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À Marseille, un col­lec­tif de riverain·es demande la créa­tion d’une salle de consom­ma­tion à moindre risque de drogues

À contre-​courant des mobi­li­sa­tions, vues dans plu­sieurs grandes villes de France, visant à s'opposer à la créa­tion de salles de consom­ma­tion de drogues, un col­lec­tif mar­seillais s'active pour qu'un tel espace soit créé dans la deuxième ville de France, qui n'en est pas dotée.

Ce serait le pre­mier espace, dans la deuxième ville de France, où des per­sonnes pour­raient consom­mer de la drogue de manière enca­drée, en limi­tant les risques pour leur san­té et sans déran­ger les passant·es. Promise par le Printemps mar­seillais lors de la der­nière cam­pagne des élec­tions muni­ci­pales, la créa­tion d'une halte soins addic­tions (HSA) a du plomb dans l'aile dans la cité phocéenne.

Suspendue par le gou­ver­ne­ment mi-​janvier en rai­son de la mobi­li­sa­tion d'opposant·es, l'arrivée de cette salle de consom­ma­tion à moindre risque de drogues n'est pas enter­rée : la majo­ri­té du maire Benoît Payan conti­nue de por­ter le pro­jet qui, au départ, devait s'établir quar­tier des Réformés. Plus sur­pre­nant, un col­lec­tif de citoyens se mobi­lise depuis le début de l'année sous le nom de Je dis OUI ! pour que la HSA voie le jour, à rebours de l'esprit "not in my backyard" ("pas dans mon jar­din") des mobi­li­sa­tions habi­tuelles contre ces centres. Reçu par la mai­rie, Je dis OUI ! pré­pare une soi­rée fes­tive jeu­di 23 mai au BOUM (dans le 6e arron­dis­se­ment de Marseille) en sou­tien au pro­jet. Entretien avec Alexis, membre du col­lec­tif Je dis OUI !.

Causette : Pourquoi vous mobilisez-​vous pour faire abou­tir ce pro­jet de halte soins addic­tions ?
Alexis :
Nous sommes tous et toutes des habi­tants de Marseille et sou­hai­tons visi­bi­li­ser les per­sonnes concer­nées par ce lieu. Pour ma part, j'ai pu tra­vailler dans un espace de consom­ma­tion super­vi­sée au Québec, à Montréal, pen­dant un an, et main­te­nant que j'habite à Marseille, j'ai été un peu cho­qué par tant de stig­ma­ti­sa­tion et de doute sur les bien-​fondés de ce dis­po­si­tif de san­té publique. Il m'a sem­blé que cela était impos­sible de ne pas agir, d'autant plus qu'en ce moment, je n'ai pas d'activité pro­fes­sion­nelle dans le domaine jus­te­ment de la réduc­tion des risques.
Nous nous mobi­li­sons pour rap­pe­ler des élé­ments juri­diques et peut-​être plus sym­bo­liques, qui font moins sens pour cer­taines per­sonnes, d'un idéal de jus­tice sociale, d'un prag­ma­tisme de san­té publique (le lieu est enca­dré par une équipe for­mée, avec du maté­riel à dis­po­si­tion) et d'un res­pect des droits humains. Nous avons par­ta­gé sur nos réseaux sociaux, et c'est bien triste de devoir le faire, des pho­tos de scènes de consom­ma­tion ou de maté­riel trou­vé dans l'espace public, qui démontrent les situa­tions vrai­ment dra­ma­tiques dans les­quelles se trouvent les usa­gers de drogue pour sur­vivre. C'est ce qui a mar­qué le début de notre mobilisation.

