Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote intervient depuis une vingtaine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « animateur de prévention ». Il rencontre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexualité et les conduites addictives. Ce mois-ci, Dr Kpote disserte dans l'allégresse sur sa vasectomie.
![Vasectomie : mes valseuses au barbecue 1 119 KPOTE © Plainpicture](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/02/119_KPOTE_-©-Plainpicture-684x1024.jpg)
La première fois où j’avais déposé mes boules dans une paume de toubib, je venais d’avoir 18 ans, le permis, le bac, et une bonne chtouille en promo. Je commençais donc ma vie d’adulte le pantalon et le caleçon sur les pompes, le gland brûlé à l’azote. Trente-cinq ans plus tard, j’étais dans la même position un peu inconfortable, mais cette fois, pas pour les mêmes raisons.
Quand ma compagne m’a fait part, l’été dernier, qu’elle était au bout de l’efficacité de son DIU hormonal, les choses de ma vie ont défilé au ralenti : les BD d’Emma sur la charge contraceptive, les gigaoctets lus sur le sujet et, surtout, le nombre de fois où, au nom du féminisme, j’avais vendu la contraception masculine à des classes entières de gamin·es. Militer est une chose, passer à l’acte en est une autre. Désormais un DIU géant, en forme de croix, se dressait devant moi pour me faire expier mes années d’égoïsme coïtal. Certes, j’avais testé le slip thermique que m’avait offert le collectif Tomas Boulou, mais j’avais eu du mal à être observant plus de vingt-quatre heures. Tout bien pesé, j’éprouvais davantage d’appréhension à me faire remonter les balloches en tirant sur mon scrotum qu’à me faire couper les canaux déférents. Il fallait se rendre à l’évidence, j’étais bon pour me faire contracepter à vie, donc passer par la vasectomie.
Par respect pour les mecs qui s’y collent avant la quarantaine, je dois avouer que ce choix m’était simplifié avec trois gamins au compteur, dont deux ados bien casse-bonbons, bonne motivation à finir le boulot. Je n’ai pas choisi de « cryoconserver » mon sperme dans un Cecos*, estimant que j’avais déjà largement contribué au désastre écologique, même si le patriarcat m’a soufflé plus d’une fois « Et si tu refais ta vie avec une jeunette, hein ? ». Une amie, peut-être disciple de Peggy Sastre en pleine crise evopsy (ou psychologie évolutionniste), m’a même expliqué que si certains mecs pouvaient procréer jusqu’à leur dernier soupir, c’est que ça devait être vital pour l’humanité.
On n’a de cesse d’évoquer la méconnaissance des filles vis-à-vis de leur sexe génital, mais les mecs cis ne sont pas mieux lotis, dès qu’on les décroche de la hampe de leur teub qu’ils raffolent de lustrer. Combien de personnes m’ont demandé si j’allais toujours éjaculer, si je ne craignais pas de ne plus bander ? Peu d’entre elles savent que l’essentiel de l’éjaculat est produit non pas par les testicules, mais par les vésicules séminales, la prostate et les glandes de Cowper et que les spermatozoïdes ne représentent que 1 % à 2 % environ du volume final. Pour bander, c’est au cerveau qu’il faut s’adresser et je ne comptais pas profiter de l’occase pour me faire lobotomiser.
J’ai opté pour le Dr Hupertan, un urologue réputé, donc « pas donné », d’après ma généraliste, à qui j’ai rétorqué qu’on ne confiait pas ses bijoux de famille à n’importe qui. Pas question de jouer les harpagons tirant sur les cordons de leur bourse.
Le spécialiste m’a expliqué que sa technique utilisée, dite de la « vasectomie sans bistouri », portait une appellation rassurante, mais trompeuse. Les canaux déférents ne sauraient être sectionnés par l’opération du Saint-Esprit. Mais plutôt que de les couper à l’intérieur après une double incision, le praticien sort les deux canaux hors du scrotum, par une petite ouverture, limitant ainsi la taille des hématomes. Cette technique, mise au point en Chine en 1974 dans le cadre d’un programme de contrôle des naissances, permettait ainsi de renvoyer plus vite les travailleurs aux champs. Cette vision productiviste de l’acte contraceptif m’a obligé à séparer le syndicaliste de l’homme et j’ai signé le protocole.
