queen a man
©Juliette Pavy pour Causette

Queen-​A-​Man : they will rock you

Mise à jour du 10/​05/​22 : Après un été 2021 endia­blé, les Queen-​A-​Man don­ne­ront cin­quante dates dans toute la France de mai à sep­tembre. Pour ne pas les lou­per c'est par ici.

En novembre pro­chain, voi­là trente ans que Freddie Mercury aura dis­pa­ru. Depuis presque un an, à Guémené-​Penfao (Loire-​Atlantique), un groupe d’hommes pré-​quinquas, les Queen-​A-​Man, menés par une capi­taine déjan­tée, pré­pare en son hon­neur un show de majo­rettes, qu’ils joue­ront cet été dans les rues fran­çaises sur la musique de Queen. Reportage pen­dant leur entraînement.

Boum, boum, clap. Boum, boum, clap. Il faut entendre l’intro du plus connu des titres de Queen, puis les ima­gi­ner mettre leurs lunettes Aviator, gomi­na dans leurs che­veux gri­son­nants, jambes ­écar­tées en jean mou­lant et débar­deur blanc avant de bran­dir leurs bâtons de twir­ling *. Boum, boum, clap. « Buddy, you’re a boy, make a big noise, playing in the street… » Moustaches droites, cein­tures clou­tées, bra­ce­lets en cuir autour du biceps, ils répondent aux coups de ­sif­flet de leur capi­taine, Cécile Le Guern, une femme plus jeune qu’eux et qui les dépasse qua­si tous d’une tête. « …You got mud on your face, you big dis­grace… » C’est entre ZZ Top et une bande de pom-​pom girls. « We will, we will rock you ! » Voici les Queen-​A-​Man. Une troupe de sept majo­rettes hommes, qua­dras et ­quin­quas, et leur capi­taine fémi­nine qui font des cabrioles vêtus en Farrokh Bulsara, alias Freddie Mercury. Ils s’apprêtent à jouer leur spec­tacle dans les rues de plu­sieurs villes fran­çaises cet été, pour lui rendre hom­mage trente ans après sa mort, le 24 novembre 1991.

Le délire vient d’une insom­nie. Dans son lit, Cécile Le Guern rêve d’un show dans lequel elle est « une femme qui se déguise en homme qui se déguise en femme ». On est en 2018, l’année de sor­tie du bio­pic Bohemian Rhapsody. Elle regarde Cyrille, son mec, qui dort. C’est lui qui lui a fait décou­vrir Queen (il avait le best-​of dans sa voi­ture). Comme elle, qui a un bac+2 clown, il est dans le spec­tacle (le cirque, plus pré­ci­sé­ment). Avant de le ren­con­trer, elle trou­vait que « Freddie en fai­sait des caisses » et que l’opéra rock, c’était « rin­gard au pos­sible ». Maintenant, elle kiffe. 2018, c’est aus­si la sor­tie du Grand Bain, film sur un groupe d’hommes qui font de la nata­tion syn­chro­ni­sée, dont Philippe Katerine et Mathieu Amalric, entraî­nés par Virginie Efira et Leïla Bekhti. Dans l’esprit de Cécile, le gloubi-​boulga burlesque-​hommes-​Queen-​spectacle-​féminin « opère ». Elle trouve le nom par­fait : Queen-​A-​Man (il faut entendre kouign-​amann), en réfé­rence à ses ori­gines bre­tonnes. Elle se lance au début du pre­mier confi­ne­ment, avec Cyrille. Elle passe un coup de fil à six copains du coin, eux aus­si dans la comé­die, et voi­là. « C’est couillu, t’as pas peur », s’est dit Olivier, ou « Smoul », clown en hôpi­tal. Il accepte tout de suite, pour le fun. Comme Denis, l’acrobate de la bande ; Mario, le doyen, cir­cas­sien lui aus­si ; Anthony (dit « Tot »), mime, clown et comé­dien ; François (« Frantz »), prof de cirque et ensei­gnant ; et Samuel (« Sam »), ancien gym­naste, échas­sier et marionnettiste.

