Académie des futurs lea­ders : des militant·es à l'école du pouvoir

Le 4 jan­vier, l’Académie des futurs lea­ders a fait sa ren­trée. Treize participant·es, six mois de cours et un objec­tif : révo­lu­tion­ner la poli­tique. Plongée dans cette école d’un nou­veau genre, qui ambi­tionne de faire des acti­vistes d’aujourd’hui les élu·es pro­gres­sistes de demain. 

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Alice Barbe, cofon­da­trice de l'Académie
© Corentin Folhen /​Divergence pour Causette

« Je n’ai pas envie de quelque chose comme Sciences Po. Nous ne venons pas des mêmes uni­vers et ce qui va être beau, c’est ce qu’on fera ensemble. C’est ça la pro­messe de l’Académie. » Dans une salle de classe de l’antenne pari­sienne de l’université amé­ri­caine de Columbia, Alice Barbe pro­nonce son dis­cours de ren­trée. À 34 ans, la cofon­da­trice de l’association d’aide aux migrant·es Singa et fon­da­trice de l’Académie des futurs lea­ders (AFL) n’a pas fran­che­ment une allure pro­fes­so­rale. Ici, per­sonne ne fait l’appel, mais tout le monde se présente. 

Entre par­ti­ci­pa­tion à des actions de déso­béis­sance civile et mobi­li­sa­tions en tout genre, les treize élèves ont plus des pro­fils de rebelles que de premier·ères de la classe. Dans cette pre­mière pro­mo, se trouvent Priscillia Ludosky, visage connu du mou­ve­ment des Gilets jaunes, Ophélie Latil, qui a fait ses armes au sein des col­lec­tifs Génération pré­caire et Jeudi noir avant de cofon­der Georgette Sand, Clélia Compas, fon­da­trice d’une asso­cia­tion d’aide aux per­sonnes réfu­giées en Haute-​Savoie, le Bordelais Ismaël Le Mouël, poly­tech­ni­cien à l’origine de la start-​up HelloAsso, ou Kevin Vacher, qui a fait de la lutte contre le mal-​logement son com­bat à Marseille. Des acti­vistes venu·es de toute la France, dont la diver­si­té tranche avec le monde poli­tique actuel. C’est tout l’enjeu du pro­jet. Parmi elles et eux, le pro­fil de Stéphane Ravacley, 50 ans, détonne. Boulanger à Besançon, il ne maî­trise pas le voca­bu­laire mili­tant que ses cama­rades manient avec aisance. Médiatisé quand, début 2021, il fait une grève de la faim pour évi­ter l’expulsion d’un de ses employé·es, il crée dans la fou­lée le mou­ve­ment Patrons soli­daires pour accom­pa­gner les chef·fes d’entreprise confronté·es à la même situa­tion. Comme les autres, il a reçu un email le 15 novembre 2021 l’informant qu’il avait été « nomi­né » par un proche pour rejoindre l’Académie des futurs lea­ders, le tout accom­pa­gné d’un ques­tion­naire pour confir­mer son intérêt. 

Comme Stéphane, 321 per­sonnes ont reçu ce mail ; 158 ont rem­pli le ques­tion­naire. Après une pré­sé­lec­tion visant à véri­fier que les candidat·es répon­daient bien aux cri­tères (être engagé·e, prô­ner des idées pro­gres­sistes et, sur­tout, avoir un pro­jet poli­tique), les fina­listes sont passé·es devant un jury com­po­sé de per­son­na­li­tés comme Najat Vallaud-​Belkacem et Cécile Duflot. Au final : quinze ont été élu·es (deux ont renon­cé depuis).

Derrière cette ini­tia­tive, Alice Barbe, ancienne lau­réate d’une bourse de la fon­da­tion Obama, est à la manœuvre. Pour cette acti­viste issue d’une famille engluée dans l’idéologie d’extrême droite, l’Académie n’est qu’une pierre de plus dans la bar­ri­cade qu’elle s’efforce de bâtir contre les idées réac­tion­naires. « Ça fait vingt ans que nous sommes en crise et ceux qui sont cen­sés y mettre fin ne le font pas. C’est lié à plein de choses : un manque de cou­rage, d’ambition, de capa­ci­té à mobi­li­ser, une décon­nexion… Le camp pro­gres­siste est com­plè­te­ment désem­pa­ré, alors qu’en face les mou­ve­ments d’extrême droite sont hyper bien orga­ni­sés », martèle-t-elle. 

