Entre l'envie de faire la fête et celle de l'aligner sur ses convictions anticonsuméristes, notre chroniqueuse Fiona Schmidt, autrice, a trouvé une solution : célébrer Yule, la deuxième grande fête de l’année dans le calendrier wicca après Samhain, le Nouvel An des sorcières.
Le monde est divisé en deux camps : celui des gens qui râlent contre la mise en place des calendriers de Noël dans les supermarchés à la mi-septembre, entre le bac des tongs soldées et le rayon des fournitures scolaires, et celui des gens qui s’en réjouissent.
J’ai longtemps fait partie de ceux-là, pour des raisons toutes plus honteuses les unes que les autres : déjà, j’adore le chocolat rouge et blanc à l’huile de palme, et en plus, j’adore Noël. J’aime son folklore régressif, les papattes des enfants collées en étoile sur les vitrines animées des grands magasins, les sapins tunés comme des Clio rabaissées, Tino Rossi et Mariah Carey à tous les coins de rue, l’échange des cadeaux avec les gens que j’aime, les orgies de sucre entre les deux réveillons et (fermez les yeux) le foie gras, que je ne mange qu’une fois par an (vous pouvez les rouvrir).
Le problème avec Noël, c’est son incompatibilité totale avec les valeurs que je défends, ce qui m’oblige à faire un grand écart moral de plus en plus douloureux tous les ans. En même temps, j’ai un besoin viscéral de célébrer la fin de 2022, qui a duré 365 jours selon la police, mais 36 500 selon les manifestant·es. Du coup, j’ai trouvé un compromis 100 % écoféministe, 200 % en phase avec les problématiques du moment : pour la première fois de ma vie, au lieu de fêter Noël, je fêterai Yule le 21 décembre.
Yule, dans le calendrier wicca, c’est la deuxième grande fête de l’année après Samhain, le Nouvel An des sorcières. Jusqu’à la christianisation, les païens célébraient donc le solstice d’hiver, la nuit la plus longue de l’année qui annonçait le temps du repos et le retour progressif de la lumière, ce qui a objectivement plus de sens que de fêter l’anniversaire de Jésus dont je n’ai jamais été très proche, et qu’en plus, j’ai tendance à zapper pour passer directement au champagne et aux cadeaux.
Par ailleurs, avant de rendre hommage à des saints, le calendrier associait les fêtes aux cycles des saisons et aux activités humaines correspondantes, ce qui, là encore, est une jolie façon de se rappeler qu’avant qu’on climatise des stades en plein désert, il n’a pas toujours fait 25 degrés à la fin octobre. Alors, Yule est aussi une façon inclusive de célébrer un phénomène universel, qui nous rassemble et nous transcende tous et toutes, en dehors de la religion ou de la politique, lesquels font rarement bon ménage et ne sont pas très en forme en ce moment.
C’est donc aussi une manière révolutionnaire de faire société à l’extérieur de la société, de s’opposer ensemble à une norme écocide consistant à célébrer le renouvellement permanent et d’inventer de nouveaux rituels, de nouvelles raisons et façons de se réjouir. Car Yule à la sauce 2022 ne consiste évidemment pas à se morfondre, à se restreindre ni à s’autoflageller (les femmes n’ont pas besoin de Yule pour ça…). Au contraire, c’est l’occasion de renouer avec l’essentiel : partager des moments et des expériences plutôt que des objets, fabriquer plutôt qu’acheter, prendre le temps plutôt que courir après. La sobriété n’est ni une punition ni une restriction, au contraire, c’est une célébration du pérenne. Joyeux solstice à tous et à toutes, et vivement que l’horizon s’éclaircisse – au prix de l’électricité, en plus…