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Dans son docu­men­taire, Flore Rebière, ancienne de la DGSI, raconte le métier d’espionne

Dans son docu­men­taire Espionnes, dis­po­nible sur BrutX, Flore Rebière est allée à la ren­contre de trois anciennes agentes de ren­sei­gne­ments à tra­vers le monde. Loin des cli­chés, elle dévoile le par­cours de ces femmes ordi­naires qui ont choi­si un métier hors du commun.

« Vous pen­sez sérieu­se­ment que le métier d’espionne res­semble à ça ? » Les pre­mières minutes du docu­men­taire Espionne donnent le ton. Ici, pas de mis­sion séduc­tion en robe du soir et talons aiguilles pour appâ­ter la cible à la James Bond girl, mais quatre Madame Tout-​le-​Monde au des­tin quelque peu extra­or­di­naire. Flore Rebière a tra­vaillé pen­dant sept ans à la Direction géné­rale de la sécu­ri­té inté­rieure (DGSI) avant de tout quit­ter en 2017. À 36 ans, celle qui est depuis deve­nue artiste a choi­si de par­ler de son ancien métier. En par­ler, mais pas toute seule. C’est pour­quoi Flore Rebière est par­tie, aidée de la jour­na­liste Licia Meysenq, à la ren­contre de trois anciennes agentes qui ont consa­cré une par­tie de leur vie, comme elle, au ren­sei­gne­ment de leur pays. En est tiré un film docu­men­taire, Espionnes, à décou­vrir sur la pla­te­forme BrutX, qui entend bien cas­ser les cli­chés du métier.

La pre­mière de ces quatre drôles de dames à témoi­gner est Flore Rebière elle-​même. Un grand-​père espion lui donne l’envie, à 19 ans, de ren­trer dans la police. Elle est recru­tée cinq ans plus tard par la DGSI. Pendant sept années, Flore fait de la fila­ture. Elle se fond dans la masse pour pou­voir obser­ver et col­lec­ter des infos. Si l’ancienne espionne n’est plus sous contrat aujourd’hui, on ne sau­ra rien des détails de ses anciennes mis­sions ni du numé­ro d’identifiant qui l’a accom­pa­gnée durant celles-​ci. Tout juste avons-​nous pu sai­sir au vol qu’elle a tra­vaillé à l’époque des atten­tats ter­ro­ristes de 2015 et 2016. Une période qui s’est révé­lée être ter­ri­ble­ment anxio­gène pour la jeune femme. « La pres­sion était monu­men­tale, confie Flore Rebière à Causette. On était sans cesse confron­té à des images cho­quantes, on dor­mait au bureau. Et on ne pou­vait par­ler de ça à personne. »

Constamment sous pression 

Seuls son petit-​ami de l’époque et ses parents sont au cou­rant de son métier. « En socié­té, il fal­lait jouer un rôle, j’inventais des métiers quand on me deman­dait ce que je fai­sais dans la vie, détaille-​t-​elle. Un jour j’étais poli­cière, ce qui au final n’était pas très loin de la véri­té. Le len­de­main, j’étais dans la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale, ça semble un peu ennuyeux, alors géné­ra­le­ment on ne me posait pas trop de ques­tions [rires]. » Mais même à ceux·celles qui savent, Flore ne peut rien dire. « Je n’avais abso­lu­ment pas le droit de divul­guer les détails, c’était par­fois dif­fi­cile. On ne souffle jamais dans ce métier, on peut être appe­lé à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et dans l’heure être dans un avion à suivre quelqu’un. »

C’est peut-​être parce qu’elle connaît les rouages de ce métier, que Flore Rebière a su gagner rapi­de­ment la confiance de ces trois inter­lo­cu­trices. Face camé­ra, cha­cune va lui racon­ter son par­cours, ses peurs, ses doutes et bien évi­dem­ment ses mensonges.

