Film vibrant, traversé tout le long par la question de l’avortement et du patriarcat, O Corno, une histoire de femmes s’affirme comme une ode magnifique à la sororité dans l’Espagne dictatoriale de Franco. Explications avec Jaione Camborda, sa réalisatrice et autrice…
Causette : Qu’est-ce qui a vous donné envie d’écrire et de réaliser ce film, tout entier traversé par les notions de liberté, de maternité et de sororité ?
Jaione Camborda : À l’origine, je voulais explorer la capacité des femmes à donner la vie. Mais petit à petit, les autres éléments, la liberté et la sororité, sont venus s’entre-tisser. En fait, je me suis rendu compte, au fur et à mesure de l’écriture, que la notion du corps des femmes devait être prépondérante dans mon film.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez voulu situer votre récit en 1971, dans l’Espagne réactionnaire et franquiste ? Pour parler de ce corps féminin alors contraint, soumis, blâmé, relégué ?
J.C : Oui, j’ai senti que je devais situer mon film dans une époque de prohibition et d’oppression. Précisément pour raconter le parcours d’une femme qui, peu à peu, va devenir décisionnaire de son corps, et de sa vie en général.
Une sorte d’urgence émane de votre film, une grande détermination aussi. Est-ce à dire que l’Espagne de 1971 dialogue toujours, par endroits, avec celle de 2024 ? Notamment sur la question centrale de l’avortement ?
J.C : Vous savez, le droit à l’avortement est récent dans mon pays. Il date de 1985 et, bien qu’il ait été renforcé en 2010, des partis le remettent en question aujourd’hui. Des partis de droite, ou d’extrême droite, encore très liés à l’Église et à la religion. Ce droit fondamental est donc fragile… Et puis cela me paraissait intéressant de rappeler que l’avortement se pratiquait sous Franco, malgré la prohibition…
Précisément, Maria, votre héroïne, est contrainte de s’exiler après avoir tenté d’aider une jeune fille à avorter. Comment définiriez-vous ce personnage, à la fois si fort et si vulnérable, si solitaire et si solidaire ?
J.C : Maria est d’abord une femme donnée en pâture. On la pointe du doigt comme une criminelle, alors que le coupable, c’est le patriarcat. C’est là tout l’enjeu du film ! Mais c’est vrai que Maria est un personnage multifacettes qui traverse des états variés. Attention, elle n’est pas contradictoire, car on peut tout à fait être fragile et résistante ! En fait, Maria est un personnage – et un corps – dans lequel les autres personnages féminins du film peuvent se refléter et s’identifier. Je tenais à cet effet miroir, car il ouvre la voie à l’empathie, et donc à la sororité.
Vous tenez beaucoup, aussi, à ces notions de corps et de présence physique. Est-ce pour cela que vous avez choisi Janet Novas, une danseuse professionnelle qui n’avait encore jamais fait de cinéma, pour l’incarner ?
J.C : Janet est une personne fantastique ! Je n’ai pas écrit le rôle de Maria pour elle, mais je pensais à elle depuis quelque temps avant de lui faire passer le casting, car je connaissais son travail. C’est une danseuse très connue en Espagne, dans la niche de la danse contemporaine je veux dire… Et je ne me suis pas trompée : elle a une présence très forte, une “physicalité” qui donne un aspect animal à Maria. Précisément ce que je recherchais. Par ailleurs, elle est capable de générer du volume émotionnel même dans ses silences. Et puis, cerise sur le gâteau, elle vient d’un village où ses parents étaient agriculteurs. Elle vient donc du même endroit que Maria, d’une certaine façon…
Vous parlez d’animalité : la séquence d’ouverture de votre film, remarquable, plaide dans ce sens, donnant à voir un accouchement au plus près du souffle, des contractions et de la douleur de la future mère. Pourquoi ?
J. C : Je sentais qu’il y avait comme une dette, je ne sais pas comment dire autrement, dans la représentation des accouchements dans les films de fiction. Je l’impute au fait que ces films ont souvent été tournés par des hommes. Pour moi, il manquait une proposition faite à la première personne, avec un point de vue plus expérimenté ! Il se trouve que j’ai moi-même fait l’expérience d’un accouchement pendant la préparation du film, et l’actrice qui joue dans cette séquence également. Elle se souvenait donc parfaitement de la respiration, de la douleur, des pauses, en somme de la temporalité, et c’était fondamental. Car à travers cette séquence, je voulais rendre à la femme non seulement son mouvement, mais la liberté de son corps. Je voulais aussi montrer l’accompagnement historique des femmes pendant un accouchement. Depuis toujours, les femmes prennent soin des femmes…
O Corno s’ouvre sur une naissance et s’achève sur une autre, après bien des épreuves, des doutes et des rencontres. Est-ce à dire que votre film se veut, essentiellement, une célébration de la vie ?
J.C : Vous parlez de doute… c’est une notion importante, au cœur de mon film ! Car si j’ai voulu qu’O Corno célèbre la capacité de la femme à donner la vie, j’ai également tenu à ce qu’il célèbre la liberté, sa liberté, de choisir…
![Jaione Camborda, réalisatrice : “Depuis toujours, les femmes prennent soin des femmes” 2 ocorno aff grande 3 scaled 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/09/ocorno_aff_grande-3-scaled-1-768x1024.jpg)
O Corno, une histoire de femmes, de Jaione Camborda.