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© Capture d'écran du compte Instagram de la joueuse Delphine Cascarino

Mondial fémi­nin 2023 : l'absence de dif­fu­seur « est le résul­tat de deux cynismes » ana­lyse Hubert Artus, jour­na­liste spé­cia­liste du foot­ball féminin

Alors que la coupe du monde fémi­nine de foot­ball aura lieu du 20 juillet au 20 août 2023 en Australie et Nouvelle-​Zélande, aucune chaîne de télé­vi­sion fran­çaise n'a encore payé les droits de dif­fu­sion de la com­pé­ti­tion, en rai­son d'un conflit avec la Fifa sur les prix. Une situa­tion peu sur­pre­nante pour Hubert Artus, jour­na­liste spé­cia­liste de foot­ball fémi­nin et auteur du livre Girls Power : 150 ans de foot­ball au fémi­nin.

À moins de deux mois de la Coupe du Monde fémi­nine de foot­ball, la menace de l'écran noir plane tou­jours. Le 20 juillet pro­chain débute en Australie et en Nouvelle-​Zélande le mon­dial fémi­nin de foot­ball. Mais tan­dis que la com­pé­ti­tion se rap­proche à grands pas, la France n'a pour le moment aucun dif­fu­seur pour retrans­mettre cette com­pé­ti­tion dans l'Hexagone. En cause, un désac­cord finan­cier entre la Fifa et les chaînes de télé­vi­sion fran­çaises, qui ne sont pas prêtes à payer la somme deman­dée par l'organisme (entre 15 et 20 mil­lions d'euros). Début mai, le pré­sident de la Fifa, Gianni Infantino, a indi­qué que « les offres des dif­fu­seurs, prin­ci­pa­le­ment dans les cinq grands pays euro­péens, sont tou­jours très déce­vantes et tout sim­ple­ment inac­cep­tables. Nous avons l’obligation morale et juri­dique de ne pas sous-​estimer la valeur de la Coupe du monde fémi­nine ».

Les dif­fu­seurs poten­tiels, eux, cri­tiquent la « sur­va­lo­ri­sa­tion » des droits d’une édi­tion 2023 bien moins favo­rable que la pré­cé­dente, qui avait eu lieu en France en 2019. Plus tar­dive dans le calen­drier, elle tombe dans une période creuse en matière de publi­ci­té. À cela s’ajoute le déca­lage horaire (huit heures avec l’Australie et dix heures avec la Nouvelle-​Zélande), qui gêne les chaînes euro­péennes : les matchs des Bleues auront lieu à dix heures ou midi, heure de Paris. 

Face à cette polé­mique, Hervé Renard, sélec­tion­neur de l'équipe de France, s'est vou­lu ras­su­rant. Dans un entre­tien accor­dé à beIN Sports le 14 mai der­nier, il a expli­qué que cette situa­tion « n'est pas un pro­blème des dif­fu­seurs », mais « un pro­blème de la Fifa [qui] est trop deman­deuse au niveau des droits. » Selon le sélec­tion­neur, « un consen­sus va être trou­vé. C'est un peu le jeu du chat et de la sou­ris. J'espère que tout le monde va y mettre du sien » a‑t-​il ajou­téDans cette tour­mente où cha­cun se ren­voie la balle, Causette a inter­ro­gé Hubert Artus, jour­na­liste spé­cia­liste de foot­ball fémi­nin et auteur du livre Girls Power : 150 ans de foot­ball au fémi­nin aux édi­tions Calmann-​Levy, pour ana­ly­ser cette situa­tion de crise.

Causette : Pourquoi est-​ce qu'un accord finan­cier entre la Fifa et les dif­fu­seurs fran­çais est si com­pli­qué à trou­ver ?
Hubert Artus : C’est le résul­tat de deux cynismes. Celui de la Fifa, une orga­ni­sa­tion ven­deuse, face à celui des socié­tés de médias qui cherchent à ache­ter à moindre coût. Le cynisme fait par­tie de leur ADN puisqu’il va avec la notion de profit.