La créa­tion d'un mou­ve­ment citoyen pour récla­mer ce que d'aucuns appellent une "salle de shoot" est-​elle inédite ?
A. :
Nos ten­ta­tives de mobi­li­sa­tion sont peut-​être moins visibles que celles d'autres citoyens, comme le mou­ve­ment, à Marseille, du Collectif Citoyens Enfants Libération, qui a été par­ti­cu­liè­re­ment média­ti­sé en janvier-​février de cette année parce qu'il s'oppose à la créa­tion de cet espace.
Le fait que nous, on se mobi­lise, ce n'est pas for­cé­ment quelque chose de nou­veau, parce que de nom­breuses mobi­li­sa­tions citoyennes existent ou ont exis­té contre la stig­ma­ti­sa­tion des per­sonnes qui consomment des drogues. Elles remontent aux années 1970, 1980, dans toutes les par­ties du monde. Et à Marseille, depuis 1995, au mini­mum.
L'association por­teuse de la HSA mar­seillaise, ASUD, pour Autosupport des usa­gers de drogues, est la pre­mière asso­cia­tion fran­çaise à avoir été créée dans ses sta­tuts propres, comme por­tée par des per­sonnes qui consomment des drogues. Elle a été sub­ven­tion­née pour jus­te­ment per­mettre un réseau de san­té com­mu­nau­taire entre per­sonnes concer­nées. Elle est inté­grée dans un comi­té de pilo­tage mis en place par la mai­rie et com­po­sé de dif­fé­rents membres, d'un magis­trat, de la police natio­nale, de l'agence régio­nale de san­té (ARS), de la pré­fec­ture, etc.
C'est juste que peut-​être c'est moins cou­rant que des citoyens aient à se mobi­li­ser, du fait de l'inaction gou­ver­ne­men­tale. D'autres pro­jets de HSA, à Paris ou à Strasbourg, se sont mis en place très rapi­de­ment, et les asso­cia­tions accom­pa­gnant les usa­gers de drogue consti­tuaient un bloc déjà assez fort.

Qu'est-ce qui bloque, dans le cas mar­seillais ?
A. :
On peut dire que l'une des expli­ca­tions, c'est sans doute la pres­sion politico-​médiatique. Pression d’ailleurs exer­cée par des "col­lec­tifs de rive­rains" qui, d'ailleurs, sou­vent n'étaient pas rive­rains du lieu choi­si, au 110 Boulevard Libération et où des tra­vaux avaient été enga­gés (et presque finis) afin de per­mettre l'ouverture de la HSA. On a pu s'en rendre compte lors des réunions publiques, où plu­sieurs membres de Je dis OUI ! étaient pré­sents. Cela a été pour nous l'occasion de décons­truire des dis­cours tout à fait stig­ma­ti­sants, excluants, et qui reve­naient sou­vent à l'idée que “c'est très bien, mais pas chez moi”.

Pour vous, le choix du lieu était-​il per­ti­nent ?
A. :
C'était l'endroit trou­vé par la mai­rie, donc cela nous conve­nait. Il faut dire que le 110, bou­le­vard de la Libération, c'était aus­si un bel endroit, avec une belle cour inté­rieure, de beaux esca­liers, sur une rue fré­quen­tée et qui, du coup, pou­vait per­mettre une forme de mixi­té sociale. La ques­tion des écoles à proxi­mi­té avait été res­sas­sée encore et encore, sans rap­pe­ler qu'en fait, des écoles à Marseille, il y en a par­tout. Pour moi, cela reste une forme de dis­cours stig­ma­ti­sant à l'égard des per­sonnes qui consomment des drogues. Les per­sonnes qui énoncent ça ont par­fois peut-​être ten­dance à oublier qu'elles-mêmes ont des enfants ou que les per­sonnes dont elles parlent ont été des enfants.
Enfin, j'ajouterais que la gare, de manière sym­bo­lique et dans les ima­gi­naires, c'est aus­si sou­vent un espace à la fois de mou­ve­ments et de mar­gi­na­li­té. Donc, est-​ce vrai­ment un espace pro­pice pour que les per­sonnes puissent s'y ancrer ? C'est une question.

Comment comptez-​vous faire avan­cer les choses main­te­nant ?
A. :
La direc­trice d'ASUD a envoyé un cour­rier à la pré­fec­ture, à l'ARS et à la mai­rie pour pro­po­ser d'autres lieux que celui pré­vu ini­tia­le­ment. L'enjeu est que le site ouvre d'ici à la fin de l'année 2025, échéance de la fin de l'expérimentation des HSA. La muni­ci­pa­li­té, qui avait mis à dis­po­si­tion le pre­mier lieu qui cris­tal­lise les ten­sions, sou­tient qu'elle va tout faire pour mettre en oeuvre ce pro­jet mais elle n'a pas de pré­ro­ga­tives par­ti­cu­lières, étant don­né que c'est un dis­po­si­tif mis en place dans un cadre éta­tique, géré in fine par le minis­tère de la Santé.

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