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© Jeremy Bishop

Sandra Métayer (Coalition eau) : « L’eau est de plus en plus consi­dé­rée comme un pro­duit financier »

Lundi 22 mars, c’était la journée mondiale de l’eau. Sandra Métayer, coordinatrice de la Coalition Eau, qui regroupe 30 ONG françaises, détaille les grands enjeux d’une ressource aussi vitale que menacée. Interview.

Causette : Quel constat dressez-vous en matière d’accès à l’eau ?
Sandra Métayer : Le premier défi, c’est la possibilité d’obtenir l’eau potable pour un usage domestique et un bon assainissement. 2,2 milliards de gens dans le monde vivent sans eau bonne à boire et 4,2 milliards n’ont pas accès à une eau assainie correctement. Dans beaucoup de pays en développement, c’est aussi un véritable enjeu de santé publique car la consommation d’une eau mal traitée ou souillée par des matières fécales génère des maladies hydriques comme la diarrhée, parfois mortelle. Il y a aussi de grandes inégalités de genre qui découlent de ce problème d’accès à l’eau.

Causette : C’est-à-dire ?  Sandra Métayer : Sur les 230 millions de personnes qui passent plus d’une demi-heure par jour à aller s’approvisionner au puits ou à la borne du quartier, la plupart sont des femmes et des filles. Certaines passent trois ou quatre heures par jour pour aller chercher l’eau. (Selon une évaluation de l’Unicef datant de 2016, les filles et femmes consacrent 200 millions d’heures par jour à cette quête de l’eau, NDLR)

Causette : Le sujet est-il suffisamment pris au sérieux ?
Sandra Métayer : En 2010, l’ONU a reconnu l’accès à l’eau comme un droit humain fondamental. Les deux tiers des pays ont transposé cela dans leur législation nationale mais cette reconnaissance symbolique ne suffit plus. En 2015, l’ONU a fixé ses objectifs de développement durable pour l’horizon 2030 et l’accès universel à l’eau et à l'assainissement en fait partie. Mais pour atteindre ces objectifs, il faudrait quadrupler les efforts humains et financiers. Selon la Banque Mondiale, il conviendrait de dépenser 114 milliards d’euros par an jusqu’à 2030. Pour le moment, on en est très loin.

Causette : Quelle est la situation en France ?
Sandra Métayer : On estime qu’au moins 300 000 personnes n’ont pas d’accès physique permanent à l’eau, pas de robinet pour se laver les mains, notamment les personnes sans domicile fixe. L’autre enjeu, c’est le coût de cet accès. 1,2 million de Français paient une facture trop élevée et consacrent plus de 3% de leurs revenus à leur consommation d’eau. La situation varie fortement selon les régions mais la question du coût de l’eau est un vrai problème quand on se trouve en situation de précarité. L’enjeu de l'abordabilité financière de l’eau est crucial. La loi engagement et proximité de 2019 a permis l’adoption de la tarification sociale de l’eau dans les collectivités locales volontaires. Il faut absolument en faire la promotion auprès des villes.

Causette : Des partis de gauche dont la France Insoumise et des associations viennent de lancer une grande votation pour demander aux citoyen·nes d’inscrire le droit à l’eau dans la Constitution. Qu’en pensez-vous ?
Sandra Métayer : Notre rassemblement d’ONG n’a pas vocation à soutenir des initiatives politiques ou un parti en particulier. Pour le moment, la loi sur l’eau et le milieu aquatique de 2016 garantit un droit à l’eau potable pour tous mais ne mentionne pas le droit à l’assainissement. L’inscription dans la Constitution aurait une portée symbolique forte. Mais ce qu’il faut surtout, ce sont des mesures concrètes. La directive européenne sur l’eau potable adoptée en décembre dernier doit être transcrite en droit national. Nous portons plusieurs propositions. Nous souhaitons par exemple que des standards précis soient fixés dans les textes : la quantité minimale d’eau potable à laquelle les ménages doivent avoir accès - 40 litres - ainsi que la distance maximale à parcourir pour qu’un point d’eau soit jugé accessible. Pour nous, il ne peut pas être à moins de 200 mètres. Il faut aussi mieux identifier les personnes privées d’accès à l’eau et multiplier les fontaines et les toilettes publiques.

Causette : Dans un communiqué de presse publié le 15 mars, vous venez de dénoncer la « financiarisation de l’eau ». Qu’est ce que ça veut dire?
Sandra Métayer : Au mois de décembre, une société d'échange de produits dérivés financiers, CME Group, a créé un précédent en lançant des contrats à terme sur l’eau. Ça a lieu à la bourse de Chicago et ça concerne l’eau de l’Etat de Californie. Dans des pays comme l’Australie ou le Chili, il y a aussi des marchés financiers de l'eau. Ce n’est pas aux portes de l’Europe mais ça ouvre la voie à de la spéculation sur une ressource vitale et ça risque de renforcer les acteurs économiques puissants au détriment des populations et des écosystèmes. L’eau est de plus en plus considérée comme un produit financier. Pourtant, ce n’est pas une marchandise mais un bien commun et nous condamnons ce glissement très dangereux.

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