La jeune femme publie À vos cycles ! Le guide du vélo au féminin*. Elle s’apprête à entamer un tour de France sur son vélo cargo, à la rencontre d’autres femmes qui, comme elles, ont fait de la petite reine un outil d’émancipation et de plaisir.
La première semaine de mai s’annonce chargée pour Louise Roussel. Jeudi 6 mai, la trentenaire qui vit à Lille publie son premier livre intitulé À vos cycles ! Dans cet ouvrage, qui mêle portraits de femmes cyclistes, fiches pratiques et propositions de parcours, elle montre comment le vélo de ville, de route ou de longue distance n’a rien d’un truc de mecs. Au fil des 208 pages, elle raconte comment il est, au contraire, un outil de liberté et d’égalité dont les femmes peuvent s’emparer. Deux jours plus tard, le samedi 8 mai, elle passera de la théorie à la pratique et enfourchera son vélo cargo. Habituée des voyages en cuissard – elle a notamment rallié Amsterdam et Budapest depuis Lille –, elle reprendra la route, chargée de sa tente, de quelques outils et de vivres ainsi que d’exemplaires de son ouvrage. Le circuit part de Lille et fait le tour de la France en deux mois. « Je ne pars pas seule, corrige Louise, jointe en pleins préparatifs. Je serai avec ma copine, Océane, qui a relu les épreuves du livre, vit ce projet depuis ses débuts avec moi et quitte, elle aussi, son boulot. Nous partons à la rencontre des femmes présentées dans le guide pour réaliser un documentaire. »
Road trip engagé
Tourner un film, avec l’aide d’une professionnelle, n’était pas prévu au départ. Le projet a vu le jour et pris de l’ampleur au gré des contacts noués par Louise lors de la rédaction du livre. Quelques sponsors comme le fabricant de sports Decathlon, le site Komoot ou la fondation AJI, qui promeut le sport au féminin, ont participé financièrement, permettant à Louise et Océane de mener leur aventure sans trop d’angoisses matérielles. Louise sait déjà qu’elle va retrouver sur la route de « vieilles cyclotes », des pionnières du cyclotourisme, mais aussi des jeunes femmes qui animent des ateliers de réparation de vélos non mixtes et des sportives de haut niveau comme l’Américaine Lael Wilcox qui pratique l’ultradistance (ultradistance = 15 000 kilomètres en trois mois, oui, oui). Des portraits de femmes passionnées « qui s’engagent, qui roulent, bricolent, se dépassent et nous inspirent », détaille Louise. Si la situation sanitaire le permet, des rencontres dans des librairies sont aussi prévues dans six villes étapes (Lille, Paris, Nevers, Lyon, Montpellier, Toulouse et Bordeaux). Le documentaire devrait être visible « gratuitement sur Internet » l’an prochain.
« Grâce au vélo, je sais que je suis capable de tout faire »
Louise Roussel
Au fil des années, la bicyclette a pris une place de plus en plus importante dans la vie de la jeune femme. Tout a commencé il y a six ans, un peu par hasard. « Mon premier départ est dû à un chagrin d’amour, raconte-t-elle. La copine de mon frère venait de le quitter, il avait besoin de se changer les idées et m’a proposé de partir avec lui. Comme on n’avait pas d’argent, on a opté pour le vélo. » Elle récupère un vieux modèle qui appartenait à sa mère et se lance, la fleur au fusil, en direction d’Amsterdam. Quelques embûches et pas mal de kilomètres plus tard, elle comprend que ce moyen de locomotion va lui apporter bien plus qu’elle ne l’imaginait. Elle en fera d’ailleurs son métier puisqu’avant de démissionner pour partir en autonomie, elle était responsable de communication pour une marque de vélo.
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À son échelle, elle tente de battre en brèche les idées reçues qui collent au maillot des cyclistes. « Il y a une forme d’autocensure inculquée très tôt, se désole-t-elle. Je connais des mecs qui se lancent dans des voyages délirants avec des centaines de kilomètres et personne ne remet jamais en doute le fait qu’ils puissent y arriver. Par contre, quand c’est une femme, on se pose des questions sur son endurance ou sa force physique. » Mais Louise tente de s’en foutre et de tracer sa route, sans rien lâcher niveau cuisses et niveau mental. « Quand j’ai commencé à faire des voyages à vélo, c’était un moyen de m’évader, de faire le vide, se souvient Louise. Ça m’a surtout appris que je suis capable de tout faire, que je peux avoir confiance en moi. Quand on part seule et qu’on se rend compte que la grande majorité des gens sont gentils, qu’une femme peut se déplacer sans problème, c’est une belle victoire. » Au début de son livre, Louise rappelle la phrase de la suffragette américaine Susan B. Anthony pour qui « la bicyclette a fait plus pour l’émancipation des femmes que n’importe quelle chose au monde ».
La bicyclette, outil de libération
La citation de Susan B. Anthony prend tout son sens à la lecture du portrait de la cycliste afghane Masomah Ali Zada que Louise dresse dans son livre et vue dans le reportage d’Arte Les Petites Reines de Kaboul. La jeune athlète désormais réfugiée en France est d’ailleurs sur le point de participer aux JO de Tokyo. « Le vélo a vraiment joué un rôle historique de libération des femmes, poursuit Louise. Moi, j’apprécie la gratuité et la simplicité du mouvement et ça me paraît naturel et évident de rouler, mais dans certaines régions du monde comme en Afghanistan, par exemple, c’est considéré comme un péché pour les femmes. Quand Masomah pédale, elle lutte vraiment pour ses droits. »
Pour Louise Roussel, le vélo est un outil politique et militant. En 2018, elle a créé l’association « Vai ma poule » qui permet à des demandeur·euses d’asile et à des réfugié⋅es de la région lilloise de prendre part à des bivouacs et à des randonnées à vélo. Une façon de créer des liens et de redonner un peu de plaisir et d’évasion à des personnes en grande difficulté. Elle devrait d’ailleurs poursuivre dans cette voie altruiste et sportive dans sa prochaine vie, celle qui commence au mois de mai. « Une fois le tour terminé, on pense continuer à pédaler jusqu’à la fin de l’année et se poser ensuite », raconte-t-elle. C’est encore balbutiant, mais la jeune femme nourrit également le projet d’ouvrir, l’an prochain, avec Océane, un lieu dédié au vélo en Bretagne. Elle s’y voit déjà. « Ce sera au bord de la mer, décrit-elle. On l’envisage comme un espace accessible aux personnes les moins familières avec le vélo, qui n’ont pas facilement accès au sport et à la micro-aventure, celles qui souffrent de troubles mentaux ou qui sont dans une grande précarité. » Le voyage de Louise ne fait que commencer.
* Sortie le 6 mai. Éd. Tana, 208 pages.