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© Haut et Court

Cannes 2024 : pour­quoi le bio­pic de Jessica Palud sur Maria Schneider est à la fois néces­saire et décevant

Présenté mar­di 21 mai en soi­rée dans la sec­tion paral­lèle "Cannes Première", ce bio­pic consa­cré à Maria Schneider, actrice mar­quée à vie par le tour­nage violent du Dernier tan­go à Paris, est évi­dem­ment le bien­ve­nu étant don­né le contexte #MeToo, même s’il est un peu trop sage… Dommage !

Plus tout à fait une enfant, pas encore une adulte, Maria Schneider a enflam­mé la pel­li­cule en tour­nant Le Dernier Tango à Paris, de Bernardo Bertolucci, en 1972. Mais ce qu’elle ne savait pas alors, dans la can­deur de ses 19 ans, c’est à quel point ce tour­nage, plus encore que ce film soi-​disant mythique, allait cra­mer sa vie. Ce que tente de racon­ter Maria, le bio­pic un peu trop sage que Jessica Palud consacre à cette icône tra­gique du ciné­ma, adap­tant libre­ment le beau livre que la jour­na­liste Vanessa Schneider, sa cou­sine, lui avait consa­cré en 2018 (Tu t’appelais Maria Schneider, chez Grasset).

Flash-​back

Un retour rapide sur l’intrigue du film de Bertolucci s’impose sans doute, his­toire de mieux sai­sir les enjeux du récit de Palud (pré­sen­té en avant-​première à Cannes, il sor­ti­ra en salles le 19 juin).

À celles et ceux qui l’ignoreraient encore, Le Dernier Tango raconte la ren­contre impromp­tue, à Paris, entre Jeanne, une jeune Française de 20 ans (Maria Schneider), et Paul, un qua­dra amé­ri­cain fati­gué (Marlon Brando). Sans rien savoir l’un de l’autre, ils nouent aus­si­tôt une rela­tion char­nelle et se retrouvent très vite dans un grand appar­te­ment vide aux volets clos, où, pen­dant trois jours, ils feront l’amour vio­lem­ment, l’affaire se ter­mi­nant très très mal.

Si le film fut si décrié et atta­qué, s’il fut clas­sé X dans nombre de pays et inter­dit aux moins de 18 ans en France au moment de sa sor­tie en salles, ce fut bien sûr à cause des nom­breuses scènes (fron­tales) de nudi­té et de sexe qui le jalonnent, dont une par­ti­cu­liè­re­ment bru­tale : une sodo­mie avec uti­li­sa­tion d’un mor­ceau de beurre comme lubri­fiant (sachant que Maria Schneider était alors main­te­nue de force au sol par Marlon Brando). Cette scène éprou­vante fut tour­née sans le consen­te­ment de Maria (elle ne figu­rait pas dans le scé­na­rio, Bertolucci et Brando ayant déci­dé de l’ajouter au der­nier moment, sans la pré­ve­nir) : ses larmes sont donc bien réelles. Sauf que per­sonne, à l’époque, ne sut entendre sa souf­france, même quand elle en a par­lé à l’équipe ou, plus tard, à des jour­na­listes. Or c’est ce viol, puisque c’en est un, et ce silence qui l’ont pré­ci­pi­tée dans nombre d’excès, dont une addic­tion aux drogues dures. En clair, la jeune actrice incan­des­cente, tel­le­ment pro­met­teuse, ne s’est jamais remise de ce trau­ma ini­tial (plu­sieurs séjours en hôpi­tal psy­chia­trique à la clé), tout comme sa car­rière, assez erratique.

Conventionnel

Voilà pour­quoi, bien sûr, le film de Jessica Palud est néces­saire. Emblématique de notre époque post-#Me Too, qui dénonce jus­te­ment les vio­lences sexistes et sexuelles sévis­sant dans l’industrie du ciné­ma, il n’apporte certes aucun élé­ment nou­veau sur ce tour­nage en forme de cau­che­mar pour l’actrice. Mais en adop­tant son point de vue, en témoi­gnant de sa fougue, puis de son humi­lia­tion, puis de sa soli­tude, il lui per­met en tout cas d’être enten­due (elle n’en sau­ra rien, mal­heu­reu­se­ment, puisqu’elle est décé­dée en 2011 à l’âge de 59 ans…). 

Est-​ce à dire que sa voix por­te­ra enfin comme il se doit ? Pas sûr, car Jessica Palud opte pour un récit clas­sique, linéaire, un peu lisse aus­si. S’il a le mérite de dérou­ler métho­di­que­ment les faits, il donne sur­tout le sen­ti­ment d’être conven­tion­nel, donc à rebours de la per­son­na­li­té hors norme de son héroïne. A aucun moment l’on est frap­pé, trou­blé, aiman­té par sa lutte, entre grâce et dis­grâce, alors qu’il suf­fit de regar­der trois images d’archives avec Maria Schneider, la vraie, pour être happé·e par son magné­tisme, son intel­li­gence, son feu inté­rieur… et ses yeux, aus­si sombres qu’un puits sans fond. 

Nul reproche à faire à Ana Maria Vartolomei, actrice lumi­neuse qui prête ses traits gra­ciles à la Maria de Jessica Palud et se donne beau­coup de mal pour res­ti­tuer sa pré­sence, son charme, sa colère. Mais elle ne peut pas, à elle seule, enflam­mer un récit qui se contente de gré­siller… alors qu’il aurait dû brûler. 

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Maria, de Jessica Palud. Présenté dans la sec­tion Cannes Première. En salle le 19 juin. © Haut et Court.

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