people standing on stage with lights turned on during nighttime
Une pièce de théâtre, photographie d'illustration © Erik Mclean

À Clichy-​sous-​Bois, les Clameuses se la jouent chro­ni­queuses de théâtre

Elles ont une voix qu’on écoute peu, surtout lorsqu’il s’agit de culture. Parce qu’elles sont femmes, de banlieue. Parce que certaines parlent avec un accent et que d’autres portent le voile. Des habitantes de Clichy-sous-Bois ont donc décidé de se faire entendre, en clamant haut et fort des critiques de théâtre.

La troupe vient à peine de saluer qu’assise dans son fauteuil, Fouzia clame posément un jugement assumé : « La première partie transmet vraiment la douleur du personnage, car elle questionne les liens du sang, les relations familiales. Que l’actrice soit seule sur scène entourée de musiciens renforce l’isolement de son personnage face à la société. Mais le texte de la seconde est trop décousu pour qu’on entre dans l’histoire. » En dépit de la justesse de son commentaire, Fouzia n’est pas une chroniqueuse professionnelle livrant sa critique aux auditeurs d’une émission radio. Cette femme au bagou ravageur comme les six autres qui l’accompagnent en cette soirée de novembre à la MC93 (Bobigny), sont des Clameuses. Un collectif de trente Clichoises qui, depuis 2019, arpentent les théâtres à la recherche de spectacles pour les critiquer via des podcasts et en programmer certains dans leur ville.

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Une partie du groupe des Clameuses attend le début
du spectacle de la MC93, fin novembre © P.B.

Quelques heures auparavant, sept Clameuses se sont rejointes devant le local mis à disposition par la mairie de Clichy, pour partir en minibus assister à cette pièce ayant récolté leurs suffrages lors d’une réunion de rentrée : Antigone et Tirésias, sélectionnée parmi celles proposées par Sarah Mathon dont la compagnie L’Île de la Tortue aide Les Clameuses à s'organiser. Elles n’avaient alors pu se baser que sur de brefs résumés. Mais Fouzia, absente à cette occasion et « impatiente de découvrir leur choix, n’en [fait] pas moins confiance à leurs compétences. » « Voir un spectacle pour lequel on n’a pas voté personnellement présente un attrait, celui de comprendre pourquoi il a intéressé les autres », renchérit Taous, au goût prononcé pour le théâtre antique.

Et si, comme à l’accoutumée, toutes préfèrent préserver le mystère du scénario, Leïla parvient elle à tirer les vers du nez à Sarah qui lui résume l’intrigue d’Antigone. « Cela attise encore plus ma curiosité d’avoir ces info », défend-t-elle alors que retentit la sonnerie appelant à prendre place.

De chroniqueuses à Ambassadrices de la culture

Après 2h30 de spectacle, ce sont des Clameuses un peu sonnées qui s’engouffrent dans le minibus. Pourtant, pas besoin de se faire prier pour que les critiques fusent. « Ça serait trop frustrant de ne pas échanger après », décrète Fouzia, qui estime ainsi « s’affirmer en tant que personne et femme dépourvue des casquettes d’épouse et de maman. » Leïla et Taous s’engagent dans le débat. « Le jeu de la comédienne d’Antigone est incroyable. On ressent sa douleur à travers sa voix mêlée à la musique et aux gestes des musiciens, qui m’a entrainée dans un voyage », assure la première. Tandis que la seconde s’attarde sur « les jeux de lumière et la diffusion en vidéo de gros plans de son visage qui donnent l’impression de voir en elle. » Une finesse de jugement qui, comme toute bonne critique, peut aussi se faire en défaveur des pièces. Ici, le texte de la seconde partie du spectacle consacrée à Tirésias a été jugé « très beau mais trop décousu pour saisir le lien entre les thèmes abordés ».

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Taous (au centre) et Fouzia (à sa gauche) discutent
avec les autres Clameuses des sept autres spectacles
qu’elles iront voir d’ici la fin de l’année © P.B.

Autant de jugements personnels à l’oral qui se fonderont dans une même critique, diffusée via un podcast sur internet. Étonnant tout de même de mêler autant de voix pour une seule chronique de théâtre ! « Avec leurs niveaux de français différents, un rendu écrit nécessiterait un travail de relecture qui dénaturerait leur propos », explique Sarah Mathon soutenue par Taous : « L’oral permet de créer un débat entre nous, et ainsi de transmettre nos idées plus naturellement et fidèlement qu’à l’écrit. » « Nos paroles ne sont pas trafiquées et ne racontent pas autre chose que ce qu’on dit. Elles reflètent nos pensées et nos personnalités », conclut Fatima, une Clameuse absente ce soir là.

Des personnalités, elles en sont devenues à Clichy depuis qu’au printemps 2020, la ville les a consacrées Ambassadrices de la culture. Un titre honorifique qui leur permet de programmer au centre culturel municipal une des pièces qu’elles chroniqueront. Intégrer les Clameuses s’avère surtout l’occasion pour elles de rassasier leur soif de théâtre. « J’y allais déjà un peu, mais l’éloignement et le manque de transports à Clichy compliquent ce genre de sorties quand on est seule », précise Taous. Les partenariats et subventions qui leur sont accordées y remédient en leur procurant des véhicules collectifs ainsi que des places de théâtre. Mais à croire Fatima, « cela prouve surtout que nous aussi on peut apprécier le théâtre, pas que les sorties à la mer. »

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