109 ACTIVISME ECOLO © Pontus LUNDAHL TT News Agency AFP
Greta Thunberg, en réunion avec des militant·es et expert·es climatiques africain·es, le 31 janvier, à Stockholm (Suède). En haut de l’écran, à droite, Makenna Muigai, activiste kényane. En bas, de gauche à droite : Ndoni Mcunu, Vanessa Nakate et Ayakha Melithafa. © Pontus Lundahl/TTnews agency/AFP

Activisme éco­lo : stop à l’entre-soi occidental !

C’est l’histoire d’une acti­viste ougan­daise, cou­pée sur une pho­to lors du Forum éco­no­mique mon­dial, en jan­vier. Mais c’est sur­tout l’histoire d’une grande sur­di­té. Celle du monde occi­den­tal envers les éco­los du Sud, en par­ti­cu­lier d’Afrique, pour­tant premier·ères touché·es par la crise climatique. 

Deux semaines après sa par­ti­ci­pa­tion au Forum éco­no­mique mon­dial de Davos (Suisse), Google ne recon­nais­sait tou­jours pas son nom. Lorsque l’on tapait « Vanessa Nakate », le moteur de recherche nous enjoi­gnait à essayer « avec cette ortho­graphe » et pro­po­sait, à la place d’informations sur cette éco­lo­giste ougan­daise proche de Greta Thunberg, une quasi-​homonyme, avo­cate pari­sienne, spé­cia­liste du divorce. Amer rap­pel… Celui de l’invisibilisation des acti­vistes éco­los des pays du Sud, en par­ti­cu­lier d’Afrique, dans les débats sur la pla­nète. Vanessa Nakate venait pour­tant – iro­nique para­doxe – d’en deve­nir le sym­bole. La faute à une pho­to d’Associated Press, où elle figu­rait aux côtés de quatre autres mili­tantes, qui a été rognée. Seule dif­fé­rence avec ses consœurs : elle est noire.

La pra­tique a été dénon­cée en masse sur les réseaux sociaux. Avec elle, une ribam­belle de mes­sages appe­lant à réha­bi­li­ter le rôle, la voix de cette jeune femme et celles des éco­los non blancs et non occi­den­taux. Comme Elizabeth Wathuti, mili­tante éco­lo­giste kényane. Face à cette invi­si­bi­li­sa­tion, la jeune femme a des élé­ments d’explication. « L’enjeu du chan­ge­ment cli­ma­tique a été “occi­den­ta­li­sé”, nous expose-​t-​elle. Lorsqu’il est débat­tu au Nord, c’est sous l’angle du risque de crise éco­no­mique pour les pays riches. Ils ne réa­lisent pas que, pour nous, c’est un drame tan­gible en ce moment même. » 

Insécurité ali­men­taire

Sept des dix pays les plus vul­né­rables au chan­ge­ment cli­ma­tique sont en Afrique, selon la Banque afri­caine de déve­lop­pe­ment. « Au Kenya, illustre l’activiste, jan­vier est cen­sé être le mois le plus sec. Mais cette année, de ter­ribles inon­da­tions ont tout rava­gé. » Il y aurait eu, depuis le début des tem­pêtes en octobre 2019, au moins 130 morts et 20 000 déplacé·es, recense Al Jazeera. À l’échelle conti­nen­tale, le cli­mat est tel­le­ment affec­té, pour­suit Elizabeth Wathuti, que « les agri­cul­teurs ne savent plus quand lan­cer les plan­ta­tions, ce qui accroît l’insécurité ali­men­taire ». Lourd tri­but pour un conti­nent res­pon­sable de seule­ment 5 % des émis­sions de gaz à effet de serre, d’après les estimations.

Docteur en phi­lo­so­phie poli­tique, Malcom Ferdinand a reçu, en février, le prix du Livre de l’écologie poli­tique pour son essai Une éco­lo­gie déco­lo­niale (éd. du Seuil). Cette invi­si­bi­li­sa­tion « com­mence à être recon­nue, mais elle n’est pas pro­blé­ma­ti­sée, soutient-​il. Lorsque l’on prend en compte la voix des autres peuples, c’est sou­vent de manière dépo­li­ti­sée, pour célé­brer leur culture, mais jamais pour dire que la domi­na­tion de ces peuples – celle qui a été menée dans le cadre des empires colo­niaux euro­péens, dont la France – et qui passe aujourd’hui par la glo­ba­li­sa­tion, est consti­tu­tive de la crise envi­ron­ne­men­tale ». C’est là le cœur de l’écologie déco­lo­niale : mon­trer que les dégâts faits à la pla­nète sont indis­so­ciables de ceux faits aux vic­times par les pays dominants.

