Emmanuelle Riva a tourné Hiroshima mon amour, réalisé par Alain Resnais et sorti en 1959, à partir d’un scénario de Marguerite Duras. Elle a reçu en 2012 le prix Marguerite-Duras et, cette année, le prix Beaumarchais de la meilleure comédienne pour Savannah Bay.
![Emmanuelle Riva : «Duras, c'est une boule de feu avec des douceurs de cendre» 1 Capture d’écran 2021 03 01 à 15.51.31](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/03/Capture-d’écran-2021-03-01-à-15.51.31.jpg)
"Resnais cherchait un auteur pour écrire le scénario d’Hiroshima mon amour. Il a demandé à Françoise Sagan, qui n’a pas voulu. Puis à Marguerite Duras. Quand Resnais m’a donné le scénario à lire, j’ai été emballée tout de suite. L’écriture de Duras m’était complètement ‑familière. Nous sommes allés dans sa maison de Neauphle-le-Château et rue Saint-Benoît. Mais je n’ai pas travaillé avec elle, contrairement à ce que certains ont dit ! Ce qui m’a touchée, c’est qu’elle a écrit, pour Eiji Okada [l’acteur du film, ndlr] et moi, des biographies des deux personnages. Une de “Lui”, une d’“Elle”. Rien que pour nous. Pour que nous ayons à notre disposition des éléments de leur personnalité. Je les ai encore dans une malle. C’était très précieux.
Avec Marguerite, on parlait un peu de tout, elle trouvait que j’étais la femme du rôle. Resnais, pendant qu’il était en repérage au Japon, appelait Duras et lui disait : “Faites répéter son texte à Emmanuelle !” Mais je le connaissais par cœur ! Duras enregistrait le texte sur des cassettes, elle les lui envoyait.
Il y a eu une collaboration continue entre eux. Longtemps, après la sortie du film, il est venu à nos oreilles qu’elle aurait dit que c’était elle qui l’avait fait. Mais c’était peut-être une blague. Je peux la comprendre. Elle s’est tellement impliquée dans ses personnages qu’elle a fini par penser qu’après tout c’était elle qui avait fait le film. Duras, c’était un sacré numéro.
“Elle vous aimait, et puis plus”
Moi, je la trouvais très sympathique, très inattendue, péremptoire, comique aussi. J’avais de l’amitié pour elle, de l’admiration. Elle m’intéressait vivement. Après, je me suis aussi aperçue qu’elle pouvait aussi être très méchante. Elle avait une cour, dont je n’ai jamais fait partie. Elle aimait, et puis elle n’aimait plus. Elle re-aimait, et ne re-aimait plus. Elle me faisait penser à une boule de feu avec des douceurs de cendre. C’était un phénomène humain incroyable, Marguerite. Elle bouillonnait de tout.
J’avais, moi aussi, un pied‑à‑terre aux Roches noires. Quelquefois, là-bas, quand on se croisait, elle faisait celle qui ne me reconnaissait pas. Un jour, j’ai reçu un coup de fil de Yann Andréa. Ils avaient revu Hiroshima à la télévision. Alors, là, soudainement, elle m’a re-aimée. Ça, c’était Marguerite. Il ‑fallait la prendre comme elle était. La dernière fois que je l’ai vue, je revenais d’une balade à vélo. J’arrive à la porte des Roches noires, où elle avait son appartement à Trouville. Je vois petite Marguerite à la porte. Elle était désemparée, on aurait dit une enfant perdue. Elle ne savait plus le code. J’ai bien vu qu’elle ne me reconnaissait pas. J’ai ri. Alors, elle a dit : “Ah ! c’est Emmanuelle.” Elle m’a reconnue à mon rire."