Olivia de Havilland, la fausse ingé­nue qui fit plier les grands stu­dios d’Hollywood

En 1943, l’actrice disparue à 104 ans dimanche s’est rebellée contre son studio d’Hollywood : grâce à son combat, la justice a reconnu que les techniques d’emprise utilisées par les studios sur les acteurs (et particulièrement les actrices !) équivalaient à « du servage ».

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© DR

On a salué Olivia de Havilland et sa longue vie – elle s’est éteinte le 26 juillet dernier à 104 ans – en rappelant qu’elle était la dernière légende vivante de l’âge d’or d’Hollywood. On n’a pas oublié non plus de signaler le rôle pour lequel elle est restée dans toutes les mémoires, celui de Mélanie, dans Autant en emporte le vent, de Victor Flemming. Cette douce figure, rivale de la fougueuse Scarlett O’Hara, donnera un tour décisif à sa carrière. Pourtant, ce qui fait de « ODH » une femme vraiment hors du commun c’est, davantage que son talent, son opiniâtreté.
Sous ses apparences très british, timide et réservée, c’était une des têtes de mule les plus dures d’Hollywood, qui en comptait pourtant un certain nombre.
Elle a réussi à faire plier l’un des plus importants studios de l’âge d’or de Hollywood : la Warner Bros. Et elle a changé pour toujours la vie des acteurs et des actrices.

Bienvenue dans l’usine à rêves

Olivia de Havilland est repérée alors qu’elle joue dans une troupe de théâtre amateur par le réalisateur Max Reinhardt. Il l’engage illico pour son film Le Songe d’une nuit d’été. La jeune fille, née à Tokyo en 1916, est la fille d’un avocat et d’une actrice anglaise, Lilian Fontaine. Lorsque ceux-ci se séparent, sa mère s’exile avec ses deux filles Olivia et Joan, en Californie. Les trois femmes rêvent d’Hollywood, juste à portée de main. Les deux sœurs deviendront effectivement des stars, leur mère restera dans l’ombre de petits rôles.

Olivia est la première à entrer dans le royaume convoité : elle a 19 ans lorsqu’elle signe avec Max Reinhardt, et donc avec le puissant studio de la Warner Bros, pour sept ans. Une aubaine ? Oui et non. Les artistes sous contrat sont assurés de tourner. Mais on ne choisit pas ses rôles et on les enchaîne à la file. Hollywood est une usine. À rêves, peut-être, mais bien une usine. « Nous n’avions pas de syndicats et on nous faisait travailler jusqu’à la mort », écrit la comédienne Myrna Loy dans ses Mémoires.

Olivia de Havilland devient rapidement la partenaire attitrée d’Errol Flynn, beau gosse du moment, héros de films d’aventures en tous genres (de Capitaine Blood à Robin des Bois) dans lesquels il exhibe sa fine moustache, son corps d’athlète et toute sorte d’objets contondants. Le plus contondant étant toutefois son « talent » de séducteur, auquel Olivia se vantera toujours d’avoir échappé. La Warner en fait tout de même officiellement un des couples à succès d’Hollywood, tenu de s’exhiber dans les fêtes et les événements.

Une Olivia contre deux acteurs

Pour Jack Warner, Olivia de Havilland a un emploi précis : la demoiselle en détresse, teint de porcelaine et cils à rallonge, trempés de larmes ou battant l’air frénétiquement. Il n’en démord pas. Elle ne devra ses meilleurs rôles qu’à d’autres producteurs. Ainsi celui de Mélanie, la rivale vertueuse de Scarlette O’Hara dans Autant en emporte le vent, qui lui fera passer un cap dans sa carrière. « La première fois que j’ai lu le roman, confiait Olivia au journal Variety, je n’arrivai pas à m’identifier au personnage de Mélanie, mais en lisant le superbe scénario de Sidney Howard, je découvris une tout autre Mélanie. Grâce au scénario, je l’aimai, je l’admirai, je l’adorai ! »

Là encore, rien n’est pas simple quand on est sous contrat. Autant en emporte le vent est produit par la Metro Goldwin Mayer. Jack Warner veut bien prêter Olivia, mais il faut une monnaie d’échange. Un deal est finalement trouvé : elle tournera le film de Victor Flemming en échange de… deux comédiens prêtés à la Warner par la Metro ! Et pour le temps du tournage, comme c’est toujours l’usage, De Havilland est mise à pied par Warner. Mais c’est l’occasion de prouver tout son talent, qui lui vaut d’être nominée pour l’oscar de la meilleure actrice dans un second rôle. Elle sera de nouveau nominée quelques années plus tard. Cette fois, elle concourt, comme meilleure actrice, pour le film Par la porte d’or, de Mitchell Leisen. Face elle, adversaire nominée pour son rôle dans Soupçons, d’Alfred Hitchcock… sa propre sœur, Joan Fontaine. C’est Joan qui l’emporte et snobe ouvertement Olivia venue la féliciter. Un affront public. C’est le point de départ d’une âpre rivalité, jalonnée de coup de dents et de méchantes répliques, qui court jusqu’à la fin de leur vie. La presse hollywoodienne se délecte de ces éclats. Ainsi Joan Fontaine, déclarant : « Je me suis mariée avant Olivia, j’ai remporté l’oscar avant elle et, si je meurs la première, elle sera sans aucun doute furieuse que je l’aie battue. » De fait, Joan meurt en 2003. Olivia ne fait aucune déclaration.

