Un tandem père-fille aussi tendre que burlesque, un trio de colons aussi brutal que malaisant, un voyage au pôle Sud aussi personnel qu’universel, un cycle Wong Kar-waï comme un cadeau de Noël : voici les sorties ciné du 20 décembre…
La Fille de son père
Perdrix, son premier long-métrage, présageait du meilleur. Sorti en salles en 2019, il avait su, alors, raviver l’éclat de la bonne vieille rom com, lui injectant une dose réjouissante de fantaisie et de poésie. Un cocktail si rare dans le cinéma français qu’il avait immédiatement suscité l’envie de goûter, une fois encore, au talent enivrant d’Erwan Le Duc. Quatre ans plus tard, La Fille de son père étanche bel et bien notre attente. D’abord parce que ce deuxième film surprend, tout en prolongeant le plaisir initial…
Habile, il introduit de nouveaux ingrédients sans ternir pour autant le goût pétillant du burlesque tendre, que l’on aime tant. Délaissant la comédie romantique pure et les amoureux contrariés de Perdrix, il nous propulse donc, cette fois, auprès d’un tandem père-fille un brin hors normes. Non seulement Étienne (Nahuel Perez Biscayart, exquis en entraîneur de foot poids plume) s’est retrouvé papa à 20 ans, mais il a dû élever seul sa fille Rosa (Céleste Brunnquell, si juste et si subtile), la mère s’étant fait la malle rapidement. Une situation qu’il a su gérer tout en douceur, sans drame ni rancœur, construisant une vie heureuse avec elle, jusqu’à ce que Rosa, désormais âgée de 17 ans, s’apprête à étudier les beaux-arts à l’autre bout de la France et que le passé ressurgisse…
Dialoguiste hors pair et fin scénariste, Erwan Le Duc confirme ici à quel point le ton, le rythme et les personnages de ses films sont uniques, inimitables. Nul besoin d’effets ou de rebondissements spectaculaires : tout se joue dans la légèreté, le frémissement, la litote, à mi-chemin du trébuchement et de la grâce. Même l’émotion virevolte, jamais appuyée ; raccord avec ses acteur·rices, prodigieux·euses d’élégance maladroite. Un régal !
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La Fille de son père, d’Erwan Le Duc.
© Pyramide Distribution
Les Colons
Terre de Feu, République du Chili, 1901. Un territoire immense, fertile, que l’aristocratie blanche cherche à “civiliser”. Trois cavaliers sont engagés par un riche propriétaire terrien pour déposséder les populations autochtones de leurs terres et ouvrir une route vers l’Atlantique. Sous les ordres du lieutenant MacLennan, un soldat britannique, et d’un mercenaire américain, le jeune métis chilien, Segundo, découvre le prix de la construction d’une jeune nation, celui du sang et du mensonge…
À lui seul, ce résumé convoque d’emblée nombre d’images et de frissons. Et ce n’est que le début ! Oscillant entre plusieurs genres (western, épopée historique, road-movie et pamphlet), ce premier long-métrage ambitieux souhaite raconter un double effacement. Celui d’un peuple indigène, éliminé pour le seul profit d’une poignée de colons avides et sans pitié. Et celui d’une page d’histoire, puisque ce génocide a été soigneusement écarté des manuels chiliens (en tout cas sous la dictature de Pinochet). Le projet est puissant, d’autant qu’il s’est choisi une forme intense afin de coller au mieux à son propos. Entremêlant faits historiques et personnages imaginaires, Felipe Galvez Haberle raconte, au plus près, comment des Européens ont projeté leur propre fiction sur ce continent sud-américain, ignorant et éliminant les personnes qui y vivaient pour mieux se l’approprier. Tout bonnement.
Nul hasard si Les Colons s’ouvre sur une citation de l’ouvrage Utopia (L’Utopie), livre séminal écrit au début du XVIe siècle par l’Anglais Thomas More. L’“utopie”, mot forgé par More, désigne un lieu imaginaire, qui n’existe nulle part. La première piste de ce récit, celle de l’illusion, se dessine donc aussitôt. La deuxième, celle de la violence, ne tarde pas non plus puisqu’elle fait irruption dès la séquence d’ouverture, brutalité du son et des actions à l’appui ! Nous voilà embarqué·es, dès lors, dans un récit découpé en deux temps (on est d’abord à l’air libre, au milieu de paysages grandioses, puis on bascule dans un intérieur obscur, oppressant), superbement photographié… quoique jalonné de cruauté gratuite, de coups de feu et de massacres. En clair, le film de Felipe Galvez Heberle est rude, brutal, et sa violence souvent malaisante, à l’image du double effacement qu’il veut dénoncer. Sans compromis.