N’étant pas d’une nature particulièrement anxieuse vis-à-vis de l’hôpital, j’ai opté pour l’anesthésie locale, histoire de ne pas passer ma journée dans le potage. Le Dr Hupertan m’a quand même interpellé sur le mode ambulatoire : « J’ai parfois de grands gaillards qui s’évanouissent dès qu’on touche à leur scrotum. » La mythologie a eu aussi son lot de fake news : c’est par les couilles que Thétis tenait Achille pour le tremper dans les eaux du Styx et non par le talon, d’où la vulnérabilité de la zone concernée.
Dans ses derniers conseils, il a évoqué la prise de Valium, la veille au soir et une heure avant l’opération, histoire d’être bien détendu pour éviter le scrotum « en noix de coco ». Il y a un côté tatous chez les mâles cis, qui face à l’adversité voient leur scrotum rétrécir et se durcir. Comme je le questionnais sur une éventuelle douleur postopératoire, il m’a répondu : « Picard », m’invitant à mettre dans mon congélo un sac de petits pois surgelés, bio ou pas, pour remplacer les antalgiques et réduire l’hématome. Ma nouvelle aventure génitale allait donc à rebours du réchauffement climatique, ayant entamé ma réflexion avec les boules au chaud pour finalement la conclure avec les marrons glacés.
Le jour J, je suis parti confiant, avec ma boîte de Valium en poche, conformément au protocole, et, sur la route, le soleil qui me faisait de l’œil. Après une bonne heure d’attente à la clinique, une infirmière m’a accompagné dans la salle de découpe. Une compil du type « fais ton marché bouddhiste avec David Guetta » tournait sur l’ordinateur. Perso, avec ou sans produits, j’ai plus de facilité à léviter sur un bon vieux Clash, mais ce n’était pas le moment de jouer les casse-couilles avec le DJ qui allait m’opérer.
Pendant toute la durée de l’acte, une des infirmières s’est penchée en souriant sur mes organes et résumait le déroulé de l’opération à l’oreille d’une autre, assise plus loin, en observation. Je les surveillais du coin de l’œil, tout en me demandant si, la veille, ce n’était pas elles qui avaient collé sur un mur du XXe arrondissement : « À vos sécateurs, mes sœurs ! » Pas du tout avare d’explications pendant toutes les étapes, le Dr Hupertan m’a régulièrement questionné sur mon ressenti. Dans ces moments-là, c’est une attention qu’on apprécie. Il a réglé l’affaire du premier canal en deux temps trois mouvements. Le second s’est avéré plus long à sectionner, car il était entouré par de nombreux vaisseaux. Bien détendu par l’effet du Valium, je n’avais pas le scrotum en noix de coco, mais par contre, je trouvais que ça sentait un peu les rognons. Effectivement, une légère fumée montait de mon bas-ventre.
« Vous faites un barbecue avec mes couilles ? » me suis-je surpris à leur demander de facto. On a ri autour du brasero pendant qu’il cautérisait à l’électricité. « Au moins, vous, vous étiez prêt ! » m’a‑t-il fait remarquer, me trouvant plutôt à point.
Une fois rentré, j’ai enfilé un jockstrap de sport pour bien maintenir l’ensemble, et c’est devant une série que j’ai présenté à mon service trois-pièces son sachet de petits pois surgelés. Je ne ressentais pas de douleur, juste une gêne dans certaines positions. J’ai pensé à ma généraliste, qui, pour convertir son mari, cherchait des arguments pour contrer sa crainte d’une éventuelle perte de virilité. L’image de moi vautré dans le canapé, avec mes petits pois sur le sexe, n’aurait probablement pas beaucoup pesé dans l’affaire. Simone, elle, tapait fort : « Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif et méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité. »
Le lendemain, je m’étais engagé sur l’animation d’un webinaire sur le thème « Comment mobiliser les hommes sur les luttes féministes ? » Il y avait une quarantaine d’inscrit·es, et c’est assis devant l’écran, du surgelé entre les cuisses, que j’ai discouru pendant une heure sur le sujet. C’était un moment curieux d’évoquer cette fameuse solidarité de couilles et ses conséquences, alors que je venais de me désolidariser, symboliquement, des miennes. Dans trois mois, je dois faire un spermogramme pour vérifier si l’azoospermie (l’absence de spermatozoïdes dans l’éjaculat) est acquise. En espérant tout de même ne pas avoir à repasser chez Picard, au rayon des légumes frais.
* Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains régissant la gestion des dons de gamètes.