« Si les Bleues arrivent en quart et en demi-​finale, là, TF1 va être capable d’avancer des millions. »

Hubert Artus

Aujourd’hui, à qui est favo­rable le rap­port de force : la Fifa ou les dif­fu­seurs ? 
H. A. : Pour le moment, à per­sonne. On a d'un côté des socié­tés de télé­vi­sion qui n’ont pas ache­té, donc qui s'en tirent à moindre dépense, mais qui dans le fond, sont per­dantes puisque ces matchs vont être regar­dés dans tous les cas. Seulement, ça le sera sur les pla­te­formes de strea­ming. Et de l’autre côté, on a la Fifa qui n’a pas ven­du ses droits à la France, mais qui s’en fiche. Pour la Fifa, le foot­ball fémi­nin repré­sente beau­coup certes, mais pas autant que le foot­ball mas­cu­lin. L’enjeu pre­mier de la fédé­ra­tion de foot­ball, c’est qu’il y ait une coupe du monde tous les deux ans, donc c’est le foot­ball mas­cu­lin. Par ailleurs, l'équipe de France n'est pas la favo­rite pour gagner cette Coupe du Monde, com­pa­ré à l'Australie qui fait par­tie des 2–3 équipes favo­rites. Selon la Fifa, elle ne sus­ci­te­ra pas l'engouement des télé­spec­ta­teurs. Donc, pour la fédé­ra­tion inter­na­tio­nale, ça ne vaut pas le coup de bais­ser le prix de ses droits, sinon elle l'aurait fait. Mais en géné­rant cette situa­tion, les dif­fu­seurs et la Fifa semblent man­quer d'intelligence puisqu'ils ne sont pas capables d’avoir le cynisme d’éviter le strea­ming illégal.

Comment explique-​t-​on que la coupe du monde se déroule si tard dans l’été, du 20 juillet au 20 août ? 
H. A. : Ça fait trois ans que les com­pé­ti­tions spor­tives sont per­tur­bées à cause du Covid. L’Euro 2020 de foot mas­cu­lin a eu lieu en 2021. L’euro 2021 de foot fémi­nin a eu lieu en juillet der­nier. Tout a été déca­lé d’un an. Et la der­nière coupe du monde mas­cu­line a car­ré­ment chan­gé de sai­son. Donc il n'y a rien d'étonnant. Ce déca­lage tem­po­rel a été uti­li­sé dans les argu­ments des dif­fu­seurs pour refu­ser de mon­ter leurs offres, mais pour moi, c’est un argu­ment mineur qui n’est pas enten­dable. Au contraire, le fait que ce soit pen­dant les vacances, c’est bien pour le foot fémi­nin. Cela pour­rait per­mettre à des per­sonnes qui ne s’y inté­ressent pas vrai­ment de regarder. 

À lire aus­si I À deux mois du Mondial fémi­nin de foot, la France n’a tou­jours pas de dif­fu­seur télé

Est-​ce envi­sa­geable qu'aucun com­pro­mis ne soit trou­vé et que la com­pé­ti­tion ne soit pas retrans­mise en France ?
H. A. : C'est, à mon avis, ce qui va arri­ver pour le début de la com­pé­ti­tion. Pour moi, les dif­fu­seurs vont com­men­cer à faire bou­ger leurs offres si l'équipe de France passe au pre­mier tour. Parce qu'en plus du déca­lage horaire, du fait que la France ne soit pas l'équipe favo­rite, l'équipe de Bleues n'est pas tom­bée dans une poule très inté­res­sante, hor­mis le Brésil où ça devrait être un beau match. Mais si les Bleues arrivent en quart et en demi-​finale, là, TF1 va être capable d’avancer des millions.

