a person's hand is holding a green cup with water coming out of it
© Andres Siimon

Alerte sur la pré­sence dans l'eau potable de grandes quan­ti­tés de méta­bo­lites d'un pes­ti­cide inter­dit depuis 2019

Dans un contexte où Emmanuel Macron vient de pré­sen­ter un « plan eau » et où son ministre de l'Agriculture refuse d'interdire un pes­ti­cide res­pon­sable de la pol­lu­tion des nappes phréa­tiques, l'Anses sonne l'alarme sur les méta­bo­lites du chlo­ro­tha­lo­nil, qu'elle vient de retrou­ver à pro­fu­sion dans notre eau du robinet.

Son petit nom ? Chlorothalonil R471811. Les méta­bo­lites – c'est-à-dire des com­po­sants issus de sa dégra­da­tion – de ce pes­ti­cide sont pré­sents en grandes quan­ti­tés dans l'eau potable des Français·es, a annon­cé jeu­di 6 avril l'Agence natio­nale de la sécu­ri­té sani­taire de l’alimentation, de l’environnement et du tra­vail (Anses) dans un com­mu­ni­qué.

Cette pré­sence de déri­vés de chlo­ro­tha­lo­nil R471811, pes­ti­cide inter­dit en France depuis 2019, a été détec­tée à l'occasion d'une des cam­pagnes que le labo­ra­toire hydro­lique de l'Anses effec­tue régu­liè­re­ment pour cher­cher dans l'eau des­ti­née à la consom­ma­tion humaine, et à échelle natio­nale, des « com­po­sés chi­miques qui ne sont pas ou peu recher­chés lors des contrôles régu­liers ». C'est donc la pre­mière fois que l'Anses cherche – et trouve – des méta­bo­lites du chlo­ro­tha­lo­nil R471811, clas­sé « per­ti­nent » (c'est-à-dire fai­sant peser « un risque sani­taire pour les consom­ma­teurs ») par pré­cau­tion depuis jan­vier 2022. 

À ce stade, le chlo­ro­tha­lo­nil R471811 est consi­dé­ré comme can­cé­ri­gène pro­bable par les auto­ri­tés sani­taires euro­péennes et des expé­riences en labo­ra­toire ont mis en évi­dence son effet sur l'apparition de tumeurs rénales sur les ani­maux en labo­ra­toire, détaille un article du Monde. Mais, ajoute le quo­ti­dien du soir, « aucun effet sani­taire du méta­bo­lite en ques­tion n’est avé­ré à ces doses d’exposition, mais les don­nées sont très lacu­naires ».

34% de notre eau au-​delà des taux limites

L'étude de l'Anses, qui fait l'objet d'un épais rap­port, montre en tout cas que le prin­cipe de pré­cau­tion concer­nant ce méta­bo­lite n'est pas du tout res­pec­té : alors que sa limite de qua­li­té est fixée à 0,1 µg/​litre, « il a rete­nu l’attention des scien­ti­fiques sur deux points par­ti­cu­liers », explique l'Agence. « D’une part, c’est le méta­bo­lite de pes­ti­cide le plus fré­quem­ment retrou­vé, dans plus d’un pré­lè­ve­ment sur deux, affirme-​t-​elle. D’autre part, il conduit à des dépas­se­ments de la limite de qua­li­té dans plus d’un pré­lè­ve­ment sur trois. » 34% de l'eau dis­tri­buée en France n'est donc pas conforme à la règle­men­ta­tion selon les esti­ma­tions de l'Anses, sans que l'on sache pré­ci­sé­ment pour l'heure com­bien de per­sonnes cela touche au bout du robinet. 