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Denis Fayon per­ché sur les épaules de ses cama­rades, eux aus­si dans les métiers du cirque. ©Juliette Pavy pour Causette 
« Bosser le bâton »

C’est lors de leur pre­mière répet dans une vieille église « sans chauf­fage » qu’ils com­prennent le sérieux de l’entreprise. Pour la pre­mière fois, ils y sont coa­chés par Éric Martin, cho­ré­graphe spé­cia­liste de la majo­rette, venu de Paris jusque dans la cam­pagne nan­taise pour leur faire « bos­ser le bâton ». C’est du sérieux. Le type a concoc­té la danse d’ouverture des Jeux olym­piques d’hiver à Albertville (Savoie) en 1992, par­ti­ci­pé à un spec­tacle sur David Bowie pour la Philharmonie et inven­té les danses d’Aline, le film sur Céline Dion de Valérie Lemercier. Les gars res­sortent cla­qués de l’échauffement et prennent la mesure du pro­jet. Depuis, ils s’y entraînent chaque semaine. Frantz a négo­cié une salle avec la mai­rie de sa com­mune, Guémené-​Penfao (Loire-​Atlantique). En plus du rendez-​vous heb­do, ils y ont répé­té cinq semaines entières (une tous les mois et demi envi­ron) avec Éric Martin. Les voi­là prêts.

On assiste à leur pre­mière répet inté­grale en exté­rieur. Le « filage », dit-​on dans le jar­gon artis­tique. Le show débute par le mor­ceau Fat Bottomed Girls. Puis « on balance de la zik’ pen­dant quarante-​cinq minutes », s’emballe Cécile. On enchaîne sur Radio Ga Ga, dont le rythme caden­cé se prête bien aux parades mili­taires des majo­rettes. À chaque note de syn­thé style années 1980, ils pointent leur bâton vers le ciel. Le son sort d’un petit véhi­cule jaune pétant bri­co­lé par des potes dans la fer­ron­ne­rie, auquel sont accro­chées deux méga enceintes, le tout orné d’une mous­tache de Freddie, de grosses lunettes de soleil et d’une cou­ronne. Au bout de chaque pic de la cou­ronne, « on va mettre des boules de verre pour que le soleil s’y reflète », pré­cise Cyrille. 

En ce jour d’entraînement, ils testent pour la pre­mière fois leurs « capettes ». Elles sont elles aus­si jaune fluo et bleu roi (ou reine, plu­tôt). Les petits gar­çons de 50 ans sont comme des fous. À la pause, Tot court à toute vitesse pour voir s’il s’envole comme Superman. Cyrille y arrive presque sur Killer Queen lorsqu’il fait des sauts de dan­seuse effa­rou­chée, au jeté si haut qu’il ferait pâlir les petits rats de l’Opéra. 

Freddie-​la-​queen et Freddie‑l’homme

À la mi-​spectacle, le ton change. Freddie-​la-​queen, incar­né par Cécile qui salue le public façon Marie-​Antoinette, se trans­forme en Freddie‑l’homme, incar­né par Olivier. Les bâtons de majo­rettes – qui se sont faits tan­tôt sceptres, tan­tôt sabres de com­bat, pia­no, aspi­ra­teur (comme dans le clip I Want to Break Free), flèches, gui­tares, flamme olym­pique… – deviennent un cadre télé, d’où Olivier cite une vieille inter­view de Freddie. « Je ne fais qu’être moi-​même. Si je suis heu­reux, ça se sent dans mon tra­vail », dit-​il en anglais, repre­nant les mots du maître. 

Le moment est « majes­tueux » et « émou­vant », lâche Mario, le doyen, à la pause. Bohemian Rhapsody ne vient pas long­temps après. « Regardez les anges ! » hurle Éric, le cho­ré­graphe, pour faire venir l’émotion solen­nelle. Freddie-​Olivier est por­té par ses coéqui­piers comme une rock star. Ou comme un corps dans un cer­cueil, les pieds devant. L’émotion monte. À ce moment-​là, Tot « se recon­necte au ciel ». Il res­sasse ses sou­ve­nirs de gamin écou­tant Queen et se dit « C’est pour toi ». On ne sait pas s’il parle de lui-​même enfant ou de Freddie. 

Nostalgie insoup­çon­née

C’est que les Queen-​A-​Man ont vécu Queen. Tout ça, « c’est pas du bur­lesque », pré­vient François. « Il y en a qui sont clowns en hôpi­tal, on sait faire des mimiques, des expres­sions très drôles, mais c’est pas le but ici. Il [Freddie] pour­rait être notre père. » Sam trouve dans le show une « nos­tal­gie » qu’il n’avait pas soup­çon­née. Denis l’appuie. « On porte nos vies avec nous. » Des vies faites de boums de col­lège et ber­cées par Freddie, se rap­pelle François. « C’était une autre expé­rience de la musique, pré­cise Éric Martin, on ache­tait des disques, c’était phy­sique, céré­mo­nial. On se don­nait rendez-​vous pour écou­ter les albums entre amis. » Pendant la pause clope, Cyrille ima­gine ce que serait Freddie aujourd’hui. « Sûrement qu’il met­trait des leg­gings. » 

