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© DEEPOL/PLAINPICTURE – LAURA VINCK

Guerres : l’environnement à feu et à sang

Aux innom­brables vic­times des guerres, de 14–18 à l’invasion russe en Ukraine, s’ajoutent celles expo­sées à un envi­ron­ne­ment dévas­té par les conflits. Pollution des eaux et des sols, des­truc­tion des éco­sys­tèmes, risques nucléaires… Des consé­quences de très long terme qui res­tent encore dif­fi­ciles à mesu­rer et à sanctionner.

« Comme dans beau­coup de conflits, nous obser­vons déjà des épi­sodes de pol­lu­tion qui exposent les per­sonnes et les éco­sys­tèmes à des risques de dom­mages aigus à long terme. » Le 25 février 2022, au len­de­main de l’invasion russe en Ukraine, le Conflict and Environment Observatory, un centre de recherche bri­tan­nique, pré­ve­nait que la nature comp­te­rait bien­tôt par­mi les vic­times directes ou col­la­té­rales du conflit. Huit mois plus tard, en sus des meurtres, viols et trau­ma­tismes subis par les civil·es, la guerre s’est bel et bien atta­quée à l’environnement. Le minis­tère ukrai­nien de l’Écologie et des Ressources natu­relles publie un bilan heb­do­ma­daire des dégâts : pol­lu­tion atmo­sphé­rique après l’incendie de dépôts de car­bu­rant, feux de forêt consé­cu­tifs à des bom­bar­de­ments ou encore effon­dre­ment d’immeubles libé­rant de l’amiante. Sans comp­ter les risques sani­taires induits par les muni­tions elles-​mêmes, aux com­po­sants toxiques, et la menace que font peser les quinze réac­teurs nucléaires du pays. Cet été, la cen­trale de Zaporijia, occu­pée par les forces russes et à proxi­mi­té des com­bats, a été décon­nec­tée du réseau élec­trique néces­saire à son refroi­dis­se­ment, fai­sant pla­ner le risque d’un acci­dent radioactif.

« Presque toutes les guerres des dix der­nières années ont eu un lien avec l’environnement, qu’il ait été à la source du conflit ou détruit, volon­tai­re­ment ou non, lors des com­bats », rap­pelle Marie-​Ange Schellekens, juriste en droit de l’environnement et cher­cheuse à l’université de La Rochelle. En Ukraine, le risque est accru par le carac­tère très indus­tria­li­sé du pays – ses usines chi­miques vieillis­santes sont autant de bombes éco­lo­giques en cas de des­truc­tion – et par sa richesse natu­relle. « L’Ukraine concentre 35 % de la bio­di­ver­si­té d’Europe, une qua­ran­taine de zones pro­té­gées et des zones humides d’importance inter­na­tio­nale », illustre la cher­cheuse. La guerre qui sévit dans la région du Donbass depuis 2014 donne un aper­çu des « dom­mages signi­fi­ca­tifs et par­tiel­le­ment irré­ver­sibles aux éco­sys­tèmes », rap­porte une note du pro­gramme des Nations unies pour l’environnement parue en 2018. Aux des­truc­tions s’ajoutent des risques indi­rects pour la nature : affai­blis­se­ment des ins­ti­tu­tions char­gées de sa pro­tec­tion, impos­si­bi­li­té de faire res­pec­ter les lois sur le bra­con­nage ou le bûche­ron­nage ou arrêt du trai­te­ment des déchets et des eaux. « L’impact d’une guerre sur l’environnement est très dif­fi­cile à quan­ti­fier, note Marie-​Ange Schellekens. Il peut se faire sen­tir sur des décen­nies, avec des consé­quences sur la san­té, la pro­duc­ti­vi­té des sols, des effets sociaux ou poli­tiques, que l’on maî­trise encore mal. Il y aura besoin, à l’issue du conflit, d’un tra­vail d’évaluation indépendant. »

La guerre en Ukraine est loin d’être la pre­mière à mar­ty­ri­ser la nature. Dans le nord-​est de la France, des muni­tions de la Première Guerre mon­diale conti­nuent de conta­mi­ner les sols. En 2015, des fermes de la Meuse avaient été contraintes de détruire leur pro­duc­tion de lait et de céréales à cause d’une poten­tielle pol­lu­tion liée aux com­bats de 14–18. Les exemples récents sont innom­brables. En 2006, des frappes israé­liennes au Liban ont pro­vo­qué le rejet en mer de 15 000 tonnes de pétrole. Dans une réso­lu­tion – non contrai­gnante –, l’ONU a deman­dé à Israël de ver­ser au Liban une « com­pen­sa­tion » de 841 mil­lions d’euros. Les occu­pa­tions amé­ri­caines en Afghanistan et en Irak ont aus­si char­rié leurs lots de catas­trophes. Outre-​Atlantique, des vété­rans alertent sur un pos­sible lien entre les can­cers du cer­veau déve­lop­pés par cer­tains d’entre eux – dont le fils du pré­sident Joe Biden, mort en 2015 – et l’incinération à ciel ouvert de mon­tagnes de déchets toxiques pra­ti­quée par l’armée autour de ses bases pen­dant des décen­nies. Les consé­quences sur les civils res­tent, quant à elles, inconnues.

Reconnaître l’écocide

Le droit inter­na­tio­nal a tar­dé à s’intéresser aux effets des guerres sur l’environnement. C’est l’usage mas­sif de l’agent orange pen­dant la guerre du Vietnam qui oblige à amor­cer une réflexion. Entre 1964 et 1974, les États-​Unis ont déver­sé cet her­bi­cide au Vietnam, au Laos et au Cambodge pour détruire la forêt où se réfu­giaient les combattant·es viêt-​cong. Entre 2,1 mil­lions et 4,8 mil­lions de per­sonnes ont été expo­sées au défo­liant conte­nant de la dioxine, avec des risques de mala­dies et de mal­for­ma­tions sur plu­sieurs géné­ra­tions. S’ensuivent plu­sieurs conven­tions internationales.

Mais il faut attendre la créa­tion de la Cour pénale inter­na­tio­nale, en 2002, pour que celle-​ci qua­li­fie de crime de guerre le « fait de diri­ger intentionnelle- ment une attaque en sachant qu’elle cau­se­ra inci­dem­ment […] des dom­mages éten­dus, durables et graves à l’environnement », exces­sifs par rap­port à l’avantage mili­taire attendu.

Vingt ans plus tard, faute d’une prise de conscience suf­fi­sante des enjeux, « les dif­fé­rents textes sont très peu sai­sis », constate Marie Toussaint, juriste et dépu­tée euro­péenne EELV. À l’origine d’une alliance inter­na­tio­nale de par­le­men­taires pour la recon­nais­sance du crime d’écocide, Marie Toussaint milite pour la créa­tion d’un nou­veau cadre juri­dique qui per­met­trait de trai­ter l’ensemble des atteintes à l’environne- ment, en temps de guerre comme de paix. « Reconnaître l’écocide per­met­trait d’en faire une prio­ri­té poli­tique, mais aus­si d’adapter et de for­mer l’ensemble du sys­tème judi­ciaire et d’investigation », soutient-​elle. Le sur­saut d’intérêt pour les consé­quences éco­lo­giques de la guerre, pro­vo­qué par le conflit en Ukraine, reste selon elle insuf­fi­sant. « Nous devrions nous inter­ro­ger nous aus­si sur nos ins­tal­la­tions indus­trielles et nucléaires, et notre capa­ci­té à pro­té­ger nos envi­ron­ne­ments en temps de guerre, conclut-​elle. Or cette réflexion est encore très peu présente. »

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