Le « Mila gate », une ques­tion de doigté

Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote inter­vient depuis une ving­taine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « ani­ma­teur de pré­ven­tion ». Il ren­contre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexua­li­té et les conduites addictives. 

109 Kpote © Marta Blue
© Marta Blue

À Marc, qui sait, lui, maintenant. 

Le 18 jan­vier res­te­ra comme le Fucking Mila Day dans les limbes de la mémoire Twitterienne. Petit récap pour celles et ceux qui étaient en zone blanche à ce moment-​là : Mila, une jeune ado de 16 ans, échan­geait en live­sur Instagram avec ses abonné·es. Jusqu’ici, tout va bien. Dans le fil, un inter­naute dra­gueur relou est reca­lé par Mila, qui offi­cia­lise son homo­sexua­li­té. Castré dans son amour propre, le mec l’aurait insul­tée, l’accusant de racisme et d’islamophobie, aus­si­tôt ­fol­lowé par d’autres. En repré­sailles, la jeune fille a pos­té une vidéo très cri­tique sur l’islam, qua­li­fiant la reli­gion ain­si : « Le Coran est une reli­gion de haine […] Votre reli­gion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, mer­ci au revoir. » À la seconde où elle a cli­qué sur « publier », c’est comme si elle avait ouvert la mal­lette nucléaire en cuir de couilles de Donald, tour­né la clé et déclen­ché la troi­sième guerre mon­diale. Menaces de mort, de viol, insultes homo­phobes, sur Twitter les haters et autres désœuvré·es de la life se sont sau­va­ge­ment étripé·es der­rière des hash­tags #JeSuisMila ou #JeNeSuisPasMila. Dans mes séances d’éducation à la sexua­li­té, les reli­gions influencent sou­vent les débats. C’est dans l’air du temps, les jeunes cherchent ce qui peut faire sens dans un monde pas hyper opti­miste pour leur ave­nir. Le petit pas de côté, l’humour, per­met sou­vent de dépas­sion­ner les échanges avec les ados. Et comme je suis plus tra­vailleur social que théo­lo­gien, j’ai eu envie de sor­tir du débat socié­tal pour faire un peu de pré­ven­tion anale.

Un doigt four­ré dans le cul comme ça, à l’arrache, et « mer­ci au revoir », ça ne se fait pas, Mila. Et encore moins dans le sphinc­ter du Grand Tout, fort de mil­lions de fidèles, consti­pés comme jamais quand il s’agit d’aborder ce type de sujet. La sodo­mie néces­site le plein accord de son par­te­naire, son consen­te­ment. Et Dieu, tu ne lui as pas lais­sé de temps, tu l’as four­ré direct, bien vénère. Preuve que les trois séances d’éducation à la sexua­li­té par an ne seraient pas de trop. Sodomiser réclame du doig­té et de la patience. D’abord, il convient de se net­toyer et de se cou­per les ongles, pour évi­ter la trans­mis­sion de bac­té­ries à la con et limi­ter les micro­lé­sions. L’anus est fra­gile, qu’il soit divin ou mor­tel. Et puis il convient de bien lubri­fier, car la fameuse « porte de der­rière » pré­sente une voie moins faci­le­ment péné­trable. Il faut tra­vailler le sphinc­ter en dou­ceur après avoir cares­sé les fesses, le SIF (sillon inter­fes­sier) et le péri­née pour pré­pa­rer au mieux l’acte. Ensuite, on y met un, puis deux doigts et on accom­pagne les mou­ve­ments de celui ou celle qui les reçoit. Il est recom­man­dé d’aller à la selle avant cette pra­tique et de laver la région anale, pour ôter le stress du contact avec la matière fécale. Avais-​tu anti­ci­pé les pes­ti­len­tiels relents sur ton doigt et la Toile, Mila ?

