Sandrine Brauer, 51 ans, a monté sa boîte de production baptisée En compagnie des Lamas, il y a douze ans. Quinze longs-métrages plus tard, sa passion et son exigence restent inentamées.
![“Je pourrais monter sur les barricades pour défendre chaque film” Sandrine Brauer productrice de cinéma 1 115 au boulot camille besse](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/10/115-au-boulot-camille-besse-664x1024.jpg)
« N’essayez pas d’imaginer ma journée type. Tout déborde et dérape en permanence ! Il y a une forme de temps fixe : celui du travail administratif ou comptable, que je délègue souvent, et un temps impossible à quantifier : celui que je passe à lire des scénarios ou à échanger avec les auteurs et les autrices. Je vis mon métier comme un compagnonnage. J’interviens à toutes les étapes de la fabrication d’un film : dès l’écriture, comme une sparring-partner des scénaristes, lors de la recherche de financements, en identifiant les organismes à qui demander des subventions, au moment du tournage, pour soutenir les réalisateurs et les réalisatrices, et lors du montage, étape cruciale pour façonner le propos. En tant que productrice, je suis chargée de la garantie de bonne fin du projet. Je dois le mener au bout, sinon ma responsabilité juridique et financière est engagée auprès des distributeurs ou des chaînes de télévision. À chaque fois, j’y crois. À chaque fois, j’ai le sentiment que je pourrais monter sur les barricades pour défendre le film, que j’en serais la meilleure avocate. Je trouve ça exaltant de faire partie d’un tel combat positif et créatif.
Là, on sort de quasi six mois de mise en sommeil de l’activité. Pendant le confinement, en France, quatre cents tournages ont été stoppés. Les choses repartent petit à petit, mais j’attends que le barrage s’ouvre un peu avant de lancer mes scénarios sur le marché. J’avais trois projets, dont l’écriture était presque terminée début mars. J’ai tout suspendu. L’un d’eux va d’ailleurs être retravaillé. Le scénario était fini et on allait entrer en casting et financement, mais l’histoire a été totalement percutée par la crise sanitaire. Le propos me semble obsolète. Et je suis convaincue que si on veut que les gens retournent dans les salles, il faut revoir l’acuité des scénarios.
"Pour faire ce métier, il faut avoir en soi un mélange d'arrogance et d'humilité "
J’essaie de prévoir un planning idéal étalé sur quatre ou cinq ans : un film en écriture, un en tournage et l’autre qui sort. Tout est revu à cause de la crise sanitaire, mais je continue, c’est un moindre mal. Par contre, je n’aurai pas de rentrée d’argent de sitôt. Je suis à la tête d’une petite structure, aidée seulement d’une assistante. J’ai pu tenir le coup grâce au chômage partiel et au “prêt rebond” octroyé par la région Île-de-France aux petites entreprises. J’ai aussi dû me serrer la ceinture, évidemment. La suite ? On verra.
Bien sûr que c’est stressant comme métier, mais pour le faire, il faut être optimiste. En fait, il faut avoir en soi un mélange d’arrogance et d’humilité. Cet orgueil qui te fait te dire que tu vas t’en sortir, que tu passeras entre les gouttes, et la modestie de ne jamais oublier que chaque film remet les compteurs à zéro. Bon, je ne lance pas les dés en toute inconscience, non plus. La production, c’est un travail de précision et d’artisanat qui prend deux à trois ans. Ça démarre par une rencontre, une proposition ou une envie de ma part. J’ai produit des documentaires et des fictions
ciné ou télé, qui parlaient d’écologie, de femmes nullipares ou de patriarcat. Je fais partie du Collectif 50/50, créé en 2018 après #MeToo, qui se bat pour l’égalité, l’inclusion et la parité dans le cinéma et l’audiovisuel. J’essaie de mettre mon travail en cohérence avec mon engagement politique. Les deux se nourrissent.
Le cinéma, c’est venu un peu par hasard. Je suis née à Hongkong, mon père est reporter de guerre. J’ai grandi entourée de diplomates et de journalistes. On a aussi vécu dix ans en Israël. J’ai su assez vite que je n’allais pas embrasser la même carrière que mon père, mais j’avais envie, moi aussi, de regarder le monde tourner. D’ailleurs, le nom de ma boîte de prod ne fait pas référence à l’animal ou au dalaï-lama, mais au mot hébreu “lama”, qui signifie “pourquoi”. Parce que ça m’intéresse de poser des questions et de tenter de comprendre.
" Comme je fais des films et des docs d'auteur, je ne place pas la question du succès, notamment commercial, dans mes paramètres de départ "
J’ai fait des études de droit sans trop savoir où ça allait me mener et, en parallèle, comme premier petit boulot, je suis devenue assistante sur un tournage. J’ai fait mes premières armes dans la distribution, c’est-à-dire la diffusion en salles, avant de rejoindre le CNC, le Centre national du cinéma, où j’étais chargée de mission auprès du directeur de l’époque, David Kessler. J’ai bossé comme une brute, mais c’était très formateur. J’ai ensuite rejoint Diaphana, une société indépendante de distribution, avant de bifurquer totalement vers la production, en 2007. J’ai débuté par Tous au Larzac, de Christian Rouaud, qui raconte la lutte joyeuse des paysans du plateau du Larzac entre 1971 et 1981. L’aventure a duré trois ans – un an d’écriture, un an de tournage et six mois de montage – et j’ai adoré chaque moment. Le documentaire a eu pas mal de succès et a même obtenu un césar en 2012. Les récompenses font toujours plaisir, mais comme elles arrivent une fois le travail achevé, ça crée un décalage, un anachronisme. J’imagine que ça aide à rester philosophe. Comme je fais des films et des docs d’auteur, je ne place pas la question du succès, notamment commercial, dans mes paramètres de départ. Bien sûr, je préfère que ça ne passe pas inaperçu, mais ça n’est pas le seul enjeu. En 2015, j’ai produit Rendez-vous à Atlit, le premier long-métrage de Shirel Amitaï, avec Géraldine Nakache, Yaël Abecassis et Judith Chemla. Il a fait 50 000 entrées, ce qui est plutôt bien. Mais ça m’a surtout permis de tisser un lien avec Shirel, que je compte accompagner la prochaine fois. J’essaie toujours de rester fidèle. J’ai, par exemple, suivi le réalisateur israélien Shlomi Elkabetz dans la production de Témoignage, qui mêlait fiction et vrais témoignages, pour interroger le rapport à la violence en Israël. Je n’ai pas pu trouver le moindre distributeur en France, tout le monde a battu en retraite ! Mais ça ne m’a pas empêchée, deux ans plus tard, de suivre à nouveau Shlomi et sa sœur Ronit quand ils ont écrit le scénario du Procès de Viviane Amsalem, sorti en 2014. Et s’il veut recommencer un autre projet avec moi, je serai là. »