Mais, indique Le Monde qui a ana­ly­sé en pro­fon­deur le rap­port, « l’Anses atteste que de grandes zones den­sé­ment peu­plées sont tou­chées, comme par exemple l’ensemble du Bassin pari­sien, capi­tale incluse ». « Le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif), qui des­sert 4 mil­lions d’usagers, confirme que plus de 3 mil­lions d’entre eux reçoivent une eau dont les teneurs en R471811 sont quatre à cinq fois supé­rieures au seuil régle­men­taire », pour­suit le jour­nal. Qui relève que dans cer­taines zones du Grand Ouest, ce seuil est sur­pas­sé jusqu'à six fois.

Borne mise au cou­rant avant le lan­ce­ment du « plan eau »

Dans son article, Le Monde ajoute un élé­ment trou­blante : d'après ses infor­ma­tions, « le cabi­net de la pre­mière ministre, Elisabeth Borne, a été mis au cou­rant de la situa­tion le 26 mars, quatre jours avant que le pré­sident de la République, Emmanuel Macron, ne pré­sente son plan "eau" ». Sans que cela ait une quel­conque réper­cus­sion sur les 53 mesures annon­cées dans le plan, dont le but affi­ché est de réa­li­ser 10 % d'économie d'eau dans tous les sec­teurs d'ici 2030.

Parmi les prin­ci­pales mesures de ce plan eau : une inci­ta­tion pour l'industrie à appli­quer des mesures de sobrié­té dans son uti­li­sa­tion ; une tari­fi­ca­tion pro­gres­sive de l'eau ; la créa­tion d'un « EcoWatt bleu », sur le modèle de l'électricité ; le déve­lop­pe­ment de la filière de recy­clage des eaux usées ; 180 mil­lions d'euros inves­tis pour résor­ber les fuites, qui feraient perdre 20% de l'eau consom­mable selon les esti­ma­tions ; ou encore le condi­tion­ne­ment de la créa­tion des méga-​bassines à des « chan­ge­ments de pra­tiques signi­fi­ca­tifs » dans l'agriculture, au titre des­quels l'utilisation des pesticides.

Cadeau aux agriculteur·rices

Problème : le même jour, le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, fai­sait de son côté un beau cadeau aux agriculteur·rices en annon­çant vou­loir main­te­nir en usage l'herbicide S‑métolachlore. « Je viens de deman­der à l’Anses une rééva­lua­tion de sa déci­sion sur le S‑métolachlore, parce que cette déci­sion n’est pas ali­gnée sur le calen­drier euro­péen et qu’elle tombe sans alter­na­tives cré­dibles », avait décla­ré le Marc Fesneau, rap­porte Le Monde, lors d'une prise de parole au congrès annuel de la Fédération natio­nale des syn­di­cats d’exploitants agri­coles (FNSEA), à Angers. 

Pourtant, les méta­bo­lites du S‑métolachlore sont res­pon­sables d'une pol­lu­tion à grande échelle des nappes phréa­tiques, selon une étude de l'Anses datées de l'automne 2021… Et deman­dée par le gou­ver­ne­ment lui-​même. De fait, parce que ce pes­ti­cide est clas­sé « per­ti­nent » comme le chlo­ro­tha­lo­nil R471811, l'Anses avait lan­cé en février der­nier une pro­cé­dure d'interdiction le visant. Ce qui n'a pas du tout plu à la majo­ri­té présidentielle.

Le direc­teur géné­ral de l'Anses, Benoît Vallet, a dû se jus­ti­fier auprès de la com­mis­sion des affaires éco­no­miques de l’Assemblée natio­nale, convo­qué par le dépu­té d’Eure-et-Loir Guillaume Kasbarian (Renaissance) mer­cre­di 29 mars : il a mis en évi­dence que « les conclu­sions ren­dues le 28 février par l’Autorité euro­péenne de sécu­ri­té des ali­ments (EFSA) allaient dans le sens de la déci­sion fran­çaise », écrit le jour­nal. Mais le gou­ver­ne­ment pré­fère visi­ble­ment attendre de se voir contrainte et for­cée par l'Union euro­péenne d'abandonner le S‑métolachlore.

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