La ministre des Sports, elle, a assu­ré sur France Inter qu’elle pre­nait « l’engagement qu’il y aura bien une retrans­mis­sion »…
H. A. : Elle n’a fait que dire ce que tout ministre doit dire. Mais moi, je n’attends pas d’un ministre qu’il prenne des enga­ge­ments, ce que je sou­haite, c’est qu’elle tienne son enga­ge­ment. Qu’elle fasse en sorte que son minis­tère donne des sub­ven­tions aux dif­fu­seurs qui fini­ront alors par ache­ter les droits à la Fifa par exemple.

Quel rôle joue la ministre des Sports dans les négo­cia­tions ?
H. A. : Elle ne peut rien faire. Il y a une fédé­ra­tion inter­na­tio­nale de foot face à des dif­fu­seurs qui sont pra­ti­que­ment tous des socié­tés pri­vés. Et comme tous les poli­ti­ciens, la ministre ne peut pas faire grand-​chose face à ce qu’on appelle le capi­ta­lisme. Seuls les faits et les actes comptent. Ce qu’elle pour­rait faire, c’est deman­der au pré­sident de la Fédération fran­çaise de foot de por­ter une cer­taine voix, car la Fédération fran­çaise de foot est un des mul­tiples membres de la Fifa comme la France est un des mul­tiples membres de l’ONU. 

« Il faut vrai­ment voir les choix actuels comme une consé­quence de l'inertie des pou­voirs spor­tifs et politiques. »

Hubert Artus

Est-​ce que cette situa­tion cri­tique, à moins de deux mois du mon­dial, montre que mal­gré des amé­lio­ra­tions ces der­nières années, on est encore très loin de prendre en consi­dé­ra­tion le foot fémi­nin en France ? 
H. A. : Cette situa­tion est sur­tout due à un manque de pro­fes­sion­na­li­sa­tion des foot­bal­leuses. Aujourd'hui, les joueuses fran­çaises ont ce qu'on appelle des contrats fédé­raux : elles sont payées par la fédé­ra­tion et non les clubs. Et ce n’est pas de la faute de la socié­té, là pour le coup, c’est plu­tôt la faute des pratiquant·es, des res­pon­sables et de la poli­tique. À mon sens, c’est là que la ministre doit agir. Elle devrait for­cer la fédé­ra­tion fran­çaise de foot à pro­fes­sion­na­li­ser les joueuses. Payer quelqu'un pour ce qu'il fait, c'est avoir de la consi­dé­ra­tion. Et quand on paye quelqu'un, on l'embauche, ça s'appelle être pro­fes­sion­nel. Donc effec­ti­ve­ment, il y encore de la consi­dé­ra­tion à prendre pour la pra­tique fémi­nine de foot de la part des ins­tances du foot­ball fran­çais et du gouvernement. 

Comment serait vécue l’absence de dif­fu­sion du mon­dial fémi­nin ?
H. A. : Ce serait un recul, mais ceci dit, on ne peut pas dire qu’il y avait eu un déclic spé­ci­fique. Depuis 2019 et l'accueil du Mondial en France, il n’y a pas d’essor du foot fémi­nin dans notre pays. Le nombre de licen­ciées n’a pas beau­coup aug­men­té entre 2019 et main­te­nant. Si on a eu l’impression qu’il y a eu un essor du foot fémi­nin, c’est parce que l’équipe de France était très forte à cette époque et qu'elle jouait en France. Pour que le foot fémi­nin ait une véri­table estime, il fau­drait que les Champions Leagues et les Coupes du Monde mas­cu­lines et fémi­nines aient lieu exac­te­ment au même moment et au même endroit. Exactement comme cela se fait pour les Jeux Olympiques. À ce moment alors, on aura l’égalité et les médias se bous­cu­le­ront pour dif­fu­ser les droits télé. Il faut vrai­ment voir les choix actuels comme une consé­quence de l'inertie des pou­voirs spor­tifs et politiques. 

À lire aus­si I Football : la Coupe du monde fémi­nine n’a tou­jours pas de dif­fu­seur en France

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