Présenté mardi 21 mai en soirée dans la section parallèle "Cannes Première", ce biopic consacré à Maria Schneider, actrice marquée à vie par le tournage violent du Dernier tango à Paris, est évidemment le bienvenu étant donné le contexte #MeToo, même s’il est un peu trop sage… Dommage !
Plus tout à fait une enfant, pas encore une adulte, Maria Schneider a enflammé la pellicule en tournant Le Dernier Tango à Paris, de Bernardo Bertolucci, en 1972. Mais ce qu’elle ne savait pas alors, dans la candeur de ses 19 ans, c’est à quel point ce tournage, plus encore que ce film soi-disant mythique, allait cramer sa vie. Ce que tente de raconter Maria, le biopic un peu trop sage que Jessica Palud consacre à cette icône tragique du cinéma, adaptant librement le beau livre que la journaliste Vanessa Schneider, sa cousine, lui avait consacré en 2018 (Tu t’appelais Maria Schneider, chez Grasset).
Flash-back
Un retour rapide sur l’intrigue du film de Bertolucci s’impose sans doute, histoire de mieux saisir les enjeux du récit de Palud (présenté en avant-première à Cannes, il sortira en salles le 19 juin).
À celles et ceux qui l’ignoreraient encore, Le Dernier Tango raconte la rencontre impromptue, à Paris, entre Jeanne, une jeune Française de 20 ans (Maria Schneider), et Paul, un quadra américain fatigué (Marlon Brando). Sans rien savoir l’un de l’autre, ils nouent aussitôt une relation charnelle et se retrouvent très vite dans un grand appartement vide aux volets clos, où, pendant trois jours, ils feront l’amour violemment, l’affaire se terminant très très mal.
Si le film fut si décrié et attaqué, s’il fut classé X dans nombre de pays et interdit aux moins de 18 ans en France au moment de sa sortie en salles, ce fut bien sûr à cause des nombreuses scènes (frontales) de nudité et de sexe qui le jalonnent, dont une particulièrement brutale : une sodomie avec utilisation d’un morceau de beurre comme lubrifiant (sachant que Maria Schneider était alors maintenue de force au sol par Marlon Brando). Cette scène éprouvante fut tournée sans le consentement de Maria (elle ne figurait pas dans le scénario, Bertolucci et Brando ayant décidé de l’ajouter au dernier moment, sans la prévenir) : ses larmes sont donc bien réelles. Sauf que personne, à l’époque, ne sut entendre sa souffrance, même quand elle en a parlé à l’équipe ou, plus tard, à des journalistes. Or c’est ce viol, puisque c’en est un, et ce silence qui l’ont précipitée dans nombre d’excès, dont une addiction aux drogues dures. En clair, la jeune actrice incandescente, tellement prometteuse, ne s’est jamais remise de ce trauma initial (plusieurs séjours en hôpital psychiatrique à la clé), tout comme sa carrière, assez erratique.
Conventionnel
Voilà pourquoi, bien sûr, le film de Jessica Palud est nécessaire. Emblématique de notre époque post-#Me Too, qui dénonce justement les violences sexistes et sexuelles sévissant dans l’industrie du cinéma, il n’apporte certes aucun élément nouveau sur ce tournage en forme de cauchemar pour l’actrice. Mais en adoptant son point de vue, en témoignant de sa fougue, puis de son humiliation, puis de sa solitude, il lui permet en tout cas d’être entendue (elle n’en saura rien, malheureusement, puisqu’elle est décédée en 2011 à l’âge de 59 ans…).
Est-ce à dire que sa voix portera enfin comme il se doit ? Pas sûr, car Jessica Palud opte pour un récit classique, linéaire, un peu lisse aussi. S’il a le mérite de dérouler méthodiquement les faits, il donne surtout le sentiment d’être conventionnel, donc à rebours de la personnalité hors norme de son héroïne. A aucun moment l’on est frappé, troublé, aimanté par sa lutte, entre grâce et disgrâce, alors qu’il suffit de regarder trois images d’archives avec Maria Schneider, la vraie, pour être happé·e par son magnétisme, son intelligence, son feu intérieur… et ses yeux, aussi sombres qu’un puits sans fond.
Nul reproche à faire à Ana Maria Vartolomei, actrice lumineuse qui prête ses traits graciles à la Maria de Jessica Palud et se donne beaucoup de mal pour restituer sa présence, son charme, sa colère. Mais elle ne peut pas, à elle seule, enflammer un récit qui se contente de grésiller… alors qu’il aurait dû brûler.
Maria, de Jessica Palud. Présenté dans la section Cannes Première. En salle le 19 juin. © Haut et Court.