Vénère Olivia

En 1943, le contrat qui lie De Havilland à la Warner touche à sa fin. À elle, enfin, le pouvoir de choisir ses rôles et ses producteurs. Elle savoure sa liberté… et découvre brutalement que la Warner lui réclame encore des mois et des mois de présence : l’accumulation de toutes les périodes pendant lesquelles elle a joué pour d’autres producteurs. Furieuse, l’actrice assigne en justice la Warner. Un tsunami dans le petit monde doré d’Hollywood, où les grands studios font et défont les carrières et parfois les vies. Son avocat la prévient : « Warner fera tout pour vous mettre en colère, pour vous faire apparaître comme une enfant gâtée. » Effectivement, Jack Warner envoie une lettre aux cent cinquante studios et producteurs indépendants, les invitant (et il y met tout son poids) à boycotter Olivia. Mais celle-ci est déterminée, son avocat est très bon et le juge, qui voit d’un mauvais œil le pouvoir illimité des nababs, donne raison à l’actrice : il assimile la pratique du studio à « du servage ». Warner fera appel, mais cette fois la puissante Guilde des acteurs soutient Olivia. Du jamais vu.

Non seulement elle remporte la bataille, mais ce jugement fera jurisprudence dans la défense des droits des acteurs (De Havilland Law). Olivia pavoise avec, comme à son habitude, un léger sourire en coin : « Personne ne pensait que j’allais gagner, mais une fois la chose faite, je fus inondée de fleurs, de lettres et de télégrammes par mes collègues acteurs. »

Deux oscars pour une bonbonnière

Enfin, Olivia de Havilland peut choisir ses rôles. Elle se tourne avec avidité vers des personnages pleins de finesse, auxquels elle apporte beaucoup d’épaisseur. Elle n’hésite pas à prendre des risques, en interprétant par exemple une jeune schizophrène dans La Fosse aux serpents, d’Anatole Litvak, un des premiers films à mettre en scène crûment la folie, et le quotidien des hôpitaux psychiatriques.
En 1946, elle emporte l’oscar de la meilleure actrice pour À chacun son destin, de Mitchell Leisen. Même récompense en 1949 pour L’Héritière, de William Wyler. Elle embarquera ses deux statuettes lorsqu’elle viendra s’installer à Paris. Dans sa maison du XVIe arrondissement – « une bonbonnière », disaient ses amis –, elle aménagera un « salon aux oscars » où trônent les deux statuettes en majesté.
Car oui, Olivia de Havilland se découvre une passion pour la France. Soyons justes, cette passion commence par une histoire d’amour pour un Français, le journaliste de Paris Match Pierre Galante, en 1955. Le couple s’installe à Paris. Et même après son divorce en 1979, Olivia restera dans la capitale. Sa passion pour notre hexagone est plus forte que son mariage : « La France est le seul pays où je me sente vraiment chez moi », dit-elle.

Tranquillement, elle poursuit sa carrière, toujours émaillée de rôles marquants, comme celui de Miriam Deering, une terrible et glaciale manipulatrice dans Chut… chut… chère Charlotte, un drame très sombre de Robert Aldrich, en 1964.

Mrs Présidente

Pourtant, en 1965, ODJ avoue : « Ce sera le rôle le plus lourd de ma carrière. » Un personnage complexe ? Un film polémique ? Non, on vient de lui confier la présidence du jury du Festival de Cannes. C’est la première fois qu’une femme assume cette exaltante responsabilité. Elle s’y donnera avec fougue, comme toujours.

Jusqu’en 1988, à 78 ans, Olivia de Havilland joue au cinéma, et parfois à la télévision. À la fin de sa carrière, elle aura totalisé soixante-dix films. Le cheveu argenté et le style étincelant (toujours en robe longue) la comédienne accueille les honneurs avec modestie et délectation : elle reçoit les insignes de chevalier de la Légion d’honneur en septembre 2010, elle est fêtée par une standing ovation interminable du public des Césars en février 2011.

Revanche de la commère

Olivia de Havilland se fait discrète avec les années, et aborde sereinement le grand âge. Pourtant, même blanchie, la tête de mule est toujours aussi dure. En 2017, la série Feud (« Querelle » en français) croit pouvoir pimenter la vérité en mettant en scène, dans son récit du Hollywood de l’âge d’or, une Olivia de Havilland interprétée par Catherine Zeta-Jones, qui ne plaît pas à son original.
Mais alors, pas du tout.

« Ils me font apparaître aux yeux du public comme une commère et une vulgaire hypocrite ! » tonne l’ancienne actrice. La veille de son cent unième anniversaire, le 30 juin 2017, elle dépose une plainte contre la production de Feud. Elle prétend, par ce procès, faire jurisprudence et empêcher les productions de mettre en scène des personnes vivantes sans leur accord ou celui de leurs héritiers. Et elle compte bien venir témoigner en personne.

Elle sera malheureusement déboutée en 2019. Mais gageons que si la mort n’était pas venue la prendre avec douceur, pendant son sommeil, en cet été 2020, elle serait repartie au combat.

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