cityscapes during nighttime
© Takashi Watanabe

La fac­ture éco­lo­gique des smart cities est trop salée

En frap­pant d’abord les grandes métro­poles, la pan­dé­mie a révé­lé la néces­si­té de trans­for­mer nos villes en espaces urbains plus accueillants, et plus fonc­tion­nels. Des pré­oc­cu­pa­tions qui ne sont pas sans rap­pe­ler celles des smart cities, ou villes intel­li­gentes. Un concept né dans les années 2000, qui entend faire de l’innovation tech­no­lo­gique le prin­ci­pal moyen d’améliorer la qua­li­té de vie des habitants.

Dans un récent article du Monde racon­tant com­ment Anne Hidalgo se chauffe pour can­di­da­ter à l'élection pré­si­den­tielle de 2022, le scien­ti­fique spé­cia­liste des « villes intel­li­gentes » Carlos Moreno figure en bonne place de celles et ceux qui soufflent à l'oreille de la maire de Paris des idées nou­velles pour pré­pa­rer sa cam­pagne. Il faut dire que depuis 2018, Paris se targue du titre de « ville intel­li­gente et durable », éti­quette qui implique d'après le docu­ment stra­té­gique ad hoc d'être « ouverte » (inci­tant la par­ti­ci­pa­tion démo­cra­tique de ses habitant·es), « connec­tée » (en favo­ri­sant l'accès de tous au numé­rique) et « ingé­nieuse » (en inno­vant quant à l'aménagement urbain et à la végétalisation).

Comme elle, Barcelone, Copenhague, ou encore Montréal, de nom­breuses villes à tra­vers le monde se sont pro­gres­si­ve­ment conver­ties en smart cities, c'est-à-dire en métro­poles uti­li­sant les nou­velles tech­no­lo­gies pour répondre à des enjeux sociaux, éco­no­miques et éco­lo­giques. Certaines villes, à l’image de Songdo, en Corée du Sud, ou de la futu­riste Masdar, aux Émirats Arabes Unis, ont même été bâties sur ce modèle de A à Z. Mais ces villes pré­sen­tées comme intel­li­gentes sont-​elles si ver­tueuses qu’elles en ont l’air ? Œuvrent-​elles véri­ta­ble­ment en faveur d’une tran­si­tion éco­lo­gique, comme la plu­part le laissent entendre ? 

La notion de smart city a émer­gé il y a une ving­taine d’années, quand de grandes entre­prises de l’informatique ont com­men­cé à s’intéresser aux diverses façons d’améliorer le fonc­tion­ne­ment des villes. L’idée est alors appa­rue de col­lec­ter et uti­li­ser les don­nées des citoyens, pour gérer les espaces urbains de façon plus effi­cace. Appréhender les heures de pointe, connaître la consom­ma­tion moyenne d’eau chaude par foyer ou encore la quan­ti­té de déchets géné­rés per­met­trait ain­si de mieux régu­ler le tra­fic rou­tier, la consom­ma­tion éner­gé­tique, ou encore d’optimiser la ges­tion des déchets.

Si les smart cities ont donc pour voca­tion pre­mière d’être plus fonc­tion­nelles, elles visent aus­si à être des villes plus agréables à vivre. Et pour cela, prendre en compte les pré­oc­cu­pa­tions envi­ron­ne­men­tales gran­dis­santes des cita­dins est vite appa­ru comme indis­pen­sable. Nombre de villes intel­li­gentes, pour être plus attrac­tives, sont ain­si pré­sen­tées comme des villes vertes et durables : c’est le cas d’Oslo, Barcelone, ou encore Copenhague. Et si c’est effec­ti­ve­ment vrai pour cer­taines, data et envi­ron­ne­ment ne font tou­te­fois pas tou­jours bon ménage.

Des don­nées qui donnent chaud

Pour col­lec­ter et sto­cker toutes ces don­nées, les smart cities s’appuient sur un réseau mas­sif de cap­teurs, et sur la construc­tion de data cen­ters. Ces der­niers consomment énor­mé­ment d’énergie, en par­tie liée à leurs sys­tèmes de refroi­dis­se­ment, et génèrent beau­coup de cha­leur. Pas idéal en plein réchauf­fe­ment cli­ma­tique, donc. A titre d’exemple, le plus grand data cen­ter de France, actuel­le­ment en construc­tion à La Courneuve, aurait une consom­ma­tion éner­gé­tique équi­va­lente à celle de 60 000 foyers !

