Ondine Morin, le bon génie d’Ouessant

Les pratiques industrielles, Ondine Morin les a dans le viseur. Voilà une décennie que l’habitante de l’île d’Ouessant (Finistère) s’est lancée dans un filon plus respectueux de l’environnement et du vivant : la pêche à la ligne. Au point de devenir porte-étendard de cette activité artisanale et de son île.

GOU5745
Ondine Morin © Vincent Gouriou pour Causette

La voiture dévale la route avant de s’arrêter. Pas le choix, le chemin s’achève et donne sur le port du Stiff, où transitent chaque jour les passager·ères venant du continent ou quittant l’île d’Ouessant, à deux heures à l’ouest de Brest par la mer. Ondine Morin, de longs cheveux châtains ornés de mèches blondes sur un visage couvert de taches de rousseur, sort de son véhicule et se poste au bord de l’eau. Là, accroché à une bouée orange, le Finis Terrae, un bateau blanc et bleu long de 8,20 m, le sien, prend les vagues. « Ici, nous n’avons pas de port-abri. Dès que le temps se gâte, on vient voir si tout se passe bien, si on n’a pas perdu de matériel. Même la nuit. Notre bateau, c’est un membre de la famille », déclare Ondine de sa voix calme.

L’Ouessantine y tient. Depuis dix ans, l’îlienne de naissance monte à bord avec son compagnon, Jean-Denis, pour des sorties de pêche à la ligne dès que la météo le permet. Avec des cannes de 1,8 à 2 mètres et des appâts lancés à l’arrière du bolide, il et elle attrapent daurades, maquereaux, bars ou lieus noirs et jaunes à la force des bras : de 150 à 200 kilos par sortie. La mer d’Iroise, pourtant, est capricieuse, réputée pour ses courants et ses rochers ravageurs, causes de bien des naufrages. « Mais la ligne, c’est un métier d’avenir, artisanal », abonde la trentenaire au petit gabarit, que l’on sent vive et robuste. Pas de raclage des fonds marins ni de filets géants n’offrant aucune chance aux êtres subaquatiques – dauphins compris –, Ondine Morin défend une pratique raisonnée. La décision a même été prise de suivre le « repos biologique » et d’arrêter l’activité de janvier à mars : « On laisse les stocks se renouveler pendant deux mois, là où normalement les poissons sont plus simples à pêcher, car ils se reproduisent et se retrouvent en groupe. » Temps pendant lequel le couple entretient le matériel et prépare la prochaine saison.

Lorsqu’on remonte le fil de son parcours, attablées dans le café-boulangerie du bourg de Lampaul –  le centre de ce bout de terre de 8 kilomètres de long –, cet engagement se comprend. Une enfance rêvée, indépendante, cerclée de paysages sauvages, à vagabonder jusqu’aux limites de l’île. « Quand on vient d’ici, la nature c’est l’essence même de la vie. On fait corps avec ce qui nous entoure », dépeint-elle. 

De ses balades nocturnes à traquer les hérissons, guidée par la lumière des phares, la curieuse Ondine (génie des eaux dans la mythologie) se forge une imagination débordante peuplée de cris d’oiseaux et de personnages féeriques. Le tableau va prendre un coup au moment où, comme les camarades de son âge, elle va devoir continuer sa scolarité au lycée sur le continent, à Brest. « Je n’étais pas assez mature pour partir. Arrivée à Brest, j’étouffais, je ne voyais plus l’horizon », raconte-t-elle, encore marquée par cet arrachement obligatoire. L’adolescente mélancolique veut tout arrêter, ses parents la poussent à poursuivre. « Avec le recul, je me dis que c’est le genre d’épreuves qui forgent un caractère, qui permettent d’avoir une certaine volonté. » L’année suivante, elle file à Morlaix, un peu plus dans les terres, dans un lycée agricole. Elle termine un bac Sciences et technologies de l’agronomie et de l’environnement et renoue avec ses premières amours. « On était tout le temps dehors à droite à gauche, c’était génial. »

Trop jeune pour plaire 

L’île reste néanmoins dans ses pensées. Mais, quand on vient d’Ouessant, on le sait, difficile de travailler sur place, à moins de créer sa propre activité. « À l’époque, j’ai constaté que le secteur touristique avait le vent en poupe, mais qu’il n’y avait pas de professionnels », raconte-t-elle en sirotant son café. En 2007, après son BTS et une licence en management à La Rochelle, Ondine Morin est persuadée de pouvoir établir sur l’île une agence de voyages. Impossible sans un brevet spécifique. Un an plus tard, à 23 piges, elle s’engage en politique pour les municipales autour de la défense d’un tourisme plus durable. Là encore, c’est la désillusion. « J’ai vu mon nom rayé comme tous ceux des jeunes inscrits. Ici, la population est âgée, plus de 65 % a 65 ans. » Grosse déprime.

