Emmanuelle Riva : « Duras, c'est une boule de feu avec des dou­ceurs de cendre »

Emmanuelle Riva a tour­né Hiroshima mon amour, réa­li­sé par Alain Resnais et sor­ti en 1959, à par­tir d’un scé­na­rio de Marguerite Duras. Elle a reçu en 2012 le prix Marguerite-​Duras et, cette année, le prix Beaumarchais de la meilleure comé­dienne pour Savannah Bay.

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Emmanuelle Riva dans Hiroshima mon amour (1959), d’Alain Resnais.

"Resnais cher­chait un auteur pour écrire le scé­na­rio d’Hiroshima mon amour. Il a deman­dé à Françoise Sagan, qui n’a pas vou­lu. Puis à Marguerite Duras. Quand Resnais m’a don­né le scé­na­rio à lire, j’ai été embal­lée tout de suite. L’écriture de Duras m’était com­plè­te­ment ‑fami­lière. Nous sommes allés dans sa mai­son de Neauphle-​le-​Château et rue Saint-​Benoît. Mais je n’ai pas tra­vaillé avec elle, contrai­re­ment à ce que cer­tains ont dit ! Ce qui m’a tou­chée, c’est qu’elle a écrit, pour Eiji Okada [l’acteur du film, ndlr] et moi, des bio­gra­phies des deux per­son­nages. Une de “Lui”, une d’“Elle”. Rien que pour nous. Pour que nous ayons à notre dis­po­si­tion des élé­ments de leur per­son­na­li­té. Je les ai encore dans une malle. C’était très précieux.

Avec Marguerite, on par­lait un peu de tout, elle trou­vait que j’étais la femme du rôle. Resnais, pen­dant qu’il était en repé­rage au Japon, appe­lait Duras et lui disait : “Faites répé­ter son texte à Emmanuelle !” Mais je le connais­sais par cœur ! Duras enre­gis­trait le texte sur des cas­settes, elle les lui envoyait.

Il y a eu une col­la­bo­ra­tion conti­nue entre eux. Longtemps, après la sor­tie du film, il est venu à nos oreilles qu’elle aurait dit que c’était elle qui l’avait fait. Mais c’était peut-​être une blague. Je peux la com­prendre. Elle s’est tel­le­ment impli­quée dans ses per­son­nages qu’elle a fini par pen­ser qu’après tout c’était elle qui avait fait le film. Duras, c’était un sacré numéro.

“Elle vous aimait, et puis plus”

Moi, je la trou­vais très sym­pa­thique, très inat­ten­due, péremp­toire, comique aus­si. J’avais de l’amitié pour elle, de l’admiration. Elle m’intéressait vive­ment. Après, je me suis aus­si aper­çue qu’elle pou­vait aus­si être très méchante. Elle avait une cour, dont je n’ai jamais fait par­tie. Elle aimait, et puis elle n’aimait plus. Elle re-​aimait, et ne re-​aimait plus. Elle me fai­sait pen­ser à une boule de feu avec des dou­ceurs de cendre. C’était un phé­no­mène humain incroyable, Marguerite. Elle bouillon­nait de tout.

J’avais, moi aus­si, un pied‑à‑terre aux Roches noires. Quelquefois, là-​bas, quand on se croi­sait, elle fai­sait celle qui ne me recon­nais­sait pas. Un jour, j’ai reçu un coup de fil de Yann Andréa. Ils avaient revu Hiroshima à la télé­vi­sion. Alors, là, sou­dai­ne­ment, elle m’a re-​aimée. Ça, c’était Marguerite. Il ‑fal­lait la prendre comme elle était. La der­nière fois que je l’ai vue, je reve­nais d’une balade à vélo. J’arrive à la porte des Roches noires, où elle avait son appar­te­ment à Trouville. Je vois petite Marguerite à la porte. Elle était désem­pa­rée, on aurait dit une enfant per­due. Elle ne savait plus le code. J’ai bien vu qu’elle ne me recon­nais­sait pas. J’ai ri. Alors, elle a dit : “Ah ! c’est Emmanuelle.” Elle m’a recon­nue à mon rire."

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