Leurs yeux d’amoureux·ses du spec­tacle brillent devant le « show­man excen­trique » qu’il était, son « auto­dé­ri­sion » en scène, qua­si clow­nesque. Un exemple pour les artistes qu’ils sont. Mais c’était aus­si un gars comme eux. Cécile ne veut pas oublier que « c’était quelqu’un de com­plexé » à cause de ses dents. Elle qui a « dix ans d’orthodontie der­rière elle » s’y iden­ti­fie. « J’ai aus­si l’image de lui dans son fau­teuil, affai­bli par la mala­die, le sida, ajoute Olivier. Il a per­mis de visua­li­ser la soli­tude dans l’hécatombe, qu’on a décou­verte à l’époque. »

« Au début, il ne se pré­sen­tait pas ouver­te­ment comme gay », sou­ligne Cécile. Ce n’est donc pas le pro­pos de fond des Queen-​A-​Man, même s’ils sou­tiennent la cause LGBTQI+ à 100 %, en tant qu’allié·es. Freddie était d’abord une rock star qui disait : « J’en ai rien à foutre, je m’habille en femme, je fais ce que je veux et je vous emmerde, résume Éric, un punk, quoi. » Les Queen-​A-​Man se retrouvent dans sa fronde. Leur mes­sage, « dire que ça peut être nor­mal de faire ça : des hommes qui dansent joyeu­se­ment à 40–50 ans », déclare Denis. La plu­part avoue avoir rêvé être majo­rette aux côtés de leurs sœurs ou cou­sines dans les années 1970–1980. Mais « au col­lège, on l’aurait pas fait, regrette Tot. On se rat­trape trente-​cinq ans après ». 

Objectif Hellfest 2022

Les Queen-​A-​Man ont appris l’histoire de la dis­ci­pline. « En plus des trente ans de la mort de Freddie, on célèbre les soixante-​dix ans de la majo­rette », fan­fa­ronne Cyrille (le pre­mier cham­pion­nat de majo­rettes a eu lieu en 1951 aux États-​Unis). Fiers, ils assument face aux « quo­li­bets sur le par­king de l’école », témoigne Olivier, qui s’est pris des petits « C’est toi la majo­rette ? » en allant cher­cher ses enfants. « On fait un peu un pied de nez aux foo­teux, jubile de son côté Cécile. C’est un milieu très tes­to­sté­ro­né qui s’est appro­prié We Are the Champions. Ça leur fait la nique ! » 

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François Pacory dit « Tot » entre dans son per­son­nage. ©Juliette Pavy pour Causette

Cet hom­mage comble aus­si un vide, estiment les Queen-​A-​Man. Il y a certes la per­for­mance de Rami Malek dans le film de 2018. Mais Freddie y est un peu pré­sen­té « comme une teigne, regrette Cyrille. On dirait que chaque dis­sen­sion dans le groupe ne vient que de lui », abonde Cécile. Les Queen-​A-​Man pré­fèrent se rap­pe­ler que c’est lui qui a ren­du l’opéra acces­sible à tous et toutes à tra­vers le rock, rap­pelle Éric Martin. Aucun équi­valent à ses mythiques « héééé hooo » repris par la foule au concert de Wembley contre le sida en 1986. Quand les Queen-​A-​Man incarnent ce moment dans leur show, Éric leur crie : « Pensez à Freddie ! Il donne tout à son public ! » C’est tout le sens de « jouer dans la rue », insiste Frantz. Et de jouer « local », com­plète Tot. 

Le rêve des Queen-​A-​Man est de se pro­duire au Hellfest en 2022. Et sur la grande scène, s’il vous plaît ! L’hommage en serait d’autant plus gran­diose. « Ça a du sens, ajoute Mario, puisque c’est du local, du made in 44 [à Clisson, en Loire-​Atlantique, ndlr]. » Il y a des « copains » qui y bossent, ça doit pou­voir se négo­cier… Cécile a déjà écrit à l’administration. L’héritage de Queen aurait-​il sa place au milieu des stars du metal, du hard rock ? « Replongez-​vous dans sa dis­co­gra­phie, réplique la capi­taine, à ses débuts, on dirait du Kiss ! » 

Cette aspi­ra­tion a ins­pi­ré un réa­li­sa­teur, François Guillement, qui suit la troupe jusqu’à l’accession rêvée au Graal pour en faire un docu­men­taire. Pour l’instant, on s’organise comme on peut pour dor­mir dans les camping-​cars ou camion­nettes des uns, ou chez les copains bre­tons des autres pour la pro­chaine répé­ti­tion près de Rennes. Dans Le Grand Bain, les deux femmes capi­taines et leurs sept ath­lètes vont au cham­pion­nat du monde de nata­tion syn­chro mas­cu­line dans une vieille cara­vane. Et reviennent victorieux·ses. 

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