GOU5551
Ondine Morin © Vincent Gouriou pour Causette

Au même moment, pourtant, l’amoureuse de nature et de légendes « tombe » dans les archives sur le patrimoine d’Ouessant. Elle avale des connaissances et commence à proposer des visites guidées de ses terres. « Il fallait que je prouve quelque chose, les habitants de l’île ne me faisaient pas confiance », soutient-elle. Peut-être, mais elle se tue à la tâche, enchaîne les balades peu importe les conditions, et finit en « burn-out », selon ses mots. Retour à la case départ, sur le continent, avec son compagnon, Jean-Denis – qui officie dans la marine marchande –, pour se ressourcer.

Une journée particulière

« Jean-Denis m’avait dit qu’il voulait être pêcheur-ligneur à Ouessant. On regardait les annonces un peu comme ça, se rappelle Ondine Morin. Puis un jour, en 2010, un ami nous appelle et nous signale qu’il y a exactement le bateau qu’on recherche. » Le présage pour revenir sur cette île qui lui manquait d’autant plus qu’elle s’en trouvait loin.

À leur retour à Ouessant, à l’hiver 2010-2011, elle reprend son activité de guide. Parallèlement, cette touche-à-tout de 37 ans, qui connaît peu de choses à la pêche, si ce n’est que son grand-père a été ligneur lui aussi, embarque dans les vagues et les poissons avec son compagnon. « Je me suis aperçue que j’avais la fibre », souligne-t-elle, des étoiles plein les yeux. Suivre les fous de Bassan qui chassent les maquereaux en dessous desquels rôdent leurs prédateurs, les bars, voilà un exercice du quotidien en lien avec le vivant. Ouessant, pourtant, n’est pas terre de pêcheur·euses. Le couple ne s’en formalise pas et crée son activité, si bien que la matelot néophyte part à l’école, au Guilvinec, apprendre les rudiments du métier. 

La tante d’Ondine, Violette, 92 ans et des yeux bleus couleur d’opaline, s’en émeut : « Ondine, c’est un peu marche ou crève. Devenir patronne pêcheuse est la preuve d’un grand courage, d’une ténacité à toute épreuve. » Même constat chez ses collègues de l’office du tourisme d’Ouessant, Pauline et Inès, qui la voient aujourd’hui alterner ses visites de l’île, qu’elle a reprises – 25 % de son temps actuellement – et ses sorties en mer : « Elle a ce côté doux et passionné et, en même temps, elle navigue sur les bateaux dans les courants. On serait incapables de faire ce qu’elle fait. » 

Une journée dans la vie d’Ondine Morin ne ressemble donc à rien d’ordinaire. Le matin, quand la tempête ne bat pas les flots, elle part en mer. Une partie du butin amassé à la sueur du front des deux pêcheurs est stockée dans une chambre froide chez les parents d’Ondine, pour être envoyée sur le continent via la plateforme de pêche durable Poiscaille ou à des restaurateurs comme Julien Dumas, à la tête du restaurant gastronomique Saint-James, à Paris. Le chef, qui a « remarqué tout de suite qu’Ondine avait une force de caractère et qu’elle était investie », admire sa façon de traiter et de conserver le poisson. L’autre partie de la pêche est vendue par Ondine dans sa boutique ­étriquée du bourg.  

GOU5481
Ondine Morin © Vincent Gouriou pour Causette
Les bars se barrent

Les maquereaux encore brillants dans ses mains, pour le marché du matin, en témoignent. La pêcheuse sait aussi ce qu’ils valent : « En arrivant dans le milieu, j’ai vu combien il était archaïque. Souvent, c’est celui qui pêche qui gagne le moins, comparé à tous les intermédiaires. » Grâce à la vente directe, le couple fixe ses prix et peut vivre de son métier. Ce matin de novembre, une queue s’est formée devant leur stand. « Alors, la pêche est bonne en ce moment ? » s’enquièrent les acheteur·euses. Même si l’exercice la déstabilise un peu, du fait des commentaires des client·es qui en demandent toujours plus (de sortes de poissons, de quantités), la patronne – polaire, pantalon bleu marine et cache-oreilles – en profite pour vulgariser la pratique de la ligne. « Je ne ferais rien de bien si je ne sensibilisais pas, assure-t-elle. On ne peut plus tirer à boulets rouges quand le poisson est vulnérable. En mer d’Iroise, on comptait sept foyers de bars, on n’en a plus qu’un seul. » Avec Jean-Denis, Ondine a rejoint l’association Les Ligneurs de la pointe Bretagne, pour mettre en avant sa vision de cette activité et développer le marquage de leurs produits avec des étiquettes présentant leur méthode de pêche. Ken Kawahara, le secrétaire de l’asso, n’hésite pas à la qualifier de pionnière : « Ondine doit être l’unique femme à la tête d’un équipage dans l’asso. Parmi nos adhérents, c’est certainement celle qui s’expose le plus. Pas pour elle, mais pour défendre la petite pêche. »

L’îlienne a même eu l’occasion de prôner sa conception écologique lors d’un discours pour l’événement La France des solutions, en 2018, ainsi qu’au Salon de l’agriculture en 2019. « Ce milieu, c’est David contre Goliath, avec des labels qui récompensent les pires pratiques. Mais pour une fois, Goliath écoutait David », dit-elle en riant. Elle n’a décidément peur de rien.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.