bar­ri­cades pour défendre chaque film” Sandrine Brauer pro­duc­trice de cinéma

Sandrine Brauer, 51 ans, a mon­té sa boîte de pro­duc­tion bap­ti­sée En com­pa­gnie des Lamas, il y a douze ans. Quinze longs-​métrages plus tard, sa pas­sion et son exi­gence res­tent inentamées.

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© Camille Besse pour Causette 

« N’essayez pas d’imaginer ma jour­née type. Tout déborde et dérape en per­ma­nence ! Il y a une forme de temps fixe : celui du tra­vail admi­nis­tra­tif ou comp­table, que je délègue sou­vent, et un temps impos­sible à quan­ti­fier : celui que je passe à lire des scé­na­rios ou à échan­ger avec les auteurs et les autrices. Je vis mon métier comme un com­pa­gnon­nage. J’interviens à toutes les étapes de la fabri­ca­tion d’un film : dès l’écriture, comme une sparring-​partner des scé­na­ristes, lors de la recherche de finan­ce­ments, en iden­ti­fiant les orga­nismes à qui deman­der des sub­ven­tions, au moment du tour­nage, pour sou­te­nir les réa­li­sa­teurs et les réa­li­sa­trices, et lors du mon­tage, étape cru­ciale pour façon­ner le pro­pos. En tant que pro­duc­trice, je suis char­gée de la garan­tie de bonne fin du pro­jet. Je dois le mener au bout, sinon ma res­pon­sa­bi­li­té juri­dique et finan­cière est enga­gée auprès des dis­tri­bu­teurs ou des chaînes de télé­vi­sion. À chaque fois, j’y crois. À chaque fois, j’ai le sen­ti­ment que je pour­rais mon­ter sur les bar­ri­cades pour défendre le film, que j’en serais la meilleure avo­cate. Je trouve ça exal­tant de faire par­tie d’un tel com­bat posi­tif et créatif. 

Là, on sort de qua­si six mois de mise en som­meil de l’acti­vité. Pendant le confi­ne­ment, en France, quatre cents tour­nages ont été stop­pés. Les choses repartent petit à petit, mais j’attends que le bar­rage s’ouvre un peu avant de lan­cer mes scé­na­rios sur le mar­ché. J’avais trois pro­jets, dont l’écriture était presque ter­mi­née début mars. J’ai tout sus­pen­du. L’un d’eux va d’ailleurs être retra­vaillé. Le scé­na­rio était fini et on allait entrer en cas­ting et finan­ce­ment, mais l’histoire a été tota­le­ment per­cu­tée par la crise sani­taire. Le pro­pos me semble obso­lète. Et je suis convain­cue que si on veut que les gens retournent dans les salles, il faut revoir l’acuité des scénarios.

"Pour faire ce métier, il faut avoir en soi un mélange d'arrogance et d'humilité "

J’essaie de pré­voir un plan­ning idéal éta­lé sur quatre ou cinq ans : un film en écri­ture, un en tour­nage et l’autre qui sort. Tout est revu à cause de la crise sani­taire, mais je conti­nue, c’est un moindre mal. Par contre, je n’aurai pas de ren­trée d’argent de sitôt. Je suis à la tête d’une petite struc­ture, aidée seule­ment d’une assis­tante. J’ai pu tenir le coup grâce au chô­mage par­tiel et au “prêt rebond” octroyé par la région Île-​de-​France aux petites entre­prises. J’ai aus­si dû me ser­rer la cein­ture, évi­dem­ment. La suite ? On verra. 

Bien sûr que c’est stres­sant comme métier, mais pour le faire, il faut être opti­miste. En fait, il faut avoir en soi un mélange d’arrogance et d’humilité. Cet orgueil qui te fait te dire que tu vas t’en sor­tir, que tu pas­se­ras entre les gouttes, et la modes­tie de ne jamais oublier que chaque film remet les comp­teurs à zéro. Bon, je ne lance pas les dés en toute incons­cience, non plus. La pro­duc­tion, c’est un tra­vail de pré­ci­sion et d’artisanat qui prend deux à trois ans. Ça démarre par une ren­contre, une pro­po­si­tion ou une envie de ma part. J’ai pro­duit des docu­men­taires et des fictions 

ciné ou télé, qui par­laient d’écologie, de femmes nul­li­pares ou de patriar­cat. Je fais par­tie du Collectif 50/​50, créé en 2018 après #MeToo, qui se bat pour l’égalité, l’inclusion et la pari­té dans le ciné­ma et l’audiovisuel. J’essaie de mettre mon tra­vail en cohé­rence avec mon enga­ge­ment poli­tique. Les deux se nourrissent. 

