113 la grande muraille verte ∏ REDUX REA
Salumata Diallo arrose les semis qui seront plantés dans une parcelle contribuant au projet de la Grande Muraille verte, à Koyly-Alpha, au Sénégal. © Jan Hahn / Redux / Rea

Une muraille verte au secours du Sahel

Lancé au Sahel depuis treize ans et soutenu par l’ONU, c’est l’un des projets écolos les plus ambitieux jamais entrepris. Pourtant, la Grande Muraille verte est méconnue. Le documentaire The Great Green Wall (avec Inna Modja !), au cinéma
à partir du 22 juin, sort enfin ce projet fou de son anonymat.

Voilà vingt-sept ans qu’El Hadji cultive la terre à Khaye Daga (Sénégal). « Ce que les champs donnent aujourd’hui est très différent de ce que l’on récoltait auparavant », déplore-t-il, embrumé par le nuage de sable qui s’envole lorsqu’il bêche le sol, tant il est sec. Alors, quand il bosse malgré tout, il fredonne un air hérité des ancêtres. Ça dit : « Courage, dignité, estime de soi. »

Cette scène est l’un des terribles tableaux de la désertification que donne à voir The Great Green Wall, présenté à la Mostra de Venise en 2019 et subventionné par l’ONU. Incarné par la musicienne malienne Inna Modja, que l’on voit sillonner le Sahel dans un van à la rencontre des populations locales pour parler écologie, il raconte ce pharaonique projet qui pourrait assurer le salut d’El Hadji et de nombre d’habitant·es de la région : la Grande Muraille verte. 

L’idée est inspirée de Thomas Sankara, révolutionnaire burkinabé, figure du panafricanisme dans les années 1980. Alors qu’il devient chef d’État du Burkina Faso en 1983, il sillonne le pays, incitant les communautés locales à cultiver leurs propres bosquets. L’idée est d’abord anti-impérialiste : il s’agit d’aider les citoyen·nes à gagner en autonomie, plutôt que dépendre des lois des marchés extérieurs, qui profitent de leurs ressources. Pour les engager sur cette voie, il envisage de semer une plantation reliant l’est et l’ouest du pays. Puis il fantasme carrément une ceinture végétale reliant les deux rives du continent, qu’il aimerait voir uni contre le monde occidental.

En 2005, lors d’une conférence entre États saharo-sahéliens, le président nigérian relance l’idée d’un mur végétal transnational, en y ajoutant une visée écologique. Il s’agirait de lutter contre la désertification en reboisant la zone sur une bande de 15 kilomètres de large. Son homologue sénégalais accroche. Il propose de l’appeler « la Grande Muraille verte ». En 2007, une flopée d’États africains vote l’initiative. Du Sénégal à Djibouti, elle engage aujourd’hui vingt États. Si on les reliait, la « muraille » mesurerait 8 000 kilomètres de long. L’Union africaine, l’ONU, la Banque mondiale et l’Union européenne ont rejoint le projet illico. Il est actuellement à 15 % de son avancée. 

Dix millions d’emplois verts

Pour autant, insiste Manon Albagnac, de l’ONG Cari, qui participe au développement de la Grande Muraille, « il ne faut pas en rester à l’image d’une forêt qui empêcherait le désert d’avancer. Dans les faits, ça ressemble plus à une mosaïque d’assos et d’autorités locales alliées pour créer de l’emploi vert et rendre les populations locales plus résilientes ». Alain Traoré, de Solidagro, une association burkinabée engagée sur le terrain, complète : « Ce ne sont pas que des projets de reforestation, l’idée est d’apprendre aux habitants à désencroûter la terre avec des techniques de fertilisation durable. » En tout, l’agence de la Grande Muraille a fixé un objectif de dix millions de jobs verts d’ici à 2030. Sans compter les retombées indirectes. 

Une grande partie de ces opportunités bénéficie, en particulier, aux femmes. Inna Modja, très investie sur le sujet, témoigne : « Sur place, les gens nourrissaient leurs bêtes avec des sacs de ciment mélangés à des écorces de baobabs, tellement les zones étaient sèches. Au fil du temps, j’ai vu des femmes retrouver un gagne-pain en travaillant dans les potagers géants qui ont été plantés. On les voit prendre une place, c’est réjouissant ! » Elles ont le statut d’« autoentrepreneuses », souligne Alain Traoré. Fatimata Kaba, de l’asso Enda Énergie, engagée sur le terrain, est formelle : « Sur la zone où l’on intervient, les métiers forestiers – concassage, production d’huile de baobab… – sont pris en charge par les femmes. Lorsque la Grande Muraille offre des formations, elles forment 99 % du public. » 

Cercle vertueux

L’un des points forts de la Grande Muraille verte est de prendre en compte ces réalités locales. Permettre aux plus touché·es par la crise climatique (et souvent les moins écouté·es) de faire entendre leurs besoins. Mais aussi, leurs solutions, « comme le zaï, illustre Camilla Nordheim-Larsen, du bureau désertification de l’ONU et membre de l’équipe du documentaire, une technique efficace de récolte d’eau ancestrale que la Grande Muraille a permis de réhabiliter ». Manon Albagnac, du Cari, ajoute : « On a pu organiser des rencontres entre les représentants étatiques de la Grande Muraille et des éleveurs nomades, un mode de pâturage hyper important dans la région. Le fait qu’ils bougent permet de cultiver les zones sèches à la saison des pluies, tout en apportant de la matière organique sur le chemin, ce qui favorise l’ensemencement. Sensibiliser les pouvoirs publics à ce sujet a permis d’assouplir la législation qui s’applique à eux. » 

La Grande Muraille verte pourrait même être une solution aux enjeux de sécurité du Sahel. Notamment par rapport à Boko Haram, qui surfe sur la pauvreté des habitant·es pour les enrôler de force. Ainsi qu’à la crise des réfugié·es. S’ils retrouvaient espoir de cultiver leur jardin, les 12 900 migrant·es risquant leur vie en mer chaque année ne prendraient pas le large. 

Si « au Sénégal, au Burkina Faso et en Éthiopie, le projet avance bien, comme le précise Camilla Nordheim-Larsen, de l’ONU, ailleurs, les problématiques sécuritaires posent problème ». Ce qu’il faudrait ? « Des investissements privés et plus d’engagements de la part des États membres. » Et Inna Modja, de ponctuer : « Continuer à s’informer pour gagner en compassion, en argumentaire et mettre la pression sur nos leaders. »

The Great Green Wall, de Jared P. Scott. En salles.

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