Autre couac quand il s’agit d’examiner les ver­tus envi­ron­ne­men­tales des smart cities, la ques­tion des maté­riaux. Beaucoup de cap­teurs, smart­phones et autres écrans omni­pré­sents dans les villes intel­li­gentes sont issus de « terres rares », des métaux dont l’extraction et le trai­te­ment ont une empreinte envi­ron­ne­men­tale très éle­vée. On les retrouve y com­pris dans les voi­tures élec­triques, tant plé­bis­ci­tées par la plu­part des villes intel­li­gentes. « Nous uti­li­sons des objets qui sont sup­po­sés nous per­mettre de réduire notre empreinte envi­ron­ne­men­tale, mais nous oublions tota­le­ment d’où pro­viennent les matières qui ont ser­vi à leur construc­tion », sou­ligne Charlotte Ruggeri, doc­teure en géo­gra­phie au Laboratoire Ville Mobilité Transport, et direc­trice de publi­ca­tion de L’Atlas des villes mon­diales, paru en sep­tembre aux édi­tions Autrement. Sans comp­ter que pro­mou­voir des véhi­cules indi­vi­duels, élec­triques ou non, semble assez contre-​productif à l’heure où le bon sens vou­drait plu­tôt que nous rédui­sions dras­ti­que­ment nos émis­sions de gaz.

L’architecture de cer­tains quar­tiers intel­li­gents est aus­si par­fois sujette à contro­verse quand il s’agit de lut­ter contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. C’est le cas à Songdo par exemple, où des immeubles entiers ont été construits en verre. En périodes de forte cha­leur, les habi­tants n’ont d’autres choix que d’utiliser la cli­ma­ti­sa­tion pour que les tem­pé­ra­tures des loge­ments res­tent accep­tables, géné­rant ain­si un bilan car­bone très éle­vé. « Quand on pré­sente les villes intel­li­gentes comme des modèles de sobrié­té éner­gé­tique et envi­ron­ne­men­tale, il faut faire atten­tion à tout ce qui est invi­si­bi­li­sé der­rière et qui pose ques­tion, les don­nées comme les maté­riaux », résume Charlotte Ruggeri.

Du high-​tech au low-tech

Pour sor­tir de cette impasse, la cher­cheuse pro­pose d’envisager les villes intel­li­gentes non plus comme des enclaves où tout serait « sur­tech­no­lo­gi­sé », mais comme des espaces où les tech­no­lo­gies seraient mises au ser­vice de modèles plus res­pec­tueux de l’environnement, et plus inclu­sifs. En somme, sor­tir du high-​tech pour aller vers le low-​tech : des tech­no­lo­gies à faible inten­si­té maté­rielle et éner­gé­tique, qui contri­buent à pro­duire des biens plus durables et à limi­ter la pro­duc­tion de déchets. « On a le sen­ti­ment, encore aujourd’hui, que l’on est dans une course à la moder­ni­té tech­no­lo­gique, qui pas­se­rait obli­ga­toi­re­ment par des modèles nocifs pour l’environnement. Il faut par­fois reve­nir aux bases : dans le cas de la ges­tion des déchets par exemple, il ne s’agit pas de tout révo­lu­tion­ner, mais de géné­ra­li­ser des sys­tèmes qui existent déjà, comme le recy­clage ou le com­pos­tage. Aujourd’hui, si vous habi­tez en appar­te­ment dans une grande ville, notam­ment en France, et que vous vou­lez com­pos­ter vos propres déchets, c’est dif­fi­cile de savoir où et com­ment le faire. »

Utiliser les res­sources que nous avons à dis­po­si­tion, apprendre à répa­rer plu­tôt que de jeter, s’intéresser à la pro­ve­nance des pro­duits que l’on uti­lise, limi­ter sa consom­ma­tion… voi­ci les grands prin­cipes qui sous-​tendent le low-​tech, et qui devraient être inclus dès le départ dans la réflexion autour des villes intel­li­gentes, selon la cher­cheuse. « Le low-​tech repose beau­coup sur l’économie cir­cu­laire, c’est l’idée à la fois de repen­ser des modèles urbains plus res­pec­tueux de l’environnement, mais aus­si de recréer du lien social, ajoute-​t-​elle. On a construit ces villes intel­li­gentes comme des enclaves sociales des­ti­nées à des classes aisées voire très aisées, peut-​être qu’il serait temps de pen­ser ces modèles de villes intel­li­gentes avec du loge­ment social, de l’habitat participatif… »

Des réflexions qui prennent tout leur sens dans un contexte où le lien social a été mis à mal, et où chaque cita­din devra s’impliquer, à son échelle, pour faire rimer ville intel­li­gente avec ville résiliente.

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