Le ciné­ma, c’est venu un peu par hasard. Je suis née à Hongkong, mon père est repor­ter de guerre. J’ai gran­di entou­rée de diplo­mates et de jour­na­listes. On a aus­si vécu dix ans en Israël. J’ai su assez vite que je n’allais pas embras­ser la même car­rière que mon père, mais j’avais envie, moi aus­si, de regar­der le monde tour­ner. D’ailleurs, le nom de ma boîte de prod ne fait pas réfé­rence à l’animal ou au dalaï-​lama, mais au mot hébreu “lama”, qui signi­fie “pour­quoi”. Parce que ça m’intéresse de poser des ques­tions et de ten­ter de comprendre. 

" Comme je fais des films et des docs d'auteur, je ne place pas la ques­tion du suc­cès, notam­ment com­mer­cial, dans mes para­mètres de départ "

J’ai fait des études de droit sans trop savoir où ça allait me mener et, en paral­lèle, comme pre­mier petit bou­lot, je suis deve­nue assis­tante sur un tour­nage. J’ai fait mes pre­mières armes dans la dis­tri­bu­tion, c’est-à-dire la dif­fu­sion en salles, avant de rejoindre le CNC, le Centre natio­nal du ciné­ma, où j’étais char­gée de mis­sion auprès du direc­teur de l’époque, David Kessler. J’ai bos­sé comme une brute, mais c’était très for­ma­teur. J’ai ensuite rejoint Diaphana, une socié­té indé­pen­dante de dis­tri­bu­tion, avant de bifur­quer tota­le­ment vers la pro­duc­tion, en 2007. J’ai débu­té par Tous au Larzac, de Christian Rouaud, qui raconte la lutte joyeuse des pay­sans du pla­teau du Larzac entre 1971 et 1981. L’aventure a duré trois ans – un an d’écriture, un an de tour­nage et six mois de mon­tage – et j’ai ado­ré chaque moment. Le docu­men­taire a eu pas mal de suc­cès et a même obte­nu un césar en 2012. Les récom­penses font tou­jours plai­sir, mais comme elles arrivent une fois le tra­vail ache­vé, ça crée un déca­lage, un ana­chro­nisme. J’imagine que ça aide à res­ter phi­lo­sophe. Comme je fais des films et des docs d’auteur, je ne place pas la ques­tion du suc­cès, notam­ment com­mer­cial, dans mes para­mètres de départ. Bien sûr, je pré­fère que ça ne passe pas inaper­çu, mais ça n’est pas le seul enjeu. En 2015, j’ai pro­duit Rendez-​vous à Atlit, le pre­mier long-​métrage de Shirel Amitaï, avec Géraldine Nakache, Yaël Abecassis et Judith Chemla. Il a fait 50 000 entrées, ce qui est plu­tôt bien. Mais ça m’a sur­tout per­mis de tis­ser un lien avec Shirel, que je compte accom­pa­gner la pro­chaine fois. J’essaie tou­jours de res­ter fidèle. J’ai, par exemple, sui­vi le réa­li­sa­teur israé­lien Shlomi Elkabetz dans la pro­duc­tion de Témoignage, qui mêlait fic­tion et vrais témoi­gnages, pour inter­ro­ger le rap­port à la vio­lence en Israël. Je n’ai pas pu trou­ver le moindre dis­tri­bu­teur en France, tout le monde a bat­tu en retraite ! Mais ça ne m’a pas empê­chée, deux ans plus tard, de suivre à nou­veau Shlomi et sa sœur Ronit quand ils ont écrit le scé­na­rio du Procès de Viviane Amsalem, sor­ti en 2014. Et s’il veut recom­men­cer un autre pro­jet avec moi, je serai là. » 

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