Dans un contexte où Emmanuel Macron vient de présenter un « plan eau » et où son ministre de l'Agriculture refuse d'interdire un pesticide responsable de la pollution des nappes phréatiques, l'Anses sonne l'alarme sur les métabolites du chlorothalonil, qu'elle vient de retrouver à profusion dans notre eau du robinet.
Son petit nom ? Chlorothalonil R471811. Les métabolites – c'est-à-dire des composants issus de sa dégradation – de ce pesticide sont présents en grandes quantités dans l'eau potable des Français·es, a annoncé jeudi 6 avril l'Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dans un communiqué.
Cette présence de dérivés de chlorothalonil R471811, pesticide interdit en France depuis 2019, a été détectée à l'occasion d'une des campagnes que le laboratoire hydrolique de l'Anses effectue régulièrement pour chercher dans l'eau destinée à la consommation humaine, et à échelle nationale, des « composés chimiques qui ne sont pas ou peu recherchés lors des contrôles réguliers ». C'est donc la première fois que l'Anses cherche – et trouve – des métabolites du chlorothalonil R471811, classé « pertinent » (c'est-à-dire faisant peser « un risque sanitaire pour les consommateurs ») par précaution depuis janvier 2022.
À ce stade, le chlorothalonil R471811 est considéré comme cancérigène probable par les autorités sanitaires européennes et des expériences en laboratoire ont mis en évidence son effet sur l'apparition de tumeurs rénales sur les animaux en laboratoire, détaille un article du Monde. Mais, ajoute le quotidien du soir, « aucun effet sanitaire du métabolite en question n’est avéré à ces doses d’exposition, mais les données sont très lacunaires ».
34% de notre eau au-delà des taux limites
L'étude de l'Anses, qui fait l'objet d'un épais rapport, montre en tout cas que le principe de précaution concernant ce métabolite n'est pas du tout respecté : alors que sa limite de qualité est fixée à 0,1 µg/litre, « il a retenu l’attention des scientifiques sur deux points particuliers », explique l'Agence. « D’une part, c’est le métabolite de pesticide le plus fréquemment retrouvé, dans plus d’un prélèvement sur deux, affirme-t-elle. D’autre part, il conduit à des dépassements de la limite de qualité dans plus d’un prélèvement sur trois. » 34% de l'eau distribuée en France n'est donc pas conforme à la règlementation selon les estimations de l'Anses, sans que l'on sache précisément pour l'heure combien de personnes cela touche au bout du robinet.
Mais, indique Le Monde qui a analysé en profondeur le rapport, « l’Anses atteste que de grandes zones densément peuplées sont touchées, comme par exemple l’ensemble du Bassin parisien, capitale incluse ». « Le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif), qui dessert 4 millions d’usagers, confirme que plus de 3 millions d’entre eux reçoivent une eau dont les teneurs en R471811 sont quatre à cinq fois supérieures au seuil réglementaire », poursuit le journal. Qui relève que dans certaines zones du Grand Ouest, ce seuil est surpassé jusqu'à six fois.
Borne mise au courant avant le lancement du « plan eau »
Dans son article, Le Monde ajoute un élément troublante : d'après ses informations, « le cabinet de la première ministre, Elisabeth Borne, a été mis au courant de la situation le 26 mars, quatre jours avant que le président de la République, Emmanuel Macron, ne présente son plan "eau" ». Sans que cela ait une quelconque répercussion sur les 53 mesures annoncées dans le plan, dont le but affiché est de réaliser 10 % d'économie d'eau dans tous les secteurs d'ici 2030.
Parmi les principales mesures de ce plan eau : une incitation pour l'industrie à appliquer des mesures de sobriété dans son utilisation ; une tarification progressive de l'eau ; la création d'un « EcoWatt bleu », sur le modèle de l'électricité ; le développement de la filière de recyclage des eaux usées ; 180 millions d'euros investis pour résorber les fuites, qui feraient perdre 20% de l'eau consommable selon les estimations ; ou encore le conditionnement de la création des méga-bassines à des « changements de pratiques significatifs » dans l'agriculture, au titre desquels l'utilisation des pesticides.
Cadeau aux agriculteur·rices
Problème : le même jour, le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, faisait de son côté un beau cadeau aux agriculteur·rices en annonçant vouloir maintenir en usage l'herbicide S‑métolachlore. « Je viens de demander à l’Anses une réévaluation de sa décision sur le S‑métolachlore, parce que cette décision n’est pas alignée sur le calendrier européen et qu’elle tombe sans alternatives crédibles », avait déclaré le Marc Fesneau, rapporte Le Monde, lors d'une prise de parole au congrès annuel de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), à Angers.
Pourtant, les métabolites du S‑métolachlore sont responsables d'une pollution à grande échelle des nappes phréatiques, selon une étude de l'Anses datées de l'automne 2021… Et demandée par le gouvernement lui-même. De fait, parce que ce pesticide est classé « pertinent » comme le chlorothalonil R471811, l'Anses avait lancé en février dernier une procédure d'interdiction le visant. Ce qui n'a pas du tout plu à la majorité présidentielle.
Le directeur général de l'Anses, Benoît Vallet, a dû se justifier auprès de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, convoqué par le député d’Eure-et-Loir Guillaume Kasbarian (Renaissance) mercredi 29 mars : il a mis en évidence que « les conclusions rendues le 28 février par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) allaient dans le sens de la décision française », écrit le journal. Mais le gouvernement préfère visiblement attendre de se voir contrainte et forcée par l'Union européenne d'abandonner le S‑métolachlore.