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Ophélie Latil © Corentin Folhen /​Divergence pour Causette
À l’américaine

Pour résoudre la crise de la gauche, elle a donc entre­pris de déni­cher et de for­mer les poli­tiques de demain. À la manière des orga­ni­sa­tions amé­ri­caines comme Justice Democrats ou Run For Something, qui ont réus­si à faire élire des per­son­na­li­tés jusque-​là incon­nues, elle veut faire émer­ger des per­sonnes d’origines diverses, éloi­gnées du sérail poli­tique. Cofondateur du pro­jet, Michka Bengio, res­tau­ra­teur ins­tal­lé aux États-​Unis qui a tra­vaillé sur des cam­pagnes démo­crates new-​yorkaises, apporte sa vision amé­ri­caine. Lui s’occupe de la com­mu­ni­ca­tion, quand elle prend en charge la pré­si­dence (l’Académie a le sta­tut d’association) et la recherche de fonds. Malgré les réti­cences à sou­te­nir un pro­jet poli­tique, Alice Barbe a obte­nu des finan­ce­ments de la fon­da­tion Lunt (fon­da­tion pri­vée qui sou­tient l’entrepreneuriat social et envi­ron­ne­men­tal) et des dons de son large réseau. Assez pour tenir six mois et aider finan­ciè­re­ment la pre­mière pro­mo d’académicien·nes et, elle l’espère, pour convaincre de futur·es donateur·rices d’investir sur la pour­suite du projet. 

« Quand j’ai reçu le mail de nomi­na­tion, j’ai été très hono­rée et un peu fière. Je n’ai même pas fait sem­blant d’hésiter trente secondes, admet Ophélie Latil. Jusqu’ici, j’ai tou­jours été dans le bras de fer avec les gou­ver­ne­ments. Aujourd’hui, on me pro­pose de trans­for­mer l’essai et d’aller de l’autre côté sans tra­hir mes convic­tions. » Pendant six mois, trois jours par semaine, les académicien·nes vont suivre des cours magis­traux du genre « ana­lyse du com­por­te­ment élec­to­ral » ou « popu­lisme et démo­cra­tie » et échan­ger avec des poli­tiques comme le fon­da­teur de Génération·s, Benoît Hamon, le Premier ministre cana­dien Justin Trudeau ou l’ex-présidente du Liberia Ellen Johnson Sirleaf. Le tout agré­men­té de ses­sions qui flirtent avec le déve­lop­pe­ment per­son­nel, entre prise de parole en public, conseils en nutri­tion et ges­tion du som­meil. Sans oublier les voyages d’études à Washington, à Berlin ou à Bruxelles. « Je suis là pour apprendre ce que je ne sais pas, c’est-à-dire ce qu’est un pou­voir poli­tique et ce qui va avec. Je mange tout ce que je reçois », assure Stéphane Ravacley. Et Priscillia Ludosky d’ajouter : « Ce qui m’importe, c’est d’élargir mon réseau, mais aus­si d’être accom­pa­gnée par des coachs et des experts dans un milieu ras­su­rant, à l’abri des hostilités. »

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Priscillia Ludosky © Corentin Folhen /​Divergence pour Causette
Objectif juin 2022

