Que sont-ils devenus ? Dix ans après les avoir filmés dans leur lycée des quartiers Nord de Marseille, Régis Sauder a retrouvé les protagonistes de Nous, princesse de Clèves et leur donne à nouveau la parole dans En nous, documentaire vibrant. Rencontre avec un cinéaste soucieux de liberté, d’égalité et de fraternité…
Dix ans après Nous, princesse de Clèves, formidable documentaire qui donnait la parole à des élèves d’un lycée des quartiers Nord de Marseille, vous leur consacrez un second film. Ils vous avaient manqué ?Régis Sauder : En fait, je n’ai jamais perdu contact avec eux. J’ai même noué des liens forts avec certains, comme Laura et Morgane, les sœurs jumelles qui ont perdu leur maman peu après leur bac. J’habite Marseille, je les ai toujours accompagnées, elles ont même gardé mes enfants. Avec d’autres, surtout ceux qui se sont éloignés géographiquement, le contact s’est maintenu à travers les réseaux sociaux. Comme Sarah, que j’ai suivie lors de son départ en Angleterre, puis au Portugal, et enfin à Malte. Ou Abou, qui est devenu infirmier et est parti exercer en Suisse. Ils me donnaient des nouvelles ou je leur en demandais. Je me suis toujours dit qu’on allait se retrouver… Jusqu’au jour où Morgane m’a appelé pour me parler d’un podcast d’Arte radio intitulé « Que sont-ils devenus ? » : une prof qui retrouvait ses élèves des années après. C’est alors qu’elle m’a dit : « Et si on faisait ça nous aussi ? »…
En nous suit dix des lycéens et lycéennes, désormais adultes, de votre premier film. Donc seulement une partie de la petite bande initiale. Pourquoi ?
R.S. : Il peut se passer beaucoup de choses en dix ans. Surtout dans cette tranche d’âge, entre 20 et 30 ans. L’éclatement spatial de cette petite bande, comme vous dites, a un peu compliqué les choses. L’un d’entre eux est parti vivre aux Comores, tandis qu’une autre habitait à Londres… J’ai donc construit le film en m’appuyant sur deux paramètres. D’une part je voulais montrer la diversité de leurs trajectoires, afin de les sortir des schémas, et surtout des assignations sociales dans lesquelles on les enferme trop souvent. Attention, l’idée n’était pas de faire une « success story » ! Certains réussissent, mais on voit bien qu’ils et elles sont les seuls à être issus des quartiers dans leur milieu professionnel, d’autres ont un parcours plus douloureux. Cela étant, tous, in fine, nous apprennent à quel point trouver sa place dans la société demande de la force… D’autre part, et ce deuxième paramètre est essentiel, je suis parti avec celles et ceux que j’ai senti les plus engagés dans ce désir de film. Surtout que l’on a commencé à tourner juste avant le deuxième confinement. Ça n’était pas évident, même si cette situation racontait beaucoup de choses d’eux…
C’est-à-dire ?
R.S. : J’ai été frappé de voir que beaucoup de ces jeunes avaient choisi de travailler dans des filières de soin ou dans la fonction publique : Abou, Laura, Morgane, Armelle… J’ai compris qu’il y avait dans ce don de soi, dans ce besoin de réparer, comme un fil rouge pour mon film. Ces jeunes issus des quartiers populaires sont ceux qui soignent nos parents, nos enfants. Oui, c’est eux qui s’y cognent ! Ils ont envie de prendre leur part, se mobilisent et font en sorte que le système tienne – notre système républicain, basé sur la devise « Liberté, égalité, fraternité » -, même s’ils en connaissent les fragilités.
Diriez-vous qu’En nous est un film politique ?
R.S. : Tous les films le sont ! Simplement, celui-là prend en charge une parole rare et lui donne un espace qui la rend audible. Vu le contexte de crainte, et même de peur actuelle, ça n’est pas anodin. Moi je n’ai pas peur d’Abou qui fait sa prière et qui passe sa vie à s’occuper des autres ! Au fond, ce que mon film raconte, c’est qu’il y a mille façons de construire un « nous » aujourd’hui en France.
Un « nous » qui passe par une présence forte des femmes. Elles sont même majoritaires parmi vos dix grands témoins…
R.S. : Oui, c’était important de faire une place aux femmes, notamment aux femmes noires, pour qu’elles puissent à leur tour être des modèles pour des filles plus jeunes. Je pense à Armelle, qui est cadre dans le service public, à Cadiatou, qui vit à Paris, est célibataire, libre de ses choix, et veut monter son entreprise, ou à Virginie, cette mère célibataire qui a quitté le père de son enfant qui la battait et a repris ses études. Je suis très admiratif. De fait, étant père de trois garçons, il est important pour moi qu’ils voient des films avec des filles. Des filles fortes comme elles.
En nous, de Régis Sauder. Sortie le 23 mars.