Vasectomie : mes val­seuses au barbecue

Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote inter­vient depuis une ving­taine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « ani­ma­teur de pré­ven­tion ». Il ren­contre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexua­li­té et les conduites addic­tives. Ce mois-​ci, Dr Kpote dis­serte dans l'allégresse sur sa vasectomie.

119 KPOTE © Plainpicture
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La pre­mière fois où j’avais dépo­sé mes boules dans une paume de tou­bib, je venais d’avoir 18 ans, le per­mis, le bac, et une bonne chtouille en pro­mo. Je com­men­çais donc ma vie d’adulte le pan­ta­lon et le cale­çon sur les pompes, le gland brû­lé à l’azote. Trente-​cinq ans plus tard, j’étais dans la même posi­tion un peu incon­for­table, mais cette fois, pas pour les mêmes raisons.

Quand ma com­pagne m’a fait part, l’été der­nier, qu’elle était au bout de l’efficacité de son DIU hor­mo­nal, les choses de ma vie ont défi­lé au ralen­ti : les BD d’Emma sur la charge contra­cep­tive, les giga­oc­tets lus sur le sujet et, sur­tout, le nombre de fois où, au nom du fémi­nisme, j’avais ven­du la contra­cep­tion mas­cu­line à des classes entières de gamin·es. Militer est une chose, pas­ser à l’acte en est une autre. Désormais un DIU géant, en forme de croix, se dres­sait devant moi pour me faire expier mes années d’égoïsme coï­tal. Certes, j’avais tes­té le slip ther­mique que m’avait offert le col­lec­tif Tomas Boulou, mais j’avais eu du mal à être obser­vant plus de vingt-​quatre heures. Tout bien pesé, j’éprouvais davan­tage d’appréhension à me faire remon­ter les bal­loches en tirant sur mon scro­tum qu’à me faire cou­per les canaux défé­rents. Il fal­lait se rendre à l’évidence, j’étais bon pour me faire contra­cep­ter à vie, donc pas­ser par la vasectomie.

Par res­pect pour les mecs qui s’y collent avant la qua­ran­taine, je dois avouer que ce choix m’était sim­pli­fié avec trois gamins au comp­teur, dont deux ados bien casse-​bonbons, bonne moti­va­tion à finir le bou­lot. Je n’ai pas choi­si de « cryo­con­ser­ver » mon sperme dans un Cecos*, esti­mant que j’avais déjà lar­ge­ment contri­bué au désastre éco­lo­gique, même si le patriar­cat m’a souf­flé plus d’une fois « Et si tu refais ta vie avec une jeu­nette, hein ? ». Une amie, peut-​être dis­ciple de Peggy Sastre en pleine crise evop­sy (ou psy­cho­lo­gie évo­lu­tion­niste), m’a même expli­qué que si cer­tains mecs pou­vaient pro­créer jusqu’à leur der­nier sou­pir, c’est que ça devait être vital pour l’humanité.

On n’a de cesse d’évoquer la mécon­nais­sance des filles vis-​à-​vis de leur sexe géni­tal, mais les mecs cis ne sont pas mieux lotis, dès qu’on les décroche de la hampe de leur teub qu’ils raf­folent de lus­trer. Combien de per­sonnes m’ont deman­dé si j’allais tou­jours éja­cu­ler, si je ne crai­gnais pas de ne plus ban­der ? Peu d’entre elles savent que l’essentiel de l’éjaculat est pro­duit non pas par les tes­ti­cules, mais par les vési­cules sémi­nales, la pros­tate et les glandes de Cowper et que les sper­ma­to­zoïdes ne repré­sentent que 1 % à 2 % envi­ron du volume final. Pour ban­der, c’est au cer­veau qu’il faut s’adresser et je ne comp­tais pas pro­fi­ter de l’occase pour me faire lobotomiser.

J’ai opté pour le Dr Hupertan, un uro­logue répu­té, donc « pas don­né », d’après ma géné­ra­liste, à qui j’ai rétor­qué qu’on ne confiait pas ses bijoux de famille à n’importe qui. Pas ques­tion de jouer les har­pa­gons tirant sur les cor­dons de leur bourse.
Le spé­cia­liste m’a expli­qué que sa tech­nique uti­li­sée, dite de la « vasec­to­mie sans bis­tou­ri », por­tait une appel­la­tion ras­su­rante, mais trom­peuse. Les canaux défé­rents ne sau­raient être sec­tion­nés par l’opération du Saint-​Esprit. Mais plu­tôt que de les cou­per à l’intérieur après une double inci­sion, le pra­ti­cien sort les deux canaux hors du scro­tum, par une petite ouver­ture, limi­tant ain­si la taille des héma­tomes. Cette tech­nique, mise au point en Chine en 1974 dans le cadre d’un pro­gramme de contrôle des nais­sances, per­met­tait ain­si de ren­voyer plus vite les tra­vailleurs aux champs. Cette vision pro­duc­ti­viste de l’acte contra­cep­tif m’a obli­gé à sépa­rer le syn­di­ca­liste de l’homme et j’ai signé le protocole.