Pour par­ta­ger la lumière des pro­jec­teurs, Greta Thunberg a orga­ni­sé une confé­rence de presse avec quatre éco­los afri­caines, dans la fou­lée de Davos, à Stockholm (Suède). Ndoni Mcunu, doc­to­rante sud-​africaine en sciences envi­ron­ne­men­tales, est l’une d’entre elles. Contactée par Causette, elle ren­ché­rit : « Quand vous êtes vul­né­rables, on part du prin­cipe que vous n’avez pas les connais­sances pour vous gérer. » Les pou­voirs inter­na­tio­naux « partent donc du prin­cipe qu’en Afrique on ne sait pas. Et ils ne nous écoutent pas ». Raison pour laquelle elle a lan­cé l’ONG Black Women in Science (dont le but est de pro­mou­voir les femmes noires dans les sciences). « Il faut for­ger un récit éco­lo­giste afri­cain, argu­mente la scien­ti­fique. Pour mon­trer que nous avons des solu­tions. Et pour que les pre­mières per­sonnes que l’on a en tête lorsqu’il s’agit de chan­ge­ment cli­ma­tique soient celles qui le subissent vrai­ment, c’est-à-dire nos com­mu­nau­tés. » En par­ti­cu­lier, les femmes.

Lorsque l’on demande qui sont les noms incon­tour­nables en la matière, Elizabeth Wathuti et Malcom Ferdinand citent direc­te­ment le même : Wangari Maathai, bio­lo­giste kényane décé­dée en 2011. Elle est la pre­mière femme d’Afrique de l’Est à avoir obte­nu un doc­to­rat, elle a reçu le prix Nobel de la paix en 2004 et a fon­dé une ONG de femmes contre la défo­res­ta­tion. Elle inci­tait l’Afrique à « igno­rer le modèle » des pays occi­den­taux pour trou­ver des voies vertes de déve­lop­pe­ment. Ndoni Mcunu, elle, cite les Resilient 40, un groupe de qua­rante per­son­na­li­tés ­afri­caines unies pour le climat.

Renverser la perspective

« Beaucoup de pen­seurs, reprend Malcom Ferdinand, sans être spé­cia­listes de l’écologie, invitent à ren­ver­ser la pers­pec­tive. » Et de citer Vandana Shiva, éco­fé­mi­niste indienne, héroïne des luttes anti-​OGM, le révo­lu­tion­naire bur­ki­na­bé Thomas Sankara, ou même le poète ultra­ma­rin Aimé Césaire. 

Pour pour­suivre l’entreprise, Causette a dres­sé une petite liste, non exhaus­tive, allon­geable à l’envi. On vous invite donc à che­cker Leah Namugerwa, 15 ans à peine et l’une des vingt-​deux per­son­na­li­tés à suivre sur Twitter, d’après Amnesty International, pour ses actions péda­go­giques en Ouganda. Ayakha Melithafa, mili­tante sud-​africaine, elle aus­si invi­tée à Davos, outrée par la séche­resse et les pro­blèmes d’accès à l’eau. Ou encore Francia Márquez, mili­tante afro-​colombienne, visage de la lutte contre les mines d’or illé­gales, lau­réate du prix Goldman pour l’environnement en 2018 – qui n’a tou­jours pas de fiche Wikipédia en fran­çais… Mais aus­si Alfred Brownell, oppo­sant libé­rien aux plan­ta­tions pour la pro­duc­tion d’huile de palme, res­pon­sable de la défo­res­ta­tion dans son pays. Tewolde Berhan Gebre Egziabher, cher­cheur éthio­pien dont les tra­vaux sur les savoirs autoch­tones dans la pré­ser­va­tion de la bio­di­ver­si­té lui ont valu le Prix Nobel alter­na­tif. Ou enfin, Nina Gualinga, éco­fé­mi­niste suédo-​équatorienne et fière de ses ori­gines autoch­tones, enne­mie de l’industrie pétro­lière en Amazonie… Désormais, plus d’excuses.

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