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« Sugar » : ce que les sugar babies ont à dire du patriarcat

Diffusé lun­di 12 avril sur France 3 Paris Île-​de-​France avant d’être dis­po­nible sur la pla­te­forme de la chaîne, Sugar, le nou­veau docu­men­taire de Nina Robert, est un inti­miste et trou­blant film sur le phé­no­mène des Sugar babies.

Elles sont cinq, dans leurs ving­taines, parées de bijoux, de robes de grands soirs et de bou­quets de fleurs dans les­quels leurs visages sou­vent s’enfouissent pour se déro­ber à la camé­ra. Elles ont été ras­sem­blées par la réa­li­sa­trice Nina Robert – dont l'un des pré­cé­dents films, Cavanna, jusqu'à l'ultime seconde j'écrirai, avait nom­mé pour le César du meilleur docu­men­taire – dans une demeure aux murs tapis­sés et au mobi­lier de châ­teau, un décor à la mesure du faste de la vie de prin­cesses qu’elles se sont choi­sies. Une toile de fond pro­pice aux confi­dences, aus­si douce que la vio­lence de ce qu’elles sont venues y livrer : leur expé­rience de sugar babies, ces cour­ti­sanes du XXIème siècle que recrutent sur l’Internet de vieux mes­sieurs pour leurs menus plai­sirs. Nina Robert, qu'on connaît aus­si pour ses docu­men­taires sur l'affaire Clearstream réa­li­sés avec son père le jour­na­liste Denis Robert, a recru­té ces femmes grâce aux mêmes sites. A noter que n'ont accep­té de témoi­gner que des femmes ayant pour le moins une expé­rience très miti­gée, si ce n'est trau­ma­tique, de ce mode de rap­ports tarifés. 

« Quand j’arrive en rendez-​vous, je me détache, je me condi­tionne men­ta­le­ment à ce que je vais faire et je me dis que lorsque je pas­se­rai la porte, ce sera fini, raconte la seule d’entre elles à par­ler à visage décou­vert. Tu dis des phrases que tu as pré­pa­rées à l’avance. » Boucles brunes coif­fées à la gar­çonne, elle explique être deve­nue sugar pour payer ses études à 19 ans. Laissons-​là la fable, que vendent ces sites à grands ren­forts de vidéos publi­ci­taires, d’un che­min de vie auda­cieux, emprun­té pour lier l’utile (le trem­plin social per­mis par la fré­quen­ta­tion de ces mécènes) à l’agréable (la liber­té sexuelle). Chacune de ces cinq jeunes femmes ont toutes en com­mun d’avoir été, à l’entrée de leur vie d’adulte, dans un état d’immense pré­ca­ri­té qui les a pous­sées à se connec­ter sur un site de Sugar babies. L’une d’elles est ain­si venue en métro­pole en tant que jeune fille au pair et était cen­sée se nour­rir avec vingt euros par semaine d’argent de poche. Une ques­tion de sur­vie, donc, d’abord, avant que naisse peu à peu une habi­tude à l’argent facile – les soi­rées pas­sées à tenir com­pa­gnie à mon­sieur se mon­naient 300 euros, la rela­tion sexuelle peut atteindre 500 euros. Toutes dénoncent une rela­tion cor­rom­pue par le fric et qui n’a même pas l’honnêteté d’une rela­tion tari­fée d’un coin de rue. « Ils veulent se per­sua­der que tu es là pour leur per­son­na­li­té, observe l’une d’elles. Donc ils ne veulent pas te don­ner de l’argent, ils font des cadeaux. C’est ça, qui est per­vers là-​dedans. Ils se créent une réa­li­té super­fi­cielle, ils se créent un petit ani­mal de compagnie. »

Ce docu­men­taire inti­miste, soro­ral et trou­blant est une claque. Devant nous s’étalent le cou­rage et la déter­mi­na­tion de ces femmes pour cher­cher des solu­tions à leur situa­tion de pau­vre­té mal­gré le dan­ger – elles sont plu­sieurs à évo­quer des rap­ports non consen­tis et des scènes de viols – et ten­ter de ren­ver­ser le rap­port de force dans ces rela­tions biai­sées. A l’écran, elles alternent entre puis­sance de la femme d’affaire négo­ciant ses pres­ta­tions et fra­gi­li­té de la jeune fille qui a appris à se « faire vio­lence » pour coucher.

Mais le plus édi­fiant du film est peut-​être le por­trait en creux qu’elles des­sinent de leurs sugar dad­dies, incar­na­tions d'un patriar­cat consi­dé­rant comme péri­mées des femmes au-​dessus de 23 ans, n’hésitant pas à opter pour des mineures. « J’ai pitié pour eux car ils sont dans une grande misère affec­tive, lance l’une d’elles. Ils ont honte de dire qu’ils veulent se vider les couilles alors que ce n’est que ça. Mais ils enrobent, avec une meuf qui se réveille avec eux le matin. »

Ces jeunes femmes, qui ont fini par s’extraire radi­ca­le­ment de leurs liens avec ces hommes ou sont en train de s’en déta­cher petit à petit, ne sont dupes de rien. Etudiantes, elles manient avec aisance les concepts de domi­na­tion mas­cu­line et se révèlent farou­che­ment fémi­nistes, dans toute la com­plexi­té de l’expérience vécue. Et leur luci­di­té est ter­rible. « Ce qui m’a amo­chée le plus, c’est de me rendre compte que ma vie sen­ti­men­tale et sexuelle m’a ame­née à la pros­ti­tu­tion sans choc, conclut une Rousse en robe de den­telle. Le choc, ça a été qu’il n’y ait pas de choc. L’homme dont j’étais la pute me res­pec­tait plus que ceux pour qui j’ai eu des sen­ti­ments. Lui je pou­vais lui dire non, déjà. »

Bande annonce

Sugar, docu­men­taire dif­fu­sé lun­di 12 avril à 22h50 sur France 3 Paris Ile-de-France

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