S'il devient de plus en plus courant de faire attention à notre empreinte environnementale quand on achète de l'alimentaire ou des vêtements, difficile de bien faire quand il s'agit de meubler ou décorer son habitation. Le distributeur en ligne Très entend proposer la solution.
Un fauteuil conçu avec des chutes de plastique et de métal issues de la production industrielle en France noté A, une bibliothèque fabriquée en bois provenant de « forêts durables » notée B+. Sur Très-ecodesign.com, le mobilier et les articles de décoration proposés ont été validés par un implacable algorithme étudiant le cycle de vie d'un objet et reléguant hors de la vente les produits qui, sur une note environnementale de A à F, ne dépassent pas le D. Une sorte de Yuka de design, du nom de cette incontournable application qui scanne les codes barres alimentaires ou de produits de beauté pour aiguiller les consommateur·trices dans leurs achats en fonction des composants, sauf qu'ici, le supermarché est en ligne et ne vend que les articles à haute préoccupation environnementale. Une place à prendre puisque, contrairement à l'alimentation par exemple, les normes de transparence sur la composition et la fabrication d'un meuble restent très floues.
« Nous sélectionnons dans un premier temps de manière subjective des meubles et des objets que nous trouvons foncièrement beaux, détaille Camille Cousté, qui a lancé Très cet automne. Puis, nous demandons à la marque qui les produit divers éléments sur la traçabilité des matières premières utilisées mais aussi sur sa durabilité. Ce sont ces éléments objectifs qui vont être soumis à l'algorithme que nous avons conçu en nous basant sur les travaux de l'Ademe [l'agence gouvernementale de transition écologique, ndlr] qui prend en compte l'intégralité de la vie d'un produit, des conditions d'extraction de la matière première aux possibilités de réparation, réemploi ou recyclage une fois le produit usé. » La trentenaire fait partie de ces personnes bien installées dans leur vie qui ont soudainement eu à cœur de changer de métier pour (re)trouver du sens. Passionnée de design et passée par une grande plate-forme de distribution d'ameublement, Camille Cousté a pris conscience au fil de sa carrière des carences du secteur en matière d'impact environnemental. Devenir locavore, choisir des destinations accessibles en train, s'habiller seconde main… Oui, mais à quoi bon si nos meubles sont fabriqués dans des usines chinoises fonctionnant au charbon ? La jeune femme met à profit la crise sanitaire pour se lancer dans l'aventure : quitter Paris, direction Marseille, cette ville qui sonne à tant de Parisien·nes comme une promesse de tout recommencer face à la mer, et monter son entreprise durant l'été 2021.
Petit stock et squat arty
Quelques mois plus tard, mi-novembre, elle nous reçoit dans les locaux de Très, qui s'accordent avec cette nouvelle éthique slow-life. Le petit stock (« Petit car, en tant que distributeur, cela ne sert pas l'environnement de stocker à Marseille des produits fabriqués à Lille s'ils sont achetés à Paris », explique Camille Cousté) et le siège social de la jeune entreprise sont perchés dans les étages de Buropolis, une barre d'immeuble du IXème arrondissement de Marseille, vouée à la démolition et squattée – avec l'accord de la municipalité – le temps que les travaux s'engagent. Des artistes engagé·es sur des thématiques de solidarité, de réemploi et d'environnement et quelques start-ups comme Très se partagent les neuf étages de l'édifice gérés par l'association Yes we camp, avec espaces de restauration communs et ascenseurs constellés de graffitis et de stickers associatifs, plus ou moins en panne.
Une ambiance créative dont profitent Camille Cousté et Grégoire Gérard, les deux fondateur·trice de Très, mais aussi Pauline Senia, élève ingénieure recrutée en alternance pour créer le fameux « éco-score du mobilier » qui fait la force de Très et, plus récemment, Lauriane Boscher, étudiante en marketing elle aussi en alternance dans la start-up. « C'est une fierté que notre première recrue ait été une ingénieure, souligne Camille Cousté. C'est la preuve que notre offre de distribution s'appuie sur une grande innovation technologique. »
Le made in France n'est pas toujours la panacée
Pour l'heure, l'algorithme est utilisé dans de complexes fichiers Excel, mais à terme, Camille Cousté envisage de créer un logiciel ad-hoc. Car en plus de la vente au particulier de meubles éco-responsables, la start-up se donne pour mission de proposer un service de conseil aux entreprises d'ameublement, en passant leurs produits à la moulinette de l'éco-score développé et en leur proposant des pistes d'amélioration pour obtenir une meilleure note. « Il y a des marques qui ont vraiment du mal à savoir comment son fabriqués les objets qu'elles conçoivent, raconte la jeune femme. D'autres sont venues nous voir très enthousiastes pour être référencées sur Très et ont été désagréablement surprises de découvrir que leurs produits ou certains de leurs produits n'étaient pas assez "propres" pour que nous les vendions. Il faut alors leur expliquer que, dans les critères qui font une empreinte environnementale, faire du made in France n'est pas une garantie de bien faire car de nombreux autres paramètres entrent en compte, comme l'origine des matières premières par exemple. »
En matière d'empreinte environnementale du mobilier, il y a quelques flous que Très escompte dissiper. Ce n'est pas parce qu'il est écrit « made in France » sur une chaise qu'elle aura été fabriquée intégralement en France, cette indication peut simplement signifier qu'en bout de chaîne, ses différents éléments auront été assemblés en France. Par ailleurs, ce fameux « made in France » n'est pas forcément la panacée environnementale, car une étagère fabriquée en Roumanie mais grâce à du bois sourcé dans une forêt qui n'est pas surexploitée aura un coût environnemental moins lourd qu'une étagère française moins regardante.
Reste, au bout de toute cette volonté de mieux faire et de mieux consommer la question du coût pour le·la client·e. Sur Très, les produits ne sont clairement pas accessibles à toutes les bourses, avec par exemple un canapé deux places vendu 3 570 euros. Le prix de l'éco-responsabilité, affirme Camille Cousté. « On a tendance à opposer ces prix à ceux d'Ikea, mais ce genre de multinationales qui produit de façon industrielle ne peut pas tout faire raisonnablement. » D'ailleurs, lorsqu'elle a mené ses recherches pour lancer Très, la jeune femme a cru avoir été devancée par Ikea, puisqu'un article en ligne annonçait la création, par la marque suédoise, d'un éco-score. Las, l'article en question date de 2011 et, dix ans après, toujours pas de révolution chez le géant du mobilier, si ce n'est la possibilité pour le·la client·e de retourner son meuble usager pour qu'il soit recyclé.
Pour faire comprendre au public les coûts de fabrication d'un objet à haute valeur environnementale, Très vient de s'associer à la designer Louise Rué pour lancer un miroir à prix coûtant, dont le plus petit modèle est à 60 euros (le prix de vente normal aurait été environ le double). « Nous ne gagnerons pas d'argent dessus, indique Camille Cousté, mais l'idée est de se faire connaitre avec une démarche qui a du sens, en sourçant les composants du miroir et en faisant travailler des artisans locaux. » L'occasion d'acquérir une jolie pièce fabriquée avec amour pour la planète.