Vivre sous légende 

Première escale du docu­men­taire, Moscou. Flore Rebière y ren­contre Elena Vavilova qui, pen­dant vingt ans, s’est fait appe­ler Tracey Lee Ann Foley. Avec son mari Andrei (alias Donald Howard Heathfield), elle a tra­vaillé pour le KGB en fai­sant par­tie des fameux « illé­gaux ». Ces agent·es sovié­tiques, puis russes, envoyé·es se fondre dans la popu­la­tion amé­ri­caine sous le cou­vert d’une fausse iden­ti­té et d’une « légende » – une his­toire de vie, dans le jar­gon de l’espionnage – éla­bo­rée avec soin pen­dant des années, voire des décen­nies. Le but ? S’approcher au plus près des cercles de pou­voir amé­ri­cain afin d’en récol­ter des informations. 

Devant la camé­ra de Flore Rebière, Elena raconte son ancienne vie d’Américaine sans his­toire. Le couple cache sa réelle iden­ti­té à tout le monde, même à ses deux enfants. « Tu n’as rien dit ? Même à tes enfants ? » inter­roge la réa­li­sa­trice. « Non, notre mis­sion était la chose la plus impor­tante dans notre vie », répond Elena. Les deux enfants décou­vri­ront la véri­té sur leurs parents lors de leur arres­ta­tion par le FBI en 2010, avant d’être échan­gés avec une dizaine d’autres agent·es russes contre des per­sonnes accu­sées par Moscou d’espionnage au pro­fit de l’Occident.

« Ennemi d’État »

Comment alors rede­ve­nir soi-​même quand on a pas­sé autant de temps dans la peau d’une autre ? À l’inverse d’Elena, Flore Rebière n’a pas dû avoir à endos­ser une « légende », mais a eu accès à de nom­breux secrets clas­sés confi­den­tiels. Des secrets par­fois lourds à por­ter. Annie Michon, la deuxième ex-​agente inter­viewée, fait par­tie de celles et ceux qui n’ont pas pu gar­der le silence. Au début des années 1990, le MI6, les ser­vices secrets bri­tan­niques, cherche une nou­velle géné­ra­tion d’agent·es pour contrer le ter­ro­risme irlan­dais de l’IRA. Annie Michon, fraî­che­ment embau­chée, et son mari, éga­le­ment agent, n’apprécient pas cer­taines méthodes inqui­si­trices du MI6, qu’ils dénoncent dans la presse. À cause de cela, le couple devient de fait un « enne­mi d’État ».

Dernière du qua­tuor à se confier à la camé­ra de Flore Rebière, Huda Mukbil. Elle a 4 ans lorsque sa famille décide de fuir son Éthiopie natale, d’abord vers l’Égypte puis au Canada, où elle s’installe. À 16 ans, elle parle quatre langues (un dia­lecte éthio­pien, l’arabe, l’anglais et le fran­çais cana­dien), ce qui lui vaut d’être repé­rée puis embau­chée par les ser­vices secrets cana­diens en 2002, juste après les atten­tats du 11 sep­tembre 2001. Son choix, peu de temps après, de por­ter le hijab va tout com­pli­quer. Son accès à cer­tains dos­siers est blo­qué. Huda Mukbi est mise au pla­card pour le reste de sa carrière.

Reprendre sa liberté

À tra­vers ces quatre por­traits, on entra­per­çoit ce qui consti­tue les réa­li­tés de ce métier très secret : le mode de recru­te­ment, l’impact sur la vie pri­vée, la soli­tude face au poids d’informations sen­sibles, le tout dans un milieu très mas­cu­lin. Des rai­sons qui ont pous­sé Flore Rebière à quit­ter la DGSI en 2017. « J’avais besoin de liber­té, de pou­voir fré­quen­ter qui je veux sans avoir de compte à rendre, de ren­con­trer des gens sans devoir men­tir sur ma vie », raconte-​t-​elle à Causette. Ce film docu­men­taire est aujourd’hui une manière pour la tren­te­naire de rendre un ultime hom­mage à cette période de sa vie, de pou­voir fer­mer la porte et de conti­nuer son che­min en étant sûre, cette fois, de ne pas être suivie. 

Espionnes de Flore Rebière et Licia Meysenq. Disponible sur BrutX.

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