Mais là où bon nombre y ont tra­duit une volon­té d’agresser toute une com­mu­nau­té, peu se sont deman­dé si les paroles de Mila n’avaient pas voca­tion à détendre Dieu, à don­ner du plai­sir à celui qu’on a de cesse de nous pré­sen­ter comme peu affable et tou­jours prompt à nous faire subir son cour­roux. Quelqu’un·e s’est déjà deman­dé si Dieu avait une sexua­li­té ? S’il aimait se faire titiller la pros­tate, si tant est qu’il soit ou fût (dif­fi­cile de trou­ver le bon temps pour un·e intemporel·le) assi­gné mas­cu­lin ? On pour­rait le décré­ter non binaire, ce serait plus éga­li­taire. Mais que ses ouailles se ­ras­surent, iel res­te­rait Dominant avec un D majus­cule s’il le faut, puisque, après tout, iel a ten­dance à nous prendre de haut, voire de Très-Haut.

Le len­de­main de cette affaire, un jeune novice de l’Islam m’a lâché : « Monsieur, vous, les chré­tiens blancs, vous dis­tri­buez des pré­ser­va­tifs à vos gamins et vous leur par­lez de sexe tout le temps. 
– Mais qui te dit que je suis chré­tien ?, ai-​je rétor­qué.
– Ben vous êtes quoi, alors ? » 

Il posait là une ques­tion révé­la­trice de cette géné­ra­tion pour qui il faut en être. L’« agnos­ti­pho­bie » gagne chaque jour du ter­rain sans que per­sonne ne s’émeuve de cette dis­cri­mi­na­tion. Sheitan en diable, j’ai eu une illu­mi­na­tion : « Je ne suis pas chré­tien, mais Stéphanois ! » Devant l’air dubi­ta­tif de la classe, j’ai déve­lop­pé : « Le Stéphanois n’a qu’une reli­gion, le foot. Et un seul Dieu, Dominique Rocheteau. » 

J’avoue, c’était un rien inap­pro­prié, mais ça a eu le mérite d’apporter un peu de diver­si­té chez les mono­théistes, la touche queer dans le monde des curés. J’ai quand même ajou­té que je ne par­lais pas « cul » avec mes gosses H24 ni ne leur ser­vais des capotes sans glu­ten au petit déj. J’ai mes pudeurs bon sang ! Les rac­cour­cis reli­gieux à la sauce ado, c’est mon quo­ti­dien, et je trouve que c’est sou­vent une bonne base pour décons­truire les sté­réo­types. Sauf que, depuis quelque temps, le simple fait de citer une reli­gion devient sus­pect et impos­sible d’échapper au nou­veau point Godwin depuis le 7 jan­vier 2015, être Charlie ou pas… Franchement à Saint-​Étienne, on est plus tolé­rant avec notre pro­chain. Hormis les jours de der­by. Mais comme je suis deve­nu un allié « isla­mo­gau­chiste, indi­gé­niste à ten­dance inter­sec­tion­nelle avec les ‑racisé·es vic­ti­maires » (d’après Twitter), ­esti­mant que la parole des concerné·es doit pri­mer sur l’universalité des luttes, ­j’accueille avec bien­veillance leurs bonnes – et moins bonnes – paroles et inter­roge toutes les contra­dic­tions. Certains médias et cer­taines per­son­na­li­tés ont regret­té que les « gens de gauche » ne se posi­tionnent pas en faveur de Mila et contre l’« obs­cu­ran­tisme ». Mais l’adulte doit-​il twee­ter sans cesse sa petite morale per­so, polé­mi­quer sur les causes de chaque blas­phème de récré ? D’ailleurs, fut un temps (béni ?) où l’outrage de Mila n’aurait pas pas­sé le por­tail du bahut. Qu’on lui foute la paix. Et qu’on foute la paix aux musul­mans. Parce que toutes ces injonc­tions à pen­ser, qui leur sont adres­sées, fouettent le vieux colon à plein nez. Comme quoi, c’est bien der­rière que ça se passe.

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