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Les Colons, de Felipe Galvez Heberle.
© Dulac Distribution
Voyage au pôle Sud
Qu’est-il allé chercher, Luc Jacquet, heureux réalisateur de La Marche de l’empereur, en retournant trente ans plus tard au pôle Sud, là même où tout a commencé pour lui alors qu’il était encore étudiant ? Telle est la question qui, d’emblée, anime son nouveau film en forme de lettre à la femme aimée. Ce mode intime, presque chuchoté, colore d’émotion ses images en noir et blanc et ça n’est pas un hasard. Il s’agit bien d’une quête, très personnelle au départ, qu’il transforme en adresse à l’autre (son épouse, les spectateurs, le monde), lui donnant peu à peu une résonance universelle.
La magie du cadre, époustouflant, y est pour beaucoup, de même que la beauté de la photo et des plans qui se succèdent dans un tourbillon de lumière et de paix sauvage (on aurait juste aimé moins de musique, qui surligne les effets alors que tout aurait dû tendre vers le dépouillement, dommage !). Partant de la Patagonie, “la porte de l’aventure”, dit-il, pour mieux rejoindre l’Antarctique (et ses manchots empereur, donc), Luc Jacquet reconnaît volontiers, dès le départ, qu’il cède une fois de plus à “l’appel de l’inconnu”. Une sorte d’addiction, que sa cinquantaine grisonnante et trapue n’est pas parvenue à juguler. Mais tandis qu’il avance et se confronte à l’infini, l’étonnant voyageur évoque çà et là “les forces titanesques” alentour, “la profondeur du temps”, ou encore “la lumière qui lave l’âme”. Non pour poétiser à outrance (sa langue est précise, relativement humble et sobre), mais pour dire combien cette grandeur le comble, l’élève et l’émerveille. Encore et encore.
Difficile, bien sûr, de ne pas relever l’impact nocif de l’homme et du réchauffement climatique sur ce pôle magnétique, au détour d’une banquise qui s’effrite et recule, par exemple. Il les mentionne, mais dans un curieux mélange de solastalgie (une souffrance existentielle proche de l’écoanxiété) et d’extase. L’idée, de fait, pour ce cinéaste adepte d’expéditions extrêmes, c’est d’abord et avant tout de se “dissoudre dans le blanc” (d’où le choix, à la base, d’un filmage en noir et blanc). C’est-à-dire de se faire le plus petit possible face à cette immensité, en tout cas de ne pas envahir complètement les lieux pour mieux les respecter. Raison pour laquelle, ultime pirouette, on voit assez peu Luc Jacquet à l’image, sinon son ombre ou sa silhouette floutée. Présent et absent à la fois : le paradoxe, quasi mystique, se tient assez bien finalement.
![“La Fille de son père”, “Les Colons”, “Voyage au pôle Sud”… : les sorties ciné de la semaine 4 VOYAGE AU POLE SUD AFFICHE 120x160 DEF OK](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2023/12/VOYAGE-AU-POLE-SUD_AFFICHE_120x160_DEF_OK-768x1024.jpg)
Voyage au pôle Sud, de Luc Jacquet.
© Memento Distribution
Cycle Wong Kar-waï
Oyez, oyez ! Un cycle Wong Kar-waï se prépare dans vos salles… À quelques jours de Noël, il serait dommage de ne pas profiter de ce cadeau inespéré : un bouquet de trois longs-métrages restaurés (auquel s’ajoute un moyen-métrage), à voir ou revoir sur grand écran. Toutes celles et tous ceux qui ne connaissent du maître hongkongais que son envoûtant mélo In The Mood For Love, variation flamboyante sur le thème éternel du rendez-vous manqué (sorti en 2000), pourront ainsi découvrir la beauté douce-amère de Chungking Express (datant de 1994), inspirée des recherches formelles du Leos Carax des années 1980, ou la délicatesse très incarnée de Happy Together (1997) et son histoire d’amour, mélancolique et toxique, entre deux hommes. Sublimes, forcément sublimes, ces films d’hier réchaufferont votre présent.
![“La Fille de son père”, “Les Colons”, “Voyage au pôle Sud”… : les sorties ciné de la semaine 5 cine](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2023/12/cine.jpg)
Chungking Express, Les Anges déchus, The Hand, Happy Together : 4 films de Wong Kar-waï à redécouvrir en salles.
© The Jokers /The Bookmakers