Paris 2024 : la Seine-​Saint-​Denis va-​t-​elle payer l'addition envi­ron­ne­men­tale des jeux olympiques ?

Depuis 2020, des Toxic Tours sont orga­ni­sés en Seine-​Saint-​Denis par des résident·es et des asso­cia­tions. Leur but : dénon­cer les « dégâts » envi­ron­ne­men­taux et sociaux liés à l’accueil des pro­chains Jeux olym­piques dans le département.

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© Riitta Ikonen et Anja Schaffner de la série
« Bird & Leaf. A sen­ti­men­tal journey » 

Lorsqu’on est perché·es sur la pas­se­relle au-​dessus de l’A1 à Saint-​Denis, le Stade de France dans le dos, la vue plonge sur la ZAC Plaine Saulnier, coin­cée entre deux auto­routes. Ancien site indus­triel de 12 hec­tares, le pay­sage est tris­toune : des amas de terre, quelques engins de tra­vaux, un bâti­ment vide… Le ciel de plomb et de pluie de cette jour­née de jan­vier n’arrange rien. La friche devrait accueillir le futur centre aqua­tique pour les Jeux olym­piques (JO) et para­lym­piques (JOP) de 2024 et un nou­vel éco­quar­tier à par­tir de 2025, com­pre­nant des loge­ments, une école et, sur­tout, des bureaux (58 % du bâti). Les images publiées sur le site de la Métropole du Grand Paris, maître d’ouvrage du chan­tier, pro­mettent de beaux len­de­mains à coups de cou­leurs pas­tel, d’arbres, d’un cours d’eau et de gens déam­bu­lant main dans la main. L’image est buco­lique à souhait.

C’est un autre son de cloche qu’une cen­taine d’habitant·es est venue décou­vrir ce jour-​là en par­ti­ci­pant à une visite gui­dée de dif­fé­rents points autour de la ZAC. Plus mili­tante que tou­ris­tique, cette marche répond au nom de Toxic Tour. Le concept est né aux États-​Unis pour dénon­cer les pol­lu­tions subies par les résident·es des quar­tiers popu­laires, sou­vent construits à proxi­mi­té de décharges, d’incinérateurs, d’aéro­ports ou d’autoroutes. Après avoir impor­té le for­mat en Seine-​Saint-​Denis, en 2015, pour sen­si­bi­li­ser les habitant·es aux enjeux de l’accord de Paris sur le cli­mat, une ving­taine de col­lec­tifs d’habitant·es et des asso­cia­tions comme Youth for Climate Paris-​IDF ou Extinction Rebellion ont remis le cou­vert pour dénon­cer, cette fois, les « dégâts » liés aux JOP de 2024. Car c’est bien la Seine-​Saint-​Denis, et non Paris, qui accueille­ra la majo­ri­té des com­pé­ti­tions et des nou­velles infrastructures.

Destruction d’espaces verts

Après deux pre­mières édi­tions dénon­çant, notam­ment, la des­truc­tion de sept hec­tares du parc Georges-​Valbon à La Courneuve pour accueillir le vil­lage des médias ou d’un hec­tare des jar­dins ouvriers des Vertus à Aubervilliers au pro­fit d’une pis­cine (encore une) qui ser­vi­ra de site d’entraînement, place à la troi­sième édi­tion des Toxic Tours JO-​2024. Premier arrêt au car­re­four de la rue Jules-​Saulnier, « presque une bre­telle d’autoroute », et de l’A1. Les voix peinent à s’élever tant le brou­ha­ha du bal­let méca­nique est assour­dis­sant. Cécile Gintrac, géo­graphe et membre du comi­té de vigi­lance JO 2024, explique, méga­phone en main, que l’Autorité envi­ron­ne­men­tale a poin­té, dans un avis, une aug­men­ta­tion des émis­sions de pol­luants atmo­sphé­riques dans la zone, une fois le nou­veau quar­tier sor­ti de terre. Qui dit nou­veaux habitant·es et bureaux, dit aug­men­ta­tion du tra­fic. « À l’intérieur, ce sera beau, éco­lo, soi-​disant. Mais, l’environnement, ce n’est pas seule­ment des murs végé­ta­li­sés et des bâti­ments haute per­for­mance éner­gé­tique. C’est le cadre de vie. Et, là, les auto­routes autour ne vont pas dis­pa­raître. Pire, le tra­fic va aug­men­ter ! » résume-​t-​elle. Peut-​être qu’en écou­tant les besoins des riverain·es, les amé­na­ge­ments pérennes auraient été différents.

Sauf que « les pro­jets sont déci­dés sans que les habi­tants soient consul­tés. Quand ils donnent leur avis, il n’est pas pris en compte », déplore la géo­graphe. Plusieurs col­lec­tifs ont par­ti­ci­pé aux concer­ta­tions publiques, émis des avis, deman­dé des rendez-​vous auprès de dif­fé­rents res­pon­sables poli­tiques pour pré­sen­ter leurs pro­jets alter­na­tifs. En vain. La Société de livrai­son des ouvrages olym­piques (Solideo)1 et la Métropole du Grand Paris n’ont pas répon­du non plus aux sol­li­ci­ta­tions de Causette. Les Toxic Tours sont aus­si une réponse à cette « invi­si­bi­li­sa­tion », assure Cécile Gintrac. « Même si on n’obtient pas grand-​chose, nous fai­sons fonc­tion­ner la démo­cra­tie en mon­trant nos désac­cords », abonde Victoria Chabran, de l’Union des ­asso­cia­tions des rive­rains du Stade de France.

Propositions des habitant·es

Bally, ingé­nieur à la RATP, ne se rend pas aux consul­ta­tions publiques, trop « pom­peuses », réser­vées à des « ini­tiés ». Au contraire, les Toxic Tours sont « démo­cra­tiques, ouverts aux classes moyennes et aux classes popu­laires », et les « infor­ma­tions vul­ga­ri­sées ». Surtout, « ils ne font pas que cri­ti­quer, mais pro­posent des pro­jets alter­na­tifs ». Justement, au milieu du par­cours, plu­sieurs représentant·es de col­lec­tifs se relaient le méga­phone pour pré­sen­ter briè­ve­ment ces alter­na­tives ima­gi­nées pour la zone : enfouis­se­ment de l’A1 – récla­mé depuis long­temps par des habitant·es –, créa­tion d’un espace de loca­tion et de par­king à vélos ou d’un grand parc. « Les pro­jets autour des JO auraient pu per­mettre de cor­ri­ger les erreurs du pas­sé, amé­lio­rer le cadre de vie, dimi­nuer les pol­lu­tions. Là, ça en rajoute », se désole Bally.

La marche se ter­mine devant le groupe sco­laire du quar­tier Pleyel. Hamid Ouidir, parent d’élève et repré­sen­tant de la FCPE 93, explique, de la colère dans la voix, qu’un pro­jet pré­voit, pour 2024, la construc­tion d’un nou­vel échan­geur à proxi­mi­té. Si les bro­chures clai­ronnent que cette nou­velle route « faci­li­te­ra les dépla­ce­ments entre les dif­fé­rents sites olym­piques », les enfants, eux, récu­pé­re­ront de la pol­lu­tion à gogo. « Notre col­lec­tif ne se posi­tionne ni pour ni contre les JO, mais ques­tionne leur héri­tage envi­ron­ne­men­tal, spor­tif, social… », résume Cécile Gintrac.
Pour conclure la visite, Matheus, étu­diant bré­si­lien, prend la parole : « J’ai l’impression de revivre les JO de Rio de 2016, les plans popu­laires alter­na­tifs aux­quels les res­pon­sables ont tour­né le dos, la gen­tri­fi­ca­tion… C’est le moment de reven­di­quer la ville comme un bien com­mun, pas seule­ment aux mains des poli­tiques, des pro­mo­teurs immo­bi­liers et des spon­sors. » Plus tri­via­le­ment, Martine se demande, elle, com­bien coû­te­ra le billet d’entrée de la future pis­cine. Sans doute trop cher pour elle, comme pour une grande par­tie des habitant·es du dépar­te­ment, connu pour être le plus pauvre de France. 

  1. La Solideo super­vise les quarante-​cinq ouvrages olym­piques.[]
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