Dès la semaine de ren­trée, le Power­Point de pré­sen­ta­tion affiche l’objectif : faire en sorte que cent élèves soient élu·es d’ici à 2027, même si toutes et tous n’ont pas l’obligation de bri­guer un man­dat. Parmi elles et eux, certain·es sont déjà élu·es loca­le­ment. D’autres, comme Stéphane Ravacley, ont pris la déci­sion de se pré­sen­ter aux légis­la­tives. « Depuis quelques mois, je songe à cette échéance. L’action asso­cia­tive, c’est très bien, mais il faut des relais. Si je veux que mes idées et celles des autres arrivent à la poli­tique, je suis obli­gé d’y aller. » Un sen­ti­ment par­ta­gé par Anne Pédron-​Moinard, Nantaise agré­gée d’histoire et nou­velle élève de l’Académie : « J’ai tou­jours vou­lu m’engager poli­ti­que­ment, je l’ai fait en étant prof, ensuite en étant plume pour une élue, et à chaque fois l’impact a été limi­té. Quand l’Académie est arri­vée, je me suis dit que, cette fois-​ci, il fal­lait por­ter moi-​même ces mots que j’avais mis dans la bouche d’une autre. » Franchir le cap n’est pas chose aisée, alors en cette ren­trée, beau­coup hésitent. « Je ne sais pas encore si je veux me lan­cer en poli­tique et ce pro­gramme me per­met­tra de répondre à cette ques­tion. Ce ne sont pas les sol­li­ci­ta­tions qui ont man­qué, mais j’aimerais faire les choses bien. La vraie ques­tion c’est, est-​ce qu’on aura plus d’impact si moi je m’inscris en poli­tique ? » s’interroge Priscillia Ludosky. Sanaa Saitouli, maire adjointe à Cergy (Val‑d’Oise) et sou­vent sur­nom­mée l’« AOC des quar­tiers », s’imagine mar­cher dans les pas de l’élue new-​yorkaise Alexandria Ocasio-​Cortez (AOC), pro­pul­sée au Congrès par Justice Democrats. L’Académie a d’ailleurs pro­mis de faire son maxi­mum pour orga­ni­ser une ren­contre avec la star de la poli­tique amé­ri­caine. « Rencontrer AOC serait ouf. J’ai gran­di poli­ti­que­ment avec elle et j’essaie de m’en ins­pi­rer, même si elle est par­fois trop dans la sta­ri­fi­ca­tion. Il n’empêche que je me retrouve dans son par­cours, celui d’une ser­veuse par­tie de rien, issue d’une mino­ri­té », s’enthousiasme Sanaa. 

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Stéphane Ravacley © Corentin Folhen /​Divergence pour Causette

Roder le sto­ry­tel­ling des académicien·nes, créer des pro­duits aux cou­leurs de l’AFL ou orga­ni­ser des ren­contres entre citoyen·nes et candidat·es chez l’habitant·e : autant de concepts venus des États-​Unis que Michka Bengio espère tes­ter en France. Un pari ris­qué ? « Dans l’esprit amé­ri­cain, on n’a pas du tout peur de se plan­ter », tranche-​t-​il. En France, l’Académie n’est pas la seule orga­ni­sa­tion à ten­ter de for­mer des futur·es poli­tiques. Des mou­ve­ments comme Tous Élus, Investies ou le Collège citoyen de France pour­suivent le même but, mais de façon net­te­ment moins intensive. 

Méfiance à l’égard des partis

Après quatre jours d’intégration, la ver­sion fran­çaise de la recette semble prendre, même si la plu­part des participant·es res­tent méfiant·es à l’égard des par­tis poli­tiques. Courtisée par cer­tains, Priscillia Ludosky assume la rup­ture : « Si jamais je devais m’engager en poli­tique, ce ne serait pas avec un par­ti exis­tant, c’est cer­tain. » Pour Najat Vallaud-​Belkacem, ce posi­tion­ne­ment est plus que ris­qué. « Je me suis per­mis de leur dire que j’étais dubi­ta­tive et que s’ils pen­saient sin­cè­re­ment pou­voir se pré­sen­ter à des légis­la­tives en dehors de tout par­ti, il fal­lait qu’ils aient conscience qu’ils se com­pli­quaient la tâche. » Si certain·es sont prêt·es à révi­ser leurs posi­tions, elle a déjà repé­ré quelques pro­fils qu’elle ver­rait bien par­mi les troupes du PS. Qu’importe l’opinion d’une ancienne ministre, Sanaa Saitouli se rêve en élue indé­pen­dante à l’Assem­blée natio­nale. « Ce que j’aimerais vrai­ment, c’est qu’une can­di­date sans par­ti, qui repré­sente un col­lec­tif citoyen comme Cergy Demain, puisse être élue. Sans l’Académie, on essaie d’y arri­ver, on a cette déter­mi­na­tion. Mais l’Académie va nous don­ner un label. Les par­tis nous regardent comme une petite liste de rien du tout, mais on peut leur dire : “Hey, c’est label­li­sé les gars ! L’Académie des futurs lea­ders le dit : Cergy Demain est prêt à chan­ger le monde !” » 

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L’enjeu d’AFL : faire avan­cer ensemble des per­sonnes aux pro­fils très dif­fé­rents pour un vrai renou­veau poli­tique.
© Corentin Folhen /​Divergence pour Causette

Les légis­la­tives des 12 et 19 juin feront office de test pour la pre­mière pro­mo. Avec une pointe d’ironie, Ophélie Latil se pro­jette déjà : « Dans six mois, je me vois bien dépu­tée, ça m’irait très bien. La moquette a l’air hyper confor­table à l’Assemblée nationale. »

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