N’étant pas d’une nature par­ti­cu­liè­re­ment anxieuse vis-​à-​vis de l’hôpital, j’ai opté pour l’anesthésie locale, his­toire de ne pas pas­ser ma jour­née dans le potage. Le Dr Hupertan m’a quand même inter­pel­lé sur le mode ambu­la­toire : « J’ai par­fois de grands gaillards qui s’évanouissent dès qu’on touche à leur scro­tum. » La mytho­lo­gie a eu aus­si son lot de fake news : c’est par les couilles que Thétis tenait Achille pour le trem­per dans les eaux du Styx et non par le talon, d’où la vul­né­ra­bi­li­té de la zone concernée.

Dans ses der­niers conseils, il a évo­qué la prise de Valium, la veille au soir et une heure avant l’opération, his­toire d’être bien déten­du pour évi­ter le scro­tum « en noix de coco ». Il y a un côté tatous chez les mâles cis, qui face à l’adversité voient leur scro­tum rétré­cir et se dur­cir. Comme je le ques­tion­nais sur une éven­tuelle dou­leur post­opé­ra­toire, il m’a répon­du : « Picard », m’invitant à mettre dans mon congé­lo un sac de petits pois sur­ge­lés, bio ou pas, pour rem­pla­cer les antal­giques et réduire l’hématome. Ma nou­velle aven­ture géni­tale allait donc à rebours du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, ayant enta­mé ma réflexion avec les boules au chaud pour fina­le­ment la conclure avec les mar­rons glacés.

Le jour J, je suis par­ti confiant, avec ma boîte de Valium en poche, confor­mé­ment au pro­to­cole, et, sur la route, le soleil qui me fai­sait de l’œil. Après une bonne heure d’attente à la cli­nique, une infir­mière m’a accom­pa­gné dans la salle de découpe. Une com­pil du type « fais ton mar­ché boud­dhiste avec David Guetta » tour­nait sur l’ordinateur. Perso, avec ou sans pro­duits, j’ai plus de faci­li­té à lévi­ter sur un bon vieux Clash, mais ce n’était pas le moment de jouer les casse-​couilles avec le DJ qui allait m’opérer.

Pendant toute la durée de l’acte, une des infir­mières s’est pen­chée en sou­riant sur mes organes et résu­mait le dérou­lé de l’opération à l’oreille d’une autre, assise plus loin, en obser­va­tion. Je les sur­veillais du coin de l’œil, tout en me deman­dant si, la veille, ce n’était pas elles qui avaient col­lé sur un mur du XXe arron­dis­se­ment : « À vos séca­teurs, mes sœurs ! » Pas du tout avare d’explications pen­dant toutes les étapes, le Dr Hupertan m’a régu­liè­re­ment ques­tion­né sur mon res­sen­ti. Dans ces moments-​là, c’est une atten­tion qu’on appré­cie. Il a réglé l’affaire du pre­mier canal en deux temps trois mou­ve­ments. Le second s’est avé­ré plus long à sec­tion­ner, car il était entou­ré par de nom­breux vais­seaux. Bien déten­du par l’effet du Valium, je n’avais pas le scro­tum en noix de coco, mais par contre, je trou­vais que ça sen­tait un peu les rognons. Effectivement, une légère fumée mon­tait de mon bas-​ventre.
« Vous faites un bar­be­cue avec mes couilles ? » me suis-​je sur­pris à leur deman­der de fac­to. On a ri autour du bra­se­ro pen­dant qu’il cau­té­ri­sait à l’électricité. « Au moins, vous, vous étiez prêt ! » ­m’a‑t-il fait remar­quer, me trou­vant plu­tôt à point.

Une fois ren­tré, j’ai enfi­lé un jocks­trap de sport pour bien main­te­nir l’ensemble, et c’est devant une série que j’ai pré­sen­té à mon ser­vice trois-​pièces son sachet de petits pois sur­ge­lés. Je ne res­sen­tais pas de dou­leur, juste une gêne dans cer­taines posi­tions. J’ai pen­sé à ma géné­ra­liste, qui, pour conver­tir son mari, cher­chait des argu­ments pour contrer sa crainte d’une éven­tuelle perte de viri­li­té. L’image de moi vau­tré dans le cana­pé, avec mes petits pois sur le sexe, n’aurait pro­ba­ble­ment pas beau­coup pesé dans l’affaire. Simone, elle, tapait fort : « Personne n’est plus arro­gant envers les femmes, plus agres­sif et mépri­sant, qu’un homme inquiet pour sa virilité. »

Le len­de­main, je m’étais enga­gé sur l’animation d’un webi­naire sur le thème « Comment mobi­li­ser les hommes sur les luttes fémi­nistes ? » Il y avait une ­qua­ran­taine d’inscrit·es, et c’est assis devant l’écran, du sur­ge­lé entre les cuisses, que j’ai dis­cou­ru pen­dant une heure sur le sujet. C’était un moment curieux d’évoquer cette fameuse soli­da­ri­té de couilles et ses consé­quences, alors que je venais de me déso­li­da­ri­ser, sym­bo­li­que­ment, des miennes. Dans trois mois, je dois faire un sper­mo­gramme pour véri­fier si l’azoospermie (l’absence de sper­ma­to­zoïdes dans l’éjaculat) est acquise. En espé­rant tout de même ne pas avoir à repas­ser chez Picard, au rayon des légumes frais. 

* Centres d’étude et de conser­va­tion des œufs et du sperme humains régis­sant la ges­tion des dons de gamètes.

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