L’association Banlieues Climat forme des jeunes des quartiers populaires aux enjeux environnementaux. Objectif : construire une écologie par et pour les banlieues.
Manque d’espaces verts, îlots de chaleur, bétonisation, logements mal isolés, présence d’incinérateur ou encore d’échangeur autoroutier… Les quartiers populaires sont parmi les plus touchés par les pollutions et le réchauffement climatique. D’après Santé publique France 1, c’est en banlieue parisienne, avec la région Centre, que la canicule de 2003 a fait le plus de mort·es. Pourtant, les habitant·es, et en particulier les jeunes de ces quartiers, pensent que l’écologie ne les concerne pas. « Pour mes potes, l’écologie c’était les bobos, les plantes, les ours polaires », résume Féris Barkat, vingtenaire de la banlieue de Strasbourg et cofondateur de l’association Banlieues Climat. Ce n’est pas tant que les habitant·es des quartiers s’en désintéressent qu’ils et elles manquent de connaissances sur le sujet. « À l’école, on ne nous en a jamais parlé ou alors juste en cours de SVT [sciences de la vie et de la terre, ndlr] pour nous parler des gaz à effet de serre », déplore Nahel Hamel, 19 ans.
Écologie émancipatrice
Pour pallier ce manque, Féris Barkat, qui a abandonné ses prestigieuses études à la London School of Economics (LSE) pour se consacrer à l’écologie, fonde avec trois autres acolytes l’association en 2022. L’idée est de former des jeunes ambassadeur·rices âgé·es de 16 à 25 ans sur l’environnement pour « leur donner les connaissances et les outiller sur ces enjeux ». Car « demain, ceux qui auront les connaissances sur ces questions auront les bons jobs, les bonnes opportunités. Ils seront inclus dans le chantier de transition. Et ceux qui ne les ont pas vont être de nouveau exclus, et on va répéter les inégalités. Ce sont aussi des portes de sortie professionnelles », explique Féris Barkat, évoquant alors une « écologie émancipatrice ».
Organisées dans les quartiers par Banlieues Climat avec l’aide des associations locales et les centres sociaux qui sont en lien avec les jeunes, les formations gratuites durent deux jours. Il s’agit d’expliquer aux jeunes le principe du réchauffement climatique et de ses conséquences aux quatre coins du monde : fonte des glaces, sécheresses, gaz à effet de serre, canicules, etc. Sur le fond, le contenu est « exigeant ». Il n’est pas question de simplifier les principes. Sur la forme, le jeune homme utilise des références au rap et aux mangas pour captiver son auditoire. « Ça leur parle, explique Alhassana Diallo, le cofondateur de la recyclerie et ressourcerie de La Noue, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), qui a accueilli la deuxième promo. En deux jours, ils en apprennent plus qu’en plusieurs années d’école. Féris leur parle de pair à pair. »
En septembre 2022 et en mars 2023, les deux premières formations d’une quinzaine de jeunes se sont tenues respectivement à Strasbourg et à Bagnolet. Oumayma Bouabid fait partie de la première promo. La jeune femme compare cette formation à un « réveil, après un long sommeil » et un « nouveau monde à découvrir ». « Ça va être une catastrophe plus tard si on ne fait rien. Ça va toucher les humains en premier, pas les plantes et la planète. Et surtout les plus pauvres », prend-elle conscience. Elle se met à trier ses déchets, abandonne Google au profit du navigateur Ecosia, visionne des vidéos pour en savoir davantage.
Même constat chez Nahel Hamel. Le jeune homme fait désormais attention à sa consommation d’énergie, mange moins de fast-food et plus de fruits et légumes, utilise davantage les transports en commun. « Mais ça ne suffit pas, dit-il. Il faut changer nos modes de vie. À mon échelle, je ne peux pas faire grand-chose, mais en groupe, oui. » D’où la force des ambassadeur·rices Banlieues Climat, une sorte de green team des quartiers, qui sensibilisent des écolier·ères qui formeront d’autres jeunes à leur tour, dans une logique de transmission.
Autre narratif
« Généralement, après avoir découvert tout ça, combien c’est fou, ils veulent partager leurs connaissances. Et agir », commente Féris Barkat. D’abord, l’association leur propose d’animer des ateliers auprès d’élèves de CM1 et CM2 en école primaire. Oumayma a animé son premier juste après sa formation. Dans un second temps, l’idée serait que chaque promo crée son antenne locale Banlieues Climat pour mener des actions concrètes et rendre leur quartier et leur vie plus résilients.
Car, in fine, le projet vise surtout à faire que ces jeunes s’approprient la question et qu’ils et elles écrivent leur définition de l’écologie. Aujourd’hui, le discours dominant est celui d’une écologie conçue par une classe aisée, qui vante notamment la sobriété. Sauf que « c’est dur pour nous de devoir faire un trait sur une promesse d’accumulation, sans l’avoir jamais atteinte, déroule Féris Barkat. C’est à nous d’écrire notre propre “narratif” écologique ». C’est-à-dire une écologie par et pour les quartiers populaires, qui « mette à l’abri les darons du réchauffement climatique », suggère le jeune militant. Et qui rime avec « solidarité », « préoccupations économiques » et « santé », esquisse Alhassana Diallo.
Banlieues Climat n’en est qu’à ses débuts. À l’image de Féris Barkat, le projet est bouillonnant. De nouvelles formations sont prévues dans les prochains mois. Et un plaidoyer pour promouvoir l’accessibilité du vélo dans les quartiers populaires est en cours de rédaction. C’est une délégation d’ambassadeur·rices de Banlieues Climat, à vélo, partie de bagnolet, qui devrait l’accompagner à Strasbourg. Qui a dit que l’écologie était un truc de bobos ?
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- Étude « Surmortalité liée à la canicule d’août 2003 